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Et si un autre monde était possible et même nécessaire ?

Le ciel nous tombera-t-il finalement sur la tête, comme l’annonce Paul Jorion dans « Le dernier qui s’en va éteint la lumière » ? « On peut prévoir l’effondrement, mais on ne peut en prédire le moment » déclare-t-il sans ciller, lors d’une rencontre organisée, samedi dernier, à l’initiative du philosophe Bernard Stiegler et d’Ars Industrialis en présence également de Frédéric Lordon. La muse de Nuit Debout, qui se méfie tant de ces intellectuels qui voient des événements historiques partout, se laisse lui aussi gagner par un sentiment de bascule : « J’ai l’impression qu’il se passe quelque chose qui brise l’ordinaire des choses ».

Michel Bauwens, le théoricien du pair-à-pair, reclus en ce moment dans le Wisconsin pour mettre à jour son manifeste « P2P and Human Evolution » a eu l’intuition de ce bouleversement il y a déjà dix ans. Il a alors étudié l’histoire des changements de civilisation : la chute de l’empire Romain, le passage de la féodalité au capitalisme, etc.

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Un article de Chrystèle Bazin

Photo : Mad Max Fury Road (2015) de George Miller.

Vous êtes déjà en train d’ensemencer la transformation

[NDLR : les liens de cet article pointent vers des articles anglophones externes au blog]

Nous pouvons tous le ressentir – la maladie mentale du capitalisme à un stade avancé est à l’origine d’une dépression généralisée, d’une épidémie de suicides, de sentiments chroniques de culpabilité et de honte, et d’un sentiment général d’impuissance.

Le manque d’opportunités économiques est palpable. Les principaux medias sont détenus et contrôlés par de puissants intérêts financiers. Les élections dans de nombreuses régions du monde ont été cooptées à un point tel qu’elles n’offrent qu’une simple façade de la démocratie. Et la nature systémique de la corruption politique est devenue indéniable pour la majorité d’entre nous, à l’image de ce j’ai écrit à ce sujet ici et ici et que d’autres ont écrit assez là-dessus pour remplir toute une bibliothèque.

Le monde change rapidement et les gens partout dans le monde ressentent un grand besoin de visualiser la façon dont cela se passe. Si nous pouvons voir notre place dans le processus, nous pouvons consciemment et intentionnellement aider à y arriver plus rapidement. Je voudrais proposer une image mentale pour nous aider à faire cela :

Imaginez la surface d’un lac de montagne en hiver. La température de l’air est tombée en dessous de zéro et l’eau n’a pas encore gelé. Des milliers de «petites îles» de glace se forment comme des petits points de germination – chacun flottant séparément et indépendamment des autres.

Autour de ces îles minuscules se trouve le mélange turbulent de l’eau et de l’air, certaines molécules étant au-dessus de la température de congélation et d’autres un peu en dessous. C’est cette turbulence qui maintient l’état liquide de l’eau, même si l’air est assez froid pour geler la surface. Puis une accélération se produit… un certain nombre de poches de glace s’entrechoquent et commencent à flotter en harmonie les unes avec les autres.

Et en un éclair, les milliers d’îles minuscules se cristallisent ensemble tandis que le crépitement de la glace se propage à travers l’ensemble du lac.

glace

On appelle cela une transition de phase. C’est ainsi que le liquide et le gaz effectuent une belle danse et transforment l’eau de son état fluide à sa phase cristalline. Cela se produit avec énergie comme un modèle de mélange qui se distribue sur l’ensemble du lac. Cela arrive partout à la fois, s’auto-organise dans de nombreux endroits, et cela produit une synchronicité comparable à un modèle émergent au niveau mondial.

Maintenant, imaginez qu’au lieu d’un lac nous voyons le processus physique de changement social dans la culture d’un système économique ou politique. Au lieu de molécules d’eau, imaginez des histoires, des normes sociales et des pratiques standards – comment les gens pensent, donnent du sens, et font les choses.

Dans de minuscules poches de l’humanité, il y a des individus qui vaquent à leur vie. Au début du processus, il n’y a que quelques personnes isolées dont la vie est brisée et qui ne peuvent pas comprendre le monde autour d’eux en écoutant simplement le bon sens des autres.

Travaillez dur et vous aurez un emploi. Continuez à payer vos factures et vous sortirez de la dette. Étudiez dur et vous obtiendrez une bonne école. Obtenez un diplôme et commencez votre carrière. Achetez une maison et installez-vous pour élever une famille.

C’était le mythe de la vie standard dans notre société capitaliste au cours des trois dernières générations. Il a fonctionné pour beaucoup de gens il y a cinquante ans (même si, à l’époque, le succès était restreint la plupart du temps à des occidentaux blancs, mâles, à la démographie privilégiée) et a semblé «faire sens» pendant un certain temps. Mais maintenant cette histoire est complètement dépassée – elle ne correspond pas à notre vie quotidienne et elle est inutile pour guider la façon dont nous envisageons le monde d’aujourd’hui et agissons dans ce monde.

Comme nous sommes de plus en plus nombreux à ressentir le décalage entre la façon dont le monde est «censé être» et la façon dont il est en réalité, nous devenons un point de germination pour de nouvelles histoires. Nous devenons des îles minuscules de possibilités pour le nouveau paradigme.

Et comme nous faisons l’expérience de la turbulence et du chaos de l’incertitude dans ces conditions, nous pouvons facilement nous sentir dépassés. Le pire c’est que l’élite contrôle les médias et les utilise pour nous dire que le monde est composé d’individus, que si vous échouez c’est uniquement de votre faute, et que si vous avez des dettes (quelles que soient les situations aux éthiques discutables qui vous ont menés là) vous êtes moralement responsable de les payer. De cette façon, nous devenons esclaves des systèmes monétaires du capitalisme.

Le manque d’harmonie que nous ressentons à l’intérieur est ce qui arrive quand un système social est en panne. L’inégalité massive nous oppose les uns aux autres dans un jeu impossible à gagner où ceux qui truquent le système (mise en place de paradis fiscaux, achat des résultats politiques, suppression des taxes pour les super-riches, éviscération des programmes sociaux, etc…) sont les seuls gagnants.

Pendant ce temps, les guerres se poursuivent sans relâche, transférant les richesses des populations aux entrepreneurs de la défense, et la générosité de la nature des populations locales aux investisseurs / propriétaires de sociétés multinationales. On nous dit de ne nous en prendre qu’à nous-mêmes. Et les médias utilisent l’art de la redirection et de la distraction pour empêcher que l’on voit les Occupy Wall Streets, les printemps arabes,  les partis politiques anti-austérité, et toutes les autres émergences – les points ne sont pas connectés et nous continuons donc à nous sentir seuls.

Et pourtant, tout comme les petites îles de cristaux de glace sur ce lac en surfusion, nous sommes devenus légion. Il y a maintenant au moins 200.000.000 d’entre nous qui sommes éveillés aux valeurs sociales et aux principes d’organisation d’un nouveau monde. Nous ne continuons à perdre que parce que les «pouvoir» qui partagent l’idéologie de l’esclavage, de la dette et de la thésaurisation de la richesse nous tiennent enfermés dans leurs histoires.

Ils sont bien organisés et coordonnés dans leurs actions. Nous restons décentralisés et ignorons que nous les surpassons de plusieurs ordres de grandeur. La tâche qui nous est dévolue maintenant est de trouver une résonance dans notre expérience vécue et de tisser la tapisserie des sentiments, des pensées et des croyances dans des actions coordonnées. Je parle ici de la guérison, pas de la guerre. Nous allons gagner en touchant le plus profond de nous-mêmes et par la connexion avec notre humanité commune.

Un bref aperçu de l’histoire humaine nous fait paraître comme une espèce belliqueuse- mais c’est seulement l’histoire de la conquête de l’époque impériale des civilisations des 6000 dernières années. Revenez plus loin en arrière et vous verrez que nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ont vécu dans des bandes égalitaires durant cent mille ans ou plus. Notez les études récentes à propos de l’empathie dans les neurosciences, la psychologie et la sociologie et vous verrez que nous sommes câblés pour la coopération et capable d’inspirer beaucoup de compassion à nos frères humains et au reste du monde naturel.

Donc, je vous propose cette image mentale. Soyez une île de cristal d’espoir. Structurez votre histoire qui parle de la vérité de votre expérience vécue. Grâce à ce processus de guérison, vous atteindrez et engagerez vos collègues hommes et femmes dans la lutte. Trouvez votre voix. Exprimez votre vérité. Et vous ferez partie des vagues de transformation qui vont suivre.

En avant, frères humains !

Article original de Joe Brewer traduit par Maïa Dereva

Photo by AlicePopkorn2