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Plan de transition vers les communs de la ville de Gand

Un travail réalisé par Michel Bauwens et Yurek Onzia

Contexte et structure de ce rapport :

Cette étude a été commandée et financée par la ville de Gand, ville d’environ 300 000 habitants chef-lieu de la province de Flandre-Orientale. Ce travail a bénéficié du soutien du maire de Gand Daniel Termont, du chef du personnel de la mairie, du chef du département stratégie, ainsi que de la coalition politique en charge de la ville : le parti socialiste flamand SPA, les Verts flamands (Groen) et le Parti libéral flamand (Open VLD).

L’objet de ce projet était de documenter l’émergence et la croissance des Communs dans la ville, d’expliquer pourquoi cela se produisait et de déterminer le type de politique publique à même de soutenir les initiatives à base de ‘Communs’, en se basant sur la consultation des citoyens actifs de Gand.

Les auteurs du rapport sont Michel Bauwens en tant que chercheur et Yurek Onzia en tant que coordinateur du projet.

Timelab, un ‘makerspace’ artistique dirigé par Evi Swinnen, et le chercheur universitaire grec du P2P Lab Vasilis Niaros, ont joué un rôle de soutien important dans la réalisation de ce projet.

La consultation, qui a eu lieu au printemps 2017, a pris la forme suivante :

  • Une cartographie de 500 projets promouvant l’usage de ressources et pratiques communes (les Communs), par secteur d’activité (nourriture, logement, transport, etc.), via un wiki disponible sur http://wiki.commons.gent
  • Plus de 80 entretiens et conversations avec les principaux participants et responsables des projets autours de ces communs
  • Un questionnaire écrit qui a été renvoyé par plus de 70 participants
  • Une série de 9 ateliers thématiques : ‘la nourriture comme Commun’, ‘l’énergie comme Commun’, ‘le transport comme Commun’, etc.
  • Un atelier sur le financement des Communs, basé sur la méthodologie développée par Stephen Hinton, qui examine les opportunités économiques, les difficultés d’implémentation et les modèles utilisés par les projets communs

Le rapport comprend quatre parties

La première partie fournit le contexte sur l’émergence de communs urbains, dont la taille a été multipliée par 10 en Flandre au cours des dix dernières années selon l’analyse du bureau d’études Oikos. Cette partie se concentre sur le défi que l’émergence de ces communs urbains représente pour la ville, les pouvoirs publics, les acteurs du marché et pour les organisations traditionnelles de la société civile. L’objet est comprendre la façon dont la nouvelle logique contributive des communes défie (mais enrichit également) la logique de la représentation des politiques démocratiques européennes, et dans ce cas particulier, au niveau d’une ville.

Nous examinons également les opportunités inhérentes aux nouveaux modèles, comme une participation plus active des habitants à la construction de leurs villes, à la résolution des défis écologiques et au changement climatique, ainsi qu’à la création de nouvelles formes de travail qui apporte plus de sens au niveau local.

La deuxième partie du rapport donne un aperçu du développement des communs urbains à un niveau global, en particulier dans les villes européennes. Nous examinons de plus près les expériences mises en place à Bologne (avec le règlement de Bologne pour les soins et la régénération des communs urbains, adopté par de nombreuses autres villes italiennes ), à Barcelone (les politiques de la nouvelle coalition politique de En Comu), à Frome au Royaume-Uni (pour sa coalition civique qui a remplacé les partis politiques traditionnels aux commandes de la mairie), ainsi qu’à Lille avec son expérience d’une Assemblée de Les Communs comme une voix et une expression des communs locaux.

La troisième partie aborde l’analyse des communs urbains à Gand elle-même, en soulignant certaines de leurs forces et faiblesses.

La quatrième partie, sur la base de l’analyse menée dans les sections précédentes nous amène à des recommandations en termes d’adaptation institutionnelle afin d’appréhender les nouvelles exigences émanant de l’usage de ces communs. Il s’agit d’un ensemble de 23 propositions cohérentes pour mettre en place des communs publics que la ville pourra utiliser dans ces processus de co-création. D’une certaine manière, cela représente le passage des ‘communs urbains’ à une vision plus ambitieuse d’une «ville des communs».

Le contexte de l’émergence des communs urbains

Nous définissons les biens communs comme une ressource partagée, mise en copropriété ou co-gestion par une communauté d’utilisateurs et d’intervenants, et qui obéit aux règles et normes de cette communauté. Il ne peut pas y avoir de ‘commun’ sans coproduction active (le ‘faire’ en commun), et sans le respect de règles sociales et d’auto-gouvernance pour guider ce ‘faire en commun’. Ainsi, cette approche diffère des biens et services dits publics, des biens et services répondant de la ville ou de l’État, ainsi que des propriétés privées gérées par leurs détenteurs. Une étude néerlandaise de Tine De Moor (Homo Cooperans), ainsi qu’une étude pour le gouvernement Flamand par le Think Tank Oikos confirment une forte augmentation du nombre d’initiatives civiques reposant sur des communs (‘reposant sur des communs’ signifie que des aspects importants de ces initiatives sont organisés autour d’un commun). Cette augmentation est liée à une prise de conscience croissante parmi diverses catégories de citoyens qu’une transition sociale et écologique est nécessaire compte tenu de l’échec relatifs de l’Etat et du marché. Cette prise de conscience a été renforcée par la crise économique et systémique de 2008, qui a vu les pouvoirs publics se désengager de leurs responsabilités de gestion des infrastructures communes.

Cependant, ces nouveaux communs urbains ne peuvent exister «par eux-mêmes» en tant que projets et entités entièrement autonomes coupés du reste des structures économiques et sociales. Ils doivent nécessairement interagir avec les pouvoir publiques ‘étatiques’ et les marchés commerciaux, afin d’accéder aux ressources dont ils ont besoin.

Ainsi, ces communs représentent aussi un défi pour les autres institutions:

  • C’est un défi pour la ville, car les communs revendiquent des ressources publiques et privées, régies par la ville. Ils revendiquent aussi des biens privés laissés en désuétude depuis un moment. L’auto-gouvernance au sein des communs, qui prend le plus souvent la forme d’une logique contributive (ce sont les contributeurs et participants qui gèrent les projets – pas nécessairement tous les citoyens) est également un défi pour la démocratie représentative. Les ‘commoners’ ont une double exigence : obtenir le soutien des institutions, tout en ayant peu envie de se soumettre au contrôle et limitations de leur autonomie.
  • C’est un défi pour les forces du marché, qui peuvent se retrouvées remises en cause par des projets communaux lorsque les solutions offrent des alternatives aux arrangement privés et commerciaux. Les projets communaux peuvent aussi mettre à jour le caractère extractif des forces du marché qui reposent sur des ‘enclosures’ que les communs rejettent, créant des relations conflictuelles …
  • C’est aussi un défi pour les organisations traditionnelles de la société civile, définies et construites par adhésions, des cadres professionnels et une gestion bureaucratiques, éléments souvent rejetés par les initiatives basées sur les communs.

Les biens communs requièrent une ville «partenaire», qui permet et soutient les initiatives civiques basées sur les communs. Ils requièrent des types de marchés qui soutiennent l’approche des communs et créent des moyens de subsistance pour les principaux contributeurs. Ils nécessitent aussi le soutien des organisations de la société civile.

Une découverte importante émanant de notre analyse des 500 projets autour des communaux urbains de Gand est que leur structure ressemble fortement à celle de l’économie numérique des communs née de l’explosion de l’internet et du pair à pair. Cela signifie que, au cœur des communs urbains, nous trouvons des communautés productives fonctionnant grâce à des contributions ouvertes et volontaires. Cela signifie que ces communs urbains et leurs plates-formes arrivent à produire des formes marché génératives si elles sont suffisamment élastiques, résilientes et autosuffisantes au fil du temps. Cela veut dire que des coalitions entrepreneuriales ont une relation constructive les communs et les commoners, et qu’elles sont soutenues par les autorités, agences et fonctionnaires de la ville, ainsi que par les organisations de la société civile qui se sont adaptées aux besoins des nouveaux citoyens-commoners.

Ces relations sont illustrées par le diagramme suivant :

Source : model Polygovernance, p. 58

Ce graphique montre les cinq points d’entrée dans l’économie des communs ou la ville intervient activement (bas de la figure), les 3 piliers de l’économie des communs, ainsi que les processus et institutions qui pourraient être mis en place comme méta-structure afin de guider la collaboration entre les commoners, la ville et les entités économiques.

Il apparaît aussi clairement que les initiatives autour des communs et leur économie émergente représentent un fort potentiel pour la vie sociale et économique de la ville.

Les trois principaux potentiels sont, à notre avis, les suivants :

  • Les biens communs constituent une partie essentielle de la transition écologique : les infrastructures partagées et mutualisées ont une empreinte environnementale nettement plus faible que les systèmes basés sur « l’individualisme possessif », ceci à condition que cela soit mis en place de manière réfléchie et systémique. Un bon contre-exemple illustrant cette condition est la concurrence effrénée entre les conducteurs VTC (le modèle d’Uber) qui s’avère totalement contreproductif et annihile les avantages environnementaux du concept original (l’idée était d’utiliser des places vacantes dans des voitures qui circulaient à vide, pas de créer une flotte de nouvelles voitures ex nihilo). Des réductions substantielles l’empreinte matérielle (et de l’empreinte carbone) sont possibles avec les modèles centrés sur les communs.
  • Les biens communs sont un moyen de réindustrialisation la ville suivant le modèle dit de « cosmo-localisation » qui allie le « penser global » (les techniques et savoirs faire sont partagées globalement) et re-localisation intelligente de la production. Un exemple est la façon dont la ville pourrait rétablir des sources locales et saines pour le repas des cantines des écoles publiques (5 millions de repas par an, sans compter les autres établissements publics qui pourraient adhérer à un tel programme). Une initiative alliant l’approvisionnement auprès des agriculteurs bios urbains / rurban en circuits courts, le transport sans carbone (Gand est plat, ce qui permet l’acheminement a vélo) et la cuisine locale, créerait des centaines d’emplois dans l’économie locale. Socialement, cela signifierait des emplois non seulement pour les cols blancs mais aussi pour les cols bleus qui ont été durement touchés par le modèle de mondialisation néolibéral écologiquement insoutenable.
  • La démocratie représentative est, pour un certain nombre de raisons interconnectées, en crise profonde et face à une crise de confiance. Et le monde de la production est encore presque entièrement non démocratique. A contrario, les communs reposent sur l’autonomie et l’auto-gouvernance des systèmes de production de valeur, et sont donc l’un des rares espaces de vraie démocratie et de participation. Des communs inclusifs et diversifiés pourraient au minimum offrir un complément à la démocratie représentative actuelle, créant ainsi un système de « Démocratie + », renforcé par la participation, délibération et modèles de gouvernance multipartite en coopération avec les initiatives des communs.

Analyse de la situation à Gand

Gand est une ville dynamique de près de 300 000 habitants, dont un grand nombre de jeunes et d’étudiants. C’est une ville dans laquelle les communs ont déjà une présence forte et bénéficient du soutien d’une administration municipale active et impliquées.

  • Une tradition de coalitions de centre-gauche a créé une culture politique et administrative distincte avec de nombreux fonctionnaires de la ville impliqués. La ville œuvre activement pour la réduction des émissions carbone, pour la réduction du trafic, et dispose de facilitateurs de quartier, de facilitateurs sociaux, de médiateurs dans les écoles, de travailleurs de rue et d’autres types de personnel très actifs au niveau local. Cela inclut différents types de soutien pour les initiatives communes
  • La ville a une politique volontaire pour soutenir l’utilisation temporaire de terrains et bâtiments vacants par des groupes communautaires.
  • La ville compte environ 500 initiatives axées sur les communs dans une variété de secteurs : la nourriture, l’hébergement, la mobilité, etc. Beaucoup d’entre elles sont actives autour de la nécessité de transitions socio-écologiques dans leurs domaines et quartiers respectifs

Ces aspects positifs devraient être tempérés par les problèmes suivants :

  • Les efforts de la ville ainsi que et les initiatives autour des communs sont très fragmentés ;
  • De nombreux obstacles réglementaires et administratifs entravent l’expansion des initiatives reposant sur des communs. Le logement mutualisé est un exemple: nous avons reçu de la part de militants de ce secteur une note de 7 pages listant toute une série d’obstacles ;
  • Bien qu’il existe un certain nombre d’espaces fablabs / coworking et certaines initiatives artisanales, il existe encore peu d’activités autour de l’Open Design en vue d’une production réelle ;
  • Bien que dotée d’une large université active dans le domaine de la durabilité, les liens entre l’université et les projets issues des communs sont ténus, et certaines de ses composantes sont parfois clairement hostiles aux projets ‘open source’ ;
  • Bien que bon nombre des principaux militants des communs soient confrontés à des modes de vie et des revenus précaires, ils détiennent des connaissances importantes et comptent parmi les plus anciens membres de la communauté. Il existe de nombreux projets autour des communs dans les communautés issues de l’immigration, mais ils sont pour la plupart limités aux appartenances ethniques et religieuses, et il y a encore relativement peu de cross-over. Il existe cependant des contre-exemples réussis tels que les initiatives dans le quartier de Rabot.
  • Les organisations issues de la société civile jouent un important rôle en soutenant les projets urbains, mais peut-être se considèrent-ils utiles pour les groupes et populations les plus vulnérables et non comme des ressources clés hautement productives
  • Malgré le soutien de la ville, les principaux biens communs potentiels sont en grande partie fermés et vulnérables à l’extraction privée. Ainsi, les modèles actuels ne remettent pas vraiment en cause le consensus général mais offrent les moyens de coexister avec les principaux déséquilibres.
  • Malgré sa longue histoire d’auto-organisation avec les guildes du Moyen Âge et un mouvement ouvrier très fort au 19ème siècle, le secteur coopératif et ses mécanismes de soutien sont assez faibles. L’infrastructure censée soutenir le secteur coopératif est faible ou inexistante, et en conséquence pas assez robuste pour soutenir un secteur coopératif qui nécessiterait des infrastructures communes.

Propositions pour l’administration municipale

La logique générale de nos propositions est de mettre en avant des innovations institutionnelles réalistes mais importantes qui peuvent conduire à de nouveaux progrès et à l’expansion des communs urbains à Gand, afin que la ville puisse atteindre ses objectifs écologiques et sociaux.

Nous proposons des processus et des protocoles publics-sociaux ou partenariats publics pour rationaliser la coopération entre la ville et les commoners dans tous les domaines nécessitant une intervention humaine.

L’objet de la section qui suit n’est pas de résumer toutes les propositions, mais de mettre en exergue leur logique sous-jacente.

Ce graphique (« de voorgestelde transitiestructuur in Gent ») montre la logique sous-jacente générale.

Les initiatives des communs peuvent soumettre leurs propositions et requêtes à un ‘City Lab’, qui prépare un «Accord des Communs» entre la ville et l’initiative. Le modèle s’inspire des pratiques mises en place par la ville de Bologne avec sa «Bologna Regulation for the Care and Regeneration of the Urban Commons ».

Sur la base de ce contrat, la ville soutient des alliances spécifiques entre Commoners, organisations de la société civile, la ville elle-même, et le secteur privé, ceci afin de mettre en place des soutiens mutuels entre ces différents acteurs.

Ce graphique («model transitieversterkend platform») décrit une infrastructure institutionnelle intersectorielle pour l’élaboration et l’élaboration d’une politique des communs, divisée en «zones de transition».


Ce modèle émane des pratiques déjà existantes autour de la transition alimentaire, qui est loin d’être parfaite mais qui selon notre analyse possède néanmoins la logique institutionnelle à même de mener à des résultats probants.

La ville a en effet lancé une initiative, ‘Gent en Garde’, qui soutient les cinq objectifs des organisations issues de la société civile actives dans le domaine de la transition alimentaire (aliments bio locaux, production équitable), et qui fonctionne comme suit.

La ville a lancé un ‘Food Council’, qui se réunit régulièrement et qui pourrait participer à la politique alimentaire. Ce conseil reflète les acteurs en présence et possède les forces et les faiblesses de toute organisation représentative. Mais il compte également parmi ses membres le «food working group» qui regroupe les membres travaillant à cette transition au niveau “grassroots” qui suivent une logique contributive, où chaque contributeur a une voix. Selon nous, c’est cette combinaison de logique à la fois représentative et contributive qui est la mieux à même de créer une Démocratie + super-compétente, en cela qu’elle dépasse les limites de la représentativité intègre la logique contributive des Commoners. Mais comment les Commoners peuvent-ils peser d’un poids politique important? Cela nécessite une voix et la capacité de s’organiser. Nous proposons donc la création d’une Assemblée des Communs pour tous les citoyens actifs dans la co-construction des communs, et d’une Chambre des Communs pour tous ceux qui créent des moyens de subsistance autour de ces communs; ceci afin de donner plus de pouvoir et poid social à ces communs.

Ce processus essentiel de participation peut être répliqué dans tous les domaines de la transition, et permettrait d’obtenir le soutien de la ville et des institutions pour aboutir à l’Énergie en tant que commun, la mobilité en tant que commun, le logement en tant que commun, la nourriture en tant que commun, etc.

Nous proposons également ce qui suit (non exhaustif) :

  • La création d’un service d’assistance juridique ayant au moins un représentant de la ville et un représentant des communs afin de résoudre les situations de blocage éventuel, en trouvant des solutions aux obstacles réglementaires
  • La création d’un incubateur pour une économie collaborative basée sur les communs. Incubateur qui se concentrera spécifiquement sur des défis des start-ups ‘génératives’  c.a.d. les entreprises qui soutiennent l’expansion des communs, sans exploiter ni les contributeurs, ni les ressources communes utilisées
  • La création d’un véhicule d’investissement, la banque des communs, qui pourrait être une banque municipale fonctionnant sur mode de gouvernance public-social, c.a.d. un mode de gouvernance qui inclut une multi-gouvernance des acteurs sociaux, et non privées
  • Augmenter la capacité des terres et des bâtiments temporaires, et oeuvrer vers des solutions plus permanentes pour résoudre la crise du logement affectant les commoners et citoyens
  • Le soutien plates-formes coopératives comme alternatives aux formes les plus extractives de la mal-nommée ‘sharing economy’
  • Aider au développement des infrastructures mutualisées («protocole coopératif»), à travers la coopération interurbain (par exemple éviter le développement de 40 différentes alternatives à Uber dans 40 villes différentes)
  • Faire de Gand “la” ville incontournable des communs en promouvant la marque «Gand, Ville des Communs». Par exemple en incitant la venue des visiteurs pour les conférences des communs, etc.
  • Suivant l’expérience du collectif d’usage de l’ancienne bibliothèque NEST, nous proposons de généraliser des appels d’offres non-compétitif mais complémentaires, c.a.d les ‘appels aux communs’ qui privilégient les coalitions les plus inclusives et complémentaires

Nous proposons également:

  • Un projet spécifique pour tester la capacité de la «production cosmo-locale» à créer des emplois locaux significatifs (aliments bio pour les déjeuners scolaires), et à tester le rôle potentiel des institutions et fournisseurs sociaux
  • L’organisation d’un CommonsFest le 28 octobre, avec la tenue d’une première Assemblée des Communes
  • Un projet pilote autour de la «finance circulaire» générant des économies dans le budget de la ville grâce à l’élimination d’«externalités négatives». Ces économies peuvent être réinvesties dans les projets communs (par exemple, réinvestir les économies réalisées sur la purification d’eau pour soutenir l’acquisition de terres pour les agriculteurs biologiques)
  • La mise en place d’une unité de production expérimentale basée sur la fabrication distribuée et le design ouvert
  • Des projets qui intègrent des institutions du savoir telles que l’université avec les projets communs ‘grassroots’

Photo de l’entête : estefaniabarchietto (CC BY-NC-SA 2.0)

L’importance de l’empathie et de l’affectif dans nos communautés : Copylove et les communs invisibles

Copylove a débuté en 2011 en tant que réseau informel local pour stocker des recherches à propos de biens communs et de féminisme. Plus tard, il s’est ouvert au public via www.copylove.cc (en espagnol) , sous la responsabilité de Sofía Coca (Zemos98, Séville, Espagne), Txelu Balboa ( COLABORABORA , Pays Basque) et Rubén Martínez ( Fundación de los Comunes , Barcelone). Le site public copylove.cc explore les liens et relations au sein d’une communauté d’agents qui génèrent des communs pour la communauté. Copylove explore plus profondément tous les paramètres qui nous permettent de reproduire les conditions d’une existence désirable : affection, interdépendance, entraide, attirance pour la communauté, empathie, etc. Parler de Copylove, c’est évoquer tout ce que nous faisons et reproduisons pour nous rapprocher du « bien vivre », d’une existence durable, au-delà d’une simple évaluation économique.

copylove-map

Carte des conditions de coexistence produite collectivement lors des premières « résidences » Copylove (Traduction Rubén Díaz).

L’histoire-derrière : Communs, Amour et Recombinaisons

En janvier 2012, Copylove a lancé le festival de Zemos98 sur la base d’une hypothèse apparemment simple : étudier de quelle façon l’affection et l’empathie (care) permettent de cultiver des relations au sein d’une communauté produisant des biens communs. Prenant ce point de départ, le groupe a organisé des résidences en Février, puis en Mars et Avril 2012 pour que des personnes provenant de plusieurs groupes ayant une expérience communautaire puissent échanger différentes approches sur l’affection, les communs et la communauté.

Nous croyons aux Communs. Comme l’a dit Elionor Ostrom, les Communs sont parfois hors du marché ou des services publics. Les Communs portent sur les contenus que nous partageons tout le temps dans nos réseaux numériques, mais ils n’ont rien de nouveau. Quand on parle de biens communs, nous parlons en fait de concepts déjà anciens. La recette d’un gazpacho typique d’Andalousie est par exemple une recette appartenant aux Communs. Elle n’est pas du domaine privé. Mais pas exactement publique non plus, au sens d’un bien régi par des règles officielles et des institutions. Cette recette construit un code commun. Un langage commun. Vous pouvez choisir une seule recette et créer votre propre version. Mais, si vous partagez votre propre version, tout le monde peut faire la même chose et recomposer votre version parce que la culture est un palimpseste infini. Par conséquent, nous devons bien sûr élargir l’utilité des Communs. Nous devons propager les communs pour nous aider à construire nos communautés.

D’autre part, lorsque nous parlons du marché et le gouvernement, nous nous référons à des qualificatifs comme «intérieur» ou «extérieur» aux communautés, et nous nous référons au système économique officiel. Divisons-le en deux registres: celui de production et celui de la reproduction. Certaines études féministes estiment que nous répondons toujours aux questions sur un registre officiel et productif. Lorsque vous demandez à quelqu’un, «Que faites-vous?», Les gens répondent dans le registre professionnel. Ils ne disent pas: «Je suis une mère» ou «Je fais cuire habituellement du riz avec des légumes». Pourtant, quelle importance a ce genre de tâches au sein de nos communautés? Pourquoi ne pouvons-nous pas en parler? Nous estimons que ces aspects renvoient à cette sphère reproductive. Et vous pouvez imaginer à quel point elle est importante pour notre culture.

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« Nos mères nous ont appris que la vie est un champ de bataille. Le champ de bataille pour rendre possible ce que nous estimons être la Vie « . L’affiche du 14 Zemos98 Festival, dédiée à nos mères.

Communs, amour et recombinaison ont été les trois concepts initiaux, liés les uns aux autres, ils ont ouvert le champ pour commencer à construire collectivement le sens du « copylove ». Nous avons vu plus tôt qu’ils étaient entrelacés se nourrissant les uns des autres : l’affection nourrit les communs et vice versa. Nous devons placer l’affection au centre, comprendre que les communs présupposent l’existence d’une communauté, découvrir que les communautés ont des liens et des valeurs constitutives; mais aussi qu’elles requièrent pour être durables une dimension d’empathie et de soin, une appréciation subjective de chacun élaborée à partir de ses affections.

Les Communs invisibles

Nul doute que l’objectif de la première édition de Copylove était de rendre visible toutes ces manières de faire, et de créer une communauté dont les citoyens seraient au cœur. Pour devenir plus précis à ce sujet, nous avons voulu nous remémorer ces usages quotidiens si ancrés dans notre vie de tous les jours qu’ils passent inaperçus, tant ils sont essentiels pour maintenir notre cohésion vitale. Les communs invisibles sont ces ressources non-monétaires, ces façons de faire auxquelles nous sommes assimilés (en positif comme en négatif), ces processus que nous avons appris ou acquis dans notre vie ensemble et qui rendent la communauté durable. Ces communs sont invisibles quand nous les supposons «naturels», mais la plupart du temps et en particulier pour les communs liés au travail des femmes, le régime développementaliste dans lequel nous vivons les a rendu invisibles. La spécialité de notre modèle environnant est précisément d’ignorer ce qui rend notre vie vivable.

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«Les citoyens-Godzilla », affiche du Festival 15 Zemos98.

Sur la base de ces conclusions, nous avons atteint un tournant dans notre recherche. Nous avons dû structurer ce que nous avions appris et poser de nouvelles questions. Poursuivant notre piste, l’idée de «biens communs invisibles» se révèle une bonne description de ce que nous avions appris jusque-là, et elle nous a permis de continuer à découvrir toutes ces pratiques qui dépassent le registre purement productif évoqué plus haut. Pour mieux comprendre toutes les ressources et les processus communautaires que nous activons simultanément et qui nous sont chers, nous avons commencé à recueillir auprès de groupes et d’associations de Bilbao à Barcelone les questions pour la future résidence de Copylove.

Nous étions toujours à la recherche de ces communs invisibles à parcourant les trois axes du début qui devaient nous aider à aller vers l’étape suivante. Trois grands concepts seraient utiles et fourniraient de nouvelles questions sur « copylove » : la communauté, la mémoire et la vie expliqués par les participants dans cette vidéo (sous – titres anglais) :

Se sont ensuite succédés un autre festival Copylove en avril 2013 et une campagne de crowdfunding (regroupant 7.865 €) pour rassembler tous les essentiels appris dont nous avions intégré la plupart dans nos pratiques quotidiennes et dans notre mode de vie personnelle et professionnelle.

Pour conclure, sans empathie et sans soin, la vie est impossible. La vie ne peut pas être «productive» que dans une économie centrée sur cette attention. Si nous avons été « productifs » dans cette fiction appelée Capitalisme, c’est grâce à notre souci pour les autres, à ce que certains qualifient d’«improductif» : le travail domestique, la reproduction des tâches invisibles. Sans empathie, la vie professionnelle ne pourrait pas exister dans une économie de marché. Ce travail invisible a été fait par les femmes (et ici «femmes» peut également être compris comme des minorités). Ni l’Etat ni le marché n’ont réussi à couvrir ce besoin fondamental : le droit à recevoir de l’attention et du soin.

La stratégie post-capitaliste de la P2P Foundation

Comment créer une stratégie post-capitaliste? Comme indiqué dans un précédent billet – où nous décrivons le travail de Kojin Karatani- nous sommes d’accord que le système actuel est basé sur une trinité Capital-État-Nation, et que cela reflète l’intégration des trois modes d’échange. Le capital représente une forme particulière du marché basée sur l’accumulation sans fin du capital. L’Etat est l’entité qui maintient le système à la fois par la contrainte, la loi et la redistribution (Karatani appelle cette fonction « régner et protéger »), et la nation est la « communauté imaginée » qui est le lieu de la survie de la communauté et de la réciprocité. Une stratégie post-capitaliste doit nécessairement dépasser les trois dans une nouvelle intégration.

Disrupter l’accumulation du capital

Surmonter la forme capitaliste du marché appelle à une perturbation de l’accumulation du capital. Cela peut et doit se faire de deux façons :

Tout d’abord, le marché capitaliste considérant le travail comme une marchandise, il en découle que dépasser le capitalisme signifie refuser de fonctionner dans un capitalisme de travail-marchandise. Voilà pourquoi nous préconisons vivement le coopérativisme ouvert : des formes entrepreneuriales où les commoners travaillent pour eux-mêmes et pour le bien commun de la communauté et de la société au sens large. Ce travail a lieu dans des associations démocratiques qui créent des moyens de subsistance autonomes autour des communs qui sont, à leur tour, protégés de la capture de la valeur grâce à des membranes telles que les licences fondées sur la réciprocité. Ces organisations, centrées sur les commoners et leurs moyens de subsistance, plutôt que de se livrer à l’accumulation de capital, favorisent l’accumulation  coopérative au service des communs, par le biais de mécanismes dans lesquels les intérêts individuel, collectif et de la société convergent.

Les systèmes contributifs ouverts basés sur les communs sont conçus de telle sorte que les motivations personnelles des commoners peuvent contribuer activement à la création d’un bien commun ; ce qui s’oppose aux hypothétiques et accidentelles dérives positives de l’égoïsme généralisé. Des mesures comme un revenu de base – en conjonction avec des services sociaux « communifiés » seraient susceptibles également de supprimer sensiblement la contrainte pour les travailleurs de vendre leur force de travail, tout en renforçant la capacité de créer des entités économiques alternatives. Toutefois, dans l’intervalle, nous devons faire face à la réalité qui existe aujourd’hui, et créer nos propres mécanismes de financement et d’affectation des ressources.

La deuxième façon de se retirer du capitalisme et de l’accumulation du capital est de supprimer notre coopération en tant que consommateurs. Sans les travailleurs en tant que producteurs et les travailleurs en tant que consommateurs, il n’y a pas de reproduction du capital. En tant que consommateurs, nous devons concevoir et mettre en œuvre de nouvelles formes de consommation provenant de la création de coopératives ouvertes. Lorsque les travailleurs et les commoners mutualisent leur consommation dans des formes de marché communs tels que l’agriculture locale en circuits courts soutenue par une communauté locale (comme les AMAP), etc., ils n’achètent pas des produits qui renforcent l’accumulation du capital. Au contraire, ils contribuent à l’accumulation de coopération évoquée plus haut. Par conséquent, dans la mesure où nous organisons systématiquement de nouveaux systèmes d’approvisionnement et de consommation en dehors de la sphère du capital, nous minons également sa reproduction et l’accumulation de capital. De plus, nous créons des moyens « de transvestissement » [« transvestment« ], qui permettent l’inclusion du capital, mais qui sont subordonnés aux nouveaux communs et aux formes de marché développées grâce à la production par les pairs ; cela crée un flux de valeur du système de capital vers le système de l’économie des biens communs. Face à une crise d’accumulation du capital, il est tout à fait réaliste d’attendre de nouvelles sources de valeur à la recherche de leur place dans l’économie des communs. Au lieu de la cooptation de l’économie des communs par le capital, sous la forme de plates-formes capitalistes netarchiques qui captent la valeur des communs, nous co-optons le capital dans les communs en le soumettant aux règles des communs. Les exemples actuels de stratégies de transvestissement sont le modèle de rendement plafonné lancé par Enspiral, ou le système de comptabilité open-value créée par Sensorica.  La clef des stratégies de ces coalitions de marché éthique et génératives, qui créent de la plus-value autour des communs et pour les communs, est la « souveraineté de la valeur », c’est à dire le refus de laisser le marche capitaliste décider ce qui a de la valeur ou pas.

L’État post-capitaliste

Nous pouvons également obtenir des effets de transvestissement similaires avec l’Etat ! Nous nous inspirons ici de tous les mouvements sociaux qui n’ont jamais obtenu gain de cause en abolissant l’Etat, mais en le domestiquant, et en imposant des nouvelles valeurs, un droit de participation et des droits pour les groupes exclus (mouvements féministe, des travailleurs, des droits civils, de protection écologique, etc…). Notre stratégie pour un «État partenaire» est de « communifier » l’état. Imaginez que nous sommes en mesure de transformer les fonctions de l’Etat afin qu’elles encapacitent réellement et permettent l’autonomie des citoyens en tant qu’individus et groupes. En tant que tel, ils auraient les outils pour créer des ressources communes, au lieu d’être «consommateurs» passifs des services de l’Etat. Nous abolissons la séparation de l’état et de la population en augmentant la prise de décision démocratique et participative. Nous considérons le service public comme un bien commun, donnant à chaque citoyen et résident le droit de travailler dans ces services publics commonifiés. Nous faisons des accords publics-communs afin que les communautés de parties prenantes puissent co-diriger les services publics qui les touchent. Mais nous ne «retirons» pas complètement l’Etat parce que nous avons besoin de bonnes institutions communes pour tout le monde au sein d’un territoire donné, des institutions qui créent des capacités égales pour tous les citoyens de contribuer aux biens communs et aux organisations de marché éthiques.

Dans notre précédent billet, nous avons soutenu que la trinité Capital-État-Nation n’est plus en mesure d’équilibrer le capitalisme mondial, car elle a créé une classe financière transnationale très puissante, qui est capable de déplacer des ressources à l’échelle mondiale et de discipliner les états et les nations qui osent le rééquilibrer. Notre réponse est de créer des entités civiques et économiques translocales et transnationales qui peuvent éventuellement rééquilibrer et contrer le pouvoir de la classe capitaliste transnationale. Ceci est réaliste étant donné que les technologies de production par les pairs ont créé des communautés mondiales de conception ouverte qui mutualisent les connaissances à l’échelle mondiale, et parce que des organisations et coalitions mondiales et éthiques de marché peuvent être créées autour de ces communautés. Même si nous produisons localement, nous pouvons également organiser des communautés productives trans-locales. Ces communautés productives trans-locales, ne sont plus liés par l’État-Nation, ont pour projet et nécessitent des formes de gouvernance capables d’opérer à l’échelle mondiale. De cette façon, elles transcendent aussi le pouvoir de l’État-Nation. Comme nous l’avons expliqué dans notre stratégie concernant le marché capitaliste mondial, ces forces peuvent agir contre l’accumulation du capital au niveau mondial, et créer une énergie mondiale contre-hégémonique. Selon toute vraisemblance, cela va créer des mécanismes de gouvernance mondiale et des institutions qui ne sont plus inter-nationales, mais transnationales (tout en évitant les tendances du capitalisme transnational).

La nouvelle trinité intégrative

En conclusion, notre objectif est de remplacer le dysfonctionnement de la trinité Capital-État-Nation par la création d’une nouvelle trinité intégrative : Communs-Marché éthique-État partenaire. Cette nouvelle trinité irait au-delà des limites de l’État-Nation en opérant au niveau transnational, transcendant la trinité plus ancienne et dysfonctionnelle et évitant la domination mondiale du capital privé. Les citoyens pourraient développer des subjectivités cosmopolites à travers ces processus, ainsi qu’une allégeance aux Chambres et aux Assemblées des communs axées sur les communautés locales et transnationales de création de valeur et de la distribution de la valeur.