Entretien avec Geert De Pauw, à Bruxelles

Se rencontrer

Le projet Commons Josaphat a démarré en 2012 à Bruxelles. Quelques associations travaillaient alors dans des domaines variés (logiciels libres, états généraux des eaux, community land trust, festival des libertés,…), chacune un peu dans son coin, et sans forcément avoir conscience que ces domaines pouvaient être liés à la question des biens communs. Une dizaine de personnes ont commencé à se réunir pour que les collectifs puissent apprendre les uns des autres, et pour tenter de comprendre ce qui les fédérait à travers la notion de biens communs.

Des rencontres thématiques (logiciel, terre, logement,…) ont d’abord été organisées et furent l’occasion d’inviter des personnes et des associations pour faire des liens entre toutes ces initiatives et échanger des connaissances, mais aussi pour montrer l’existence de ces dynamiques et pour introduire cette notion auprès des bruxellois.. La même trame a été suivie pour chacune de ces rencontres (gouvernance, propriété, etc…).

Choisir un lieu

Puis, plutôt que de rester dans une réflexion théorique, il a rapidement été question d’appliquer les concepts sur le terrain. La question s’est posée en ces termes : “Si nous devions développer la ville avec tous ceux qui sont autour de la table, comment faire, et comment le faire autrement ?”. C’est ainsi que l’idée a émergé de choisir un “morceau de ville” pour voir ce qui pourrait y être fait. Les participants ont pensé qu’il serait plus facile d’expérimenter cette construction sur un terrain entièrement vide.

Le site choisi, Josaphat, est un ancien terrain de chemin de fer qui n’est plus utilisé depuis longtemps. Il appartient à la région bruxelloise, ce qui permet de s’adresser aux pouvoirs publics plutôt qu’à un promoteur immobilier. Et c’est à partir de ce choix concret que le collectif a commencé à travailler à la rédaction du projet “Commons Josaphat”.

Ouvrir la réflexion

Pour ouvrir la réflexion, un appel à idées adressé à toute la population bruxelloise a été lancé. Cet appel étant très large, il a donné lieu à beaucoup de réactions, depuis de tous petits projets parfois peu aboutis jusqu’à des projets très ambitieux pour ce site de 24 hectares. Ces propositions ont fait l’objet d’une exposition, puis des groupes de travail thématiques ont travaillé à la rédaction d’un projet détaillé.

Cette étape, qui a duré deux ans, a débouché sur un matériel intéressant qui a été publié sous la forme du texte “Josaphat en Commun : d’une réserve foncière à un quartier en bien commun”. Dans cette proposition citoyenne de 68 pages sont expliqués les principes, les recommandations (en terme d’écologie, de mobilité, de logement, de gouvernance, de plus-value,…), et toutes les questions qui se posent quand on projette de développer un quartier.

Convaincre

À compter de ce moment, le collectif a pensé qu’il était temps d’essayer de convaincre les pouvoirs publics afin de mettre en oeuvre le projet. Un débat politique a été organisé au moment des élections avec tous les partisans du projet, et un dialogue a été engagé avec la région bruxelloise qui avait déjà un projet de vente de ce terrain à des interlocuteurs privés.

Ce dialogue avec l’institution n’est pas toujours facile, mais il a tout de même permis de déboucher sur l’installation sur le terrain de plusieurs expérimentations qui y sont tolérées tandis que des négociations sont en cours pour les officialiser : un jardin collectif, un projet de récupération alimentaire, un projet artistique, etc…

Pour montrer que leurs proposition est réaliste et réalisable, le collectif Commons josaphat travaille maintenant sur une proposition pour un îlot modèle dans lequel les idées sont développées beaucoup plus en détail pour obtenir une proposition la plus aboutie possible. Cet îlot serait composé d’environ 100 logements articulés avec d’autres fonctions (community land trust, habitat groupé, logement social coopératif, épicerie coopérative,…) visant à montrer qu’il y a moyen de mettre en oeuvre concrètement les idées et même que cela fonctionne mieux que l’existant.

Le travail de réflexion et de rédaction s’oriente donc vers des études précises sur les aspects d’architecture, les aspects financiers, les questions liées au bâti, au foncier, à la gouvernance,… Cette étude est fondée sur le principe d’un développement de la ville qui ne compterait pas sur la spéculation immobilière pour faire avancer le projet. L’objectif est d’obtenir une proposition aboutie début 2017 afin de démontrer que le projet est réalisable et de convaincre la région d’inclure dans l’appel d’offre de vente du terrain qu’une partie soit réservée à cette expérimentation alternative.

À Bruxelles, beaucoup de choses ont évolué sur les questions d’écologie. Par exemple, tout ce qui est construit aujourd’hui doit être “passif”. Mais ça reste assez limité aux aspects techniques des bâtiments. Le projet Commons Josaphat voudrait démontrer que l’ensemble du développement de la ville peut être pensé et mis en oeuvre autrement, qu’il existe une alternative possible.

Espérer et concrétiser

Il y a encore beaucoup de méfiance de la part des pouvoirs publics, mais en créant le débat, Commons Josaphat participe à l’évolution des mentalités, et certains interlocuteurs commencent à comprendre de quoi il s’agit et quel intérêt il pourrait y avoir à tenter cette expérience. Par exemple, jusqu’à maintenant, la région vendait ses terrains à des promoteurs privés, mais ce dialogue ouvre une possibilité réelle pour qu’elle ne le fasse plus. De plus en plus de personnes impliquées de près ou de loin dans la politique urbaine comprennent et soutiennent les idées nouvelles du collectif.

La région bruxelloise devrait lancer son appel d’offre en juin 2017 qui sera donc une étape importante pour savoir si le projet du collectif pourra se concrétiser à cet endroit, ne fut ce que pour une petite partie du terrain. Une fois cette étape franchie, le collectif, qui est encore un petit groupe, devra faire en sorte de stimuler les candidatures de personnes et entreprises, nouveaux “promoteurs de biens communs” prêts à se lancer dans l’aventure…

Propos recueillis par Maïa Dereva

Photo : © Paula Bouffioux