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L’économie du partage selon Michel Bauwens

Intervention de Philippe Van Muylder au Colloque du groupe CDH au Parlement bruxellois.

Depuis Michel FOUCAULT, nous savons ce que valent les classifications.

Partons cependant, si vous le voulez bien, de celle que propose Michel BAUWENS dans son récent ouvrage : Sauver le monde. Vers une économie post-capitaliste avec le peer-to-peer (Ed. LLL, 2015).

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Bauwens, on le voit, structure l’économie collaborative en quatre quadrants, construits sur deux axes.

Le premier axe, vertical, vise le contrôle centralisé (ou son absence). Exemple-type de centralisation : Facebook (nous ne savons ni où se trouvent les ordinateurs de FB, ni ce que deviennent les données personnelles que nous lui confions).

Le second axe, horizontal, oppose orientation-profit et orientation-utilité sociale.

C’est sur cette base que Bauwens distingue quatre types de démarches économiques participatives.

Par capitalisme ‘netarchique’, il vise des plates-formes participatives dirigées par un ‘maître de réseau’ (comme Facebook ou Google). Ces entreprises sont évidemment complexes, ce sont des médailles à 2 faces : ainsi, FB est à la fois une grosse entreprise, accumulant des profits sur le dos de ses utilisateurs (qui créent toute la valeur) & une structure autorisant des relations entre pairs à un degré élevé, permettant aux gens de communiquer entre eux et de collaborer. À noter : on se trouve ici, bel et bien, face à une démarche de rentiers (toutes ces entreprises font du profit sur des valeurs créées par d’autres).

Par capitalisme distributif, Bauwens vise ce qu’il appelle des ‘places de marché’ peer to peer, comme Uber (on parle aujourd’hui  de mille chauffeurs à Bruxelles), Airbnb (qui louerait actuellement quatre mille chambres dans notre Région), e Bay mais aussi ce qu’il est convenu d’appeler le social lending (soit des opérations de prêt entre particuliers, qui décident de ‘by-passer’ le secteur bancaire).

Dans ces deux premiers quadrants, la logique qui prévaut est bien sûr une logique de profit, avec ses ingrédients traditionnels : concurrence déloyale, évitement de l’impôt, évitement des cotisations sociales.

Le troisième quadrant est dénommé résilience locale par Michel Bauwens.

On entre, ici, de plain-pied dans le social profit. Exemple-type : le covoiturage entre collègues de travail, au sein d’une entreprise ou d’un quartier d’entreprises.

Reste, enfin, un quatrième et dernier quadrant : les communs au niveau mondial. Exemple-type : Wikipédia.

Essayons maintenant de bien sérier les problèmes, à partir de cette taxonomie.

Au regard de la question « l’économie collaborative induit-elle une évolution positive ou une régression sur le plan du travail ? », l’économie de partage au sens restreint (le covoiturage entre collègues, le partage d’une buanderie dans un immeuble, l’échange momentané d’une tondeuse contre un grille-pain, un petit travail de peinture contre une heure de soutien scolaire), n’appelle évidemment pas les mêmes réponses que Uber, Airbnb, Facebook, Google ou même Wikipédia.

Toutefois, quel que soit le quadrant visé, un premier problème, transversal, apparaît :

l’économie collaborative dessine une société aux carrières professionnelles extrêmement flexibles, où se succèderont dans le temps des périodes de travail salarié, des périodes de chômage (durant lesquelles pourront plus facilement être menés des projets collaboratifs), ou encore des périodes d’ entrepreneuriat social. On voit mal comment cette énorme flexibilité pourrait se passer de la mise en place d’un revenu de base garanti (en d’autres termes, d’une allocation universelle).  Chacun en connaît le principe : en lieu et place des prestations sociales (ou de certaines d’entre elles), l’Etat verse un revenu fixe et inconditionnel à chaque citoyen.  Je dis « premier problème » parce que, comme Mateo ALALUF, je suis d’avis que l’allocation universelle est une véritable machine de guerre contre l’Etat social, une vraie fabrique de précarité…

Par ailleurs, nous savons tous que la plupart des pratiques d’économie collaborative ont recours aux nouvelles potentialités du numérique. Cela fait clairement partie de leur ADN.

Or, ce qu’on appelle Révolution numérique a des conséquences multiples sur nos sociétés. Ces conséquences sont (notamment) de deux ordres :

  • elles concernent nos libertés fondamentales, notamment notre droit à la vie privée :

nous savons que sommes désormais tous ‘pistés’, ‘géo-localisés’ en permanence, en manière telle que, dans moins de 10 ans, chaque téléspectateur captera non plus des programmes de télévision ‘standard’, mais des chaînes personnalisées, intégrant ses goûts et ses habitudes de consommation, ce qui ne va pas sans poser de questions éthiques…

  • mais la révolution numérique pose aussi de nombreuses questions sociales, car elle affecte également le travail[1]:

-elle crée une société de la performance (alors que le contrat de travail ‘classique’ ne crée pas, dans le chef du travailleur, une obligation de résultat mais une simple obligation de moyen). Relevons simplement, à cet égard, l’étude récente de chercheurs britanniques qui ont calculé qu’avec le smartphone, le travailleur moyen preste chaque année quelque 460 heures supplémentaires non rémunérées ! ;

  • elle nous oblige à repenser les modes de financement de la sécurité sociale ;
  • elle rend illusoires les espoirs d’une résorption du chômage fondée exclusivement sur une reprise de la croissance ;
  • et, surtout, elle raréfie le travail.

Après Bill GATES (« Au cours des 20 années à venir, le software reprendra à son compte la moitié des emplois »), le World Economic Forum (WEF), organisateur du forum de Davos, indique que la quatrième  révolution industrielle entraînera la perte de cinq millions

d’emplois en cinq ans : dans tous les pays occidentaux, qu’on le veuille ou non, on produit désormais  plus avec (beaucoup) moins de travail. Ainsi, entre 1820 et1960, la productivité a été multipliée par deux ; entre 1960 et…2012, elle a été multipliée par cinq ! En comparaison, la révolution industrielle du 19ème siècle ou l’invention du travail à la chaîne du début du 20ème siècle ont généré des gains de productivité presque ridicules…

C’est, bien sûr, ce qui valide les discours sur la nécessité de penser à nouveau une réduction collective du temps de travail ![2] Vous savez qu’en cette matière mon organisation et votre parti divergent…

Dans les pays occidentaux, l’Etat social avait en quelque sorte « coupé nos vies en deux », séparant nos vies professionnelles et nos vies privées. En améliorant les conditions matérielles de la vie professionnelle (en termes de salaires, de protection sociale, de diminution du temps de travail, …), il nous avait permis de retrouver une forme de « sérénité » dans notre vie privée.

Aujourd’hui, bien des experts le signalent, la révolution numérique est en passe de cicatriser cette coupure : nous sommes désormais joignables et pistés vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et ce sont des algorithmes qui nous envoient nos injonctions majeures !…

Voilà pour l’analyse. Mais, quoi qu’il en soit, l’économie collaborative est en marche.

Et ce train-là ne sera pas arrêtable. Elle présente une série de différences essentielles avec l’économie marchande traditionnelle, notamment le fait que la production entre pairs vise la production de valeur d’usage ; en outre, elle ne se donne pas pour objectif de créer des besoins fictifs, dans le simple but d’écouler une production (tout le contraire de ce qui se passe, par exemple,  dans le secteur pharmaceutique, dont chacun sait qu’il « invente », en quelque sorte, régulièrement une série de nouvelles ‘maladies mentales’[3] à traiter…chimiquement, bien entendu). On est bien loin, aussi, dans l’économie collaborative, d’autres travers de l’économie marchande, dont le scandale de l’obsolescence programmée, à propos duquel tous nos Etats adoptent un silence consternant et complice… Bref, de manière générale, ce qu’indique l’économie du partage, c’est qu’« entre l’Etat et le marché, ce n’est pas le vide ! ».

En revanche, convenons que le marché ‘classique’, que concurrence l’économie collaborative, est bien davantage régulé que celle-ci ! La question du jour devient donc, selon moi : ‘à quelles conditions l’économie collaborative, certes alternative, mais si fortement liée à la révolution numérique, pourra-t-elle être porteuse de progrès social pour les travailleurs (et pour l’ensemble de la société), au lieu de se traduire par davantage de précarité, de flexibilité et par une moindre protection sociale ?’ ‘Comment réguler une économie sans frontières ?’ C’est, pour demain, un des défis majeurs des responsables publics mais aussi des organisations syndicales, nationales et européenne…

Philippe Van Muylder, secrétaire général de la FGBT (Fédération Générale du Travail de Belgique)

Notes

[1] La production de biens mais aussi la production de services.

[2] Antoine RIBOUD, grand patron français, fondateur de DANONE : « Il faut passer à quatre jours, 32 heures, sans étape intermédiaire. C’est le seul moyen d’obliger les entreprises à créer des emplois » (septembre 1993).

Michel ROCARD :
« On ne sortira du chômage massif que par la réduction, elle aussi massive, de la durée du travail » (1996), ajoutant :
« Nous avons oublié d’être radicaux dans nos manières de penser ».

[3] Timidité, peur de rougir, deuil anormal, énervement au volant (trouble explosif intermittent), infidélité conjugale,… !

Moments d’invention 2016

Journées autour de « l’humanisme numérique » dans la métropole du Grand Nancy.

moments-dinventionLe Grand Nancy organise les 29 et 30 septembre prochains deux journées de réflexion et de propositions sur le thème de « l’humanisme numérique ». Il poursuit ainsi la démarche collaborative entamée avec les « Moments d’Invention 2013 », et souhaite, à cette occasion, créer les conditions d’une contribution originale, ouverte et innovante au développement de la métropole.

Car la « révolution numérique » engagée depuis plus de trente ans connaît ces dernières années une accélération fulgurante qui modifie en profondeur nos usages quotidiens. Cette « révolution numérique » s’impose comme une nouvelle culture planétaire : le « numérique » n’est pas seulement l’outil efficace d’une audience élargie ; il change en profondeur notre rapport aux autres, notre conception même du savoir, du travail et de la production des richesses, notre rapport à la santé, notre mémoire, notre « traçabilité », nos libertés.

Les politiques publiques ont toute légitimité à accompagner cette transition sociétale et numérique en veillant et en favorisant un égal accès aux services connectés pour tous, en garantissant un partage équitable des ressources et des communs, en soutenant les initiatives collaboratives et novatrices, en densifiant les liens et les échanges entre communautés d’acteurs publics et privés, en soutenant une politique fondée sur l’intelligence collective.

À l’heure où le Grand Nancy s’apprête à devenir métropole, son projet consiste, davantage encore : à stimuler la réflexion collective sur les transformations technologiques et culturelles en cours et leurs conséquences sur les usages urbains et humains en mettant en oeuvre des « ateliers des possibles » ouverts aux acteurs de la cité, à encourager la conception et l’expérimentation de scénarios pour de nouveaux usages urbains collectifs en lien avec les citoyens, les structures ou institutions du territoire.

S’appuyant sur la longue histoire des coopérations dans l’agglomération, de l’École de Nancy à Artem, le Grand Nancy cherche à encourager une politique fondée sur la mise en complémentarité des compétences, des savoir-faire et des expériences au-delà des périmètres administratifs et des modèles verticaux. Il souhaite ainsi mobiliser, au regard des multiples défis actuels, les forces conjuguées de la réflexion critique, du rêve, de l’invention, sinon de l’utopie, pour interroger et imaginer, non seulement les rapports de l’homme à cette société hyperconnectée en voie d’automatisation massive mais penser aussi une nouvelle manière de contribuer, soutenir une nouvelle politique du partage et de l’audace qui interpelle l’individu et le collectif, le public et le privé, du local au global.

En sollicitant largement différentes communautés d’acteurs et d’innovateurs locaux et régionaux, le Grand Nancy cherche à faire de ces journées un temps ouvert à la constitution d’un récit collectif et
prospectif qui mette cette intelligence collective des territoires au service du développement métropolitain.

Pour construire ces journées, deux questions s’imposent :

« l’humanisme numérique », constitue-t-il un facteur de progrès pour l’homme ou un appauvrissement de son humanité ?

Peut-on, au regard de la révolution numérique en cours et à l’échelle métropolitaine, (ré)inventer une nouvelle politique du partage et de l’audace ?

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Pire to pire : le fantasme de la perfection sociale

Décentralisation, distribution, peer-to-peer, blockchain : on assiste à un déferlement de termes censé ouvrir un nouvel horizon de libertés individuelles et collectives. Pourtant, quelque chose cloche dans les discours et un frisson me parcourt souvent l’échine à l’écoute de certaines vidéos ou à la lecture de certains articles…

Car cette liberté retrouvée semble à tout prix devoir être mise au service d’un but « noble » qui serait une espèce d’efficacité sociale, et d’une rationalisation de nos comportements. Il semble acquis que si « nous » communiquons mieux, et sans intermédiaires pour nous en empêcher, « nous » arriverons plus rapidement au but. Mais lequel ? Et qui est ce « nous » ? Tout se passe comme si, effrayés par l’autonomie à laquelle ils sont peut-être en train d’accéder, les chantres de la décentralisation inventent en même temps la méta-organisation qui remplacera la figure du père, à défaut de savoir s’en passer.

Le passage d’un système fondé sur la confiance en l’humain vers un système fondé sur la preuve (où la confiance est déléguée à la technologie) semble ainsi pouvoir panser toutes les plaies, éviter toutes les trahisons, désillusions, imperfections… et l’on imagine que ce système parfait, à la fois incorruptible et incontrôlable, rendra nos vies meilleures et nous mettra à l’abri des tricheurs, des abuseurs et des voleurs.

En pensant la gouvernance comme un simple moyen horizontal permettant de se coordonner sans être contrôlé par personne, les défenseurs de ces nouvelles technologies en oublient parfois l’étymologie même du terme : celui qui gouverne, c’est celui qui indique la direction, qui donne un sens, qui guide. Ils défendent donc avec ardeur un système qui va aider à coordonner les mouvements des rameurs de la galère, sans considérer que si le projet social de la-dite embarcation diffère de ce qu’ils ont imaginé, ils sont en train de fabriquer eux-mêmes l’instrument de leur propre aliénation : une boussole autogène !

On en arrive à des propositions dites « démocratiques » entièrement basées sur la machine, où l’évaluation du nombre et de la qualité des contributions individuelles deviendrait une monnaie d’échange universelle et infalsifiable. On imagine même que les individus pourraient participer aux prises de décisions de façon proportionnelle à leurs contributions. Le bon vieux système de bons points remis au goût du jour ! Tant pis pour ceux qui ne souhaitent ou ne peuvent pas contribuer ? Tant pis si nous devenons esclaves de notre propre auto-évaluation ? La vie deviendrait un grand jeu vidéo où je chercherais à accumuler plus d’étoiles sur mon profil que le voisin pour gagner des points de gouvernance ou de rétribution ?

En voulant s’affranchir de la tyrannie humaine, en la considérant comme incarnée par certains individus seulement – et en se considérant implicitement comme plus « vertueux » qu’eux, on est en train de la remplacer par une tyrannie invisible, impossible à identifier, impossible à dénoncer, parce qu’on a oublié que dans l’expression « tiers de confiance« , les deux termes ont leur importance. « Faire tiers », c’est assurer à chaque individu qu’il sera écouté, entendu, que le lien sera humanisé. C’est à ça qu’est censé servir le tiers, l’autre, celui qui n’est ni toi ni moi, et qui nous garantit de retrouver le chemin du dialogue le jour où nous l’aurons perdu.

A force de considérer les silos comme des prisons et les humains comme trop imparfaits pour être dignes de confiance, on en oublie les principes de base de la vie elle-même :

  • toute limite n’est pas nécessairement une tyrannie : un être vivant est constitué d’une membrane poreuse active qui délimite son intérieur et son extérieur ;
  • toute dépense d’énergie n’est pas forcément « rationalisée » : un être vivant dépense une énergie phénoménale juste pour préserver sa dérisoire homéostasie ;
  • c’est l’imperfection qui crée le nouveau : les « erreurs » de duplication du génome et l’épigénétique rendent la nature unique, imprévisible et résiliente ;
  • l’interdépendance des écosystèmes est locale et non pas globale, c’est cette diversité cloisonnée qui permet de préserver l’ensemble en cas d’effondrement d’une partie ;
  • etc…

On a remplacé les palabres et la poignée de main par la monnaie, et le capitalisme est né, jusqu’à son dernier avatar informatisé, sans émotion ni empathie, qui régit les vies de milliards d’humains via des micro-transactions dé-corrélées des réalités. Remplaçons la monnaie par la blockchain, et nos pires cauchemars ne sont rien à côté de ce qui risque d’émerger. La gouvernance, si elle n’est pas humaine, prend le risque d’un réductionnisme mortifère et le chemin d’un égalitarisme totalitaire qui n’aura rien à envier aux dictatures que le monde a connues jusqu’ici.

Il me semble donc que les communs et le pair-à-pair ne pourront se développer harmonieusement qu’à la seule condition que les individus intègrent profondément que «pair», contrairement à son homonyme informatique, n’est pas synonyme de ce qui est «identique à moi» mais parle de connexion et d’amour d’une radicale altérité.

Ce que la blockchain, qui n’est qu’un outil, ne nous dit pas, c’est comment nous allons réussir à faire société et quelle société nous voulons. Cette perspective passe peut-être par trouver ce que nous avons en commun, ce qui ne signifie pas effacer nos singularités et nos défauts via une hypothétique technologie de la transaction. Il ne s’agit pas non plus de fantasmer un monde sans limites régi par une sémantique universelle, mythique Tour de Babel moderne.

Il s’agirait plutôt d’apprendre à travailler et à gouverner ensemble avec nos imperfections et nos limites, dans le but de créer quelque chose en commun au cœur de la relation. C’est probablement très difficile à réaliser (sans doute le travail de toute une vie !), inefficace et bancal, mais peut-être aussi tellement plus gratifiant et créateur de sens qu’une chaîne de chiffres infalsifiable…

 

Illustration : Le Canard digérateur créé par Jacques de Vaucanson

De nouvelles formes organisationnelles pour un monde « pair à pair »

Ce texte est la préface d’un ouvrage collectif publié par la coopérative belge SMart à l’occasion de son assemblée générale constitutive qui aura lieu le 28 juin 2016. Les autres textes de l’ouvrage sont disponibles en ligne ici.

 

Jusqu’au dixième siècle, cinq siècles apres la chute “officielle” et politique de l’Empire Romain, les structures sociales de l’Empire étaient restées pratiquement inchangées : il y avait les maitres-propriétaires, les esclaves, et les hommes libres. C’était encore une économie où pour avoir la puissance et la richesse, il fallait envahir ses voisins… Mais à partir de 975, et les grandes mobilisations populaires du Mouvement de la Paix des Dieux, la société européenne fut changée de fond en comble, sur la base d’un nouveau contrat social qui donna une société féodale plus stable, mais aussi les villes libres gérées par les alliances de guildes. A partir de ce moment là, la richesse se mit à dépendre de la production terrienne, et du commerce dans et avec les villes. Il s’agissait ici d’un véritable changement du régime de valeur de tout un continent.

Au quinzième siècle, avec l’invention des nouvelles formes de comptabilité par les Templiers et les Franciscains, avec la Réforme religieuse, l’invention de l’imprimante, les bases d’une nouvelle société étaient encore une fois constituées, ce qui nous a donné l’économie mondiale, la dominance du marché, et finalement, apres la chute des monarchies absolues, le capitalisme contemporain.

Chaque fois, la civilisation a changé assez profondément, car ce sont des nouvelles institutions qui ont dû naître, pour canaliser le nouveau…

Voila donc ma conviction profonde : SMart représente l’émergence d’une nouvelle forme organisationnelle, vitale pour la transition que nous vivons.

Mais de quelle transition s’agit-il, et de quelles nouvelles formations avons nous besoin ?

L’économie actuelle est essentiellement “extractive”. Les acteurs dominants voient le monde comme une ressource, qu’elle soit naturelle ou sociale, à exploiter. L’idée centrale, est que si nous poursuivons tous simplement nos intérêts propres, le monde s’enrichira et ira mieux. Mais voilà, les signaux d’alertes sont partout. Le changement climatique, et l’épuissement des ressources démontrent qu’un systeme extractif global est en train de véritablement “manger” la planète. Et les signaux sociaux, après 30 ans de croissance des inégalites (voir le livre de Thomas Piketty), ne sont guère plus positifs. Partout, la polarisation sociale s’aggrave, et crée des déséquilibres supplémentaires.

Karl Polany, dans un livre classique “La Grande Transformation”, parlait déjà du “double mouvement”. Chaque fois que les forces du marché deviennent trop dominantes et créent des déséquilibres insupportables pour la société dans son ensemble, des contre-mouvements sociaux émergent pour rétablir cet équilibre. C’est pourquoi, après la grande crise de 1929, et la deuxième guerre mondiale, nous avons connu les Trente Glorieuses, résultat d’un nouvel équilibre et d’un nouveau contrat social.

Kojin Karatini, philosophe japonais et auteur du remarquable “The Structure of World History” qui nous donne une synthèse de toutes les transitions précédentes, décrit le fonctionnement de ce double mouvement. Le système actuel dit-il, est un système en trois éléments, qui représente 3 dynamiques sociales différentes, mais intègre sous la dominance des forces du marché : Capital-Etat-Nation. Le capital représente le marché, l’Etat représente la redistribution, et la nation représente l’éthique de la réciprocité communautaire. Donc, dans le double mouvement, ce sont bien les forces sociales de la nation qui se révoltent, forçant l’Etat à modérer les déséquibres qui viennent d’une logique de marché qui a perdu ses limites. Mais voilà, après 30 ans de néolibéralisme, on peut se demander si l’Etat peut encore se rebiffer pour ré-équilibrer le système. Et la forme-nation, qui reste importante, ne reflète plus la réalite organisationnelle trans-locale et trans-nationale des nouveaux réseaux. La forme étatique elle-même demande une transformation qui respecte plus la demande de participation et de co-création qui émane de la société civile et de ses citoyens maintenant éduqués.

C’est pourquoi certains penseurs, comme l’auteur de cette préface, pensent que nous sommes dans une transition bien plus profonde. Le “double mouvement” ne fonctionne plus. Nous avons besoin d’une transformation intégrative bien plus profonde !

Mais d’où viendrait-elle ? Essentiellement de la logique “pair aà pair” et de la capacité des citoyens à créer des communs. La démocratisation des réseaux a déjà encapacité trois millards d’êtres humains à non seulement se connecter et s’auto-organiser, mais aussi à créer de la valeur économique. Nous avons aujourd’hui des communautés productives dans pratiquement tous les secteurs d’activités, qui mutualisent leurs connaissances au niveau mondial. Tine de Moore, historienne des communs (et belge), dans son petit livre “Homo Cooperans”, nous a déjà montré que depuis 2005, il y a une croissance exponentielle d’initiatives civiques aux Pays-Bas; et une étude americaine, “Fair Use Economy”, parue en 2011, nous montre qu’un sixième de l’économie américaine est déjà organisée autour de “ressources partagées”.

Cette transition crée donc d’ores et déjà une “économie du commun”, où des travailleurs et entrepreneurs créent des ressources communes utilisables par tous (logiciel libre, design partagé), et une “économie du partage”, où les citoyens s’échangent directement des ressources, par le biais des nouvelles plateformes.

Mais tout n’est évidemment pas rose, ni facile, ni positif, dans un processus de transition.

Effectivement, elle crée aussi une nouvelle classe de travailleurs autonomes, d’auto-entrepreneurs (la différence entre les deux s’estompe). Or notre monde est entièrement organisé autour du modèle salarial. Et, comme les guildes qui ont organisé ceux qui quittaient le monde de l’inféodalisation de la campagne pour s’installer dans les villes, nous avons besoin d’organisations qui peuvent créer de la sécurite et de la solidarité pour ces nouvelles couches, qui représentent le nouveau monde en devenir. Pour une économie générative par rapport aux humains et de la nature, nous devons m-u-t-u-a-l-i-s-e-r, non pas de facon autoritaire, mais par une association libre de citoyens-producteurs.

Voilà pour moi l’importance essentielle d’une organisation de nouveau type, comme SMart, un OVNI qui represente l’avenir. Un avenir, où l’économie n’est plus “extractive” par rapport à la nature et les communautes humaines, mais “generative”. Autour de l’économie émergente du commun et du partage, nous avons besoin de moins de “captalistes” qui comme Uber et AirBNB “taxent” nos échanges sans ré-investir dans la sécurite des travailleurs-participants et les infrastructures nécessaires, mais des entrepreneurs autonomes et “génératif”, qui créent de la valeur pour cette nouvelle économie, plus durable et plus juste.

Une telle organisation doit tout d’abord créer une sécurite de vie pour ces membres, et le Fonds de Garantie Mutuelle de SMart en est un excellent example. Une telle organisation doit permettent une vraie démocratie “pair à pair, tout en garantissant une force de frappe sociale, il faut donc en même temps pouvoir projeter une unité dans l’action.

Les processus participatifs de SMart vont tout à fait dans ce sens. Ensuite, une telle organisation, ne peut plus simplement être liée à l’Etat-Nation, mais doit représenter les nouveaux aspects trans-locaux et trans-nationaux d’un monde auto-organisé par les réseaux. Là aussi, les efforts de SMart pour créer une coopérative à l’échelle européenne, vont tout à fait dans ce sens…

Il y a un autre aspect très important. Pour changer notre société, pour mener à bien une transition dans les meilleures conditions possibles, il ne faut pas diviser, mais unifier, trouver du “commun” à travers nos multiples différences. Le monde du salaire s’affaiblit, mais il est toujours là et le restera pour bien longtemps; ce qui est à rejeter dans le salaire ce n’est évidemment pas le revenu stable et la sécurite mais la subordination anti-démocratique qui persistent dans le monde économique; par ailleurs le monde des travailleurs autonomes est en augmentation, mais eux et elles se trouvent le plus souvent dans une précarite inacceptable. Or il faut bien reconnaitre que les syndicats classiques n’ont pas bien réussi à défendre ce nouveau monde. Il fallait donc trouver le chainon manquant, qui peut unifier le monde du salaire et le monde des travailleurs autonomes, un chaînon qui peut créer une unité dans les volontés émancipatrices du monde de l’ancien et du nouveau travail. C’est tout l’intérêt de ces nouvelles “mutuelles de travail” comme SMart.

Bravo, et continuez le combat !!

 

La blockchain décryptée

Les clefs d’une révolution

Le premier livre en français entièrement dédié à la blockchain

Editeur : Observatoire Netexplo (15 juin 2016)

  • Le 10 juin : annonce du lancement du livre par Netexplo.
  • Le 15 juin : livre disponible sur Amazon (le prix est coutant : 9,5€ pour 145 pages).
  • En Septembre : mise à disposition sous licence Creative Commons du EBook.


blockchain-decrypteePourquoi ce livre ?

Dans le monde numérique, et au-delà, la blockchain s’est imposée comme le grand sujet de l’année 2016. “Technologie révolutionnaire”, “machine à créer de la confiance”, “innovation de rupture d’une ampleur inédite”… : les superlatifs s’accumulent peu à peu dans les médias au fil des semaines.

Pourtant, tout comme le phénomène d’uberisation avait cannibalisé l’année 2015 en étant employé parfois de façon excessive, la blockchain court aujourd’hui le danger de devenir un simple buzzword, brandi comme symbole d’une “disruption ultime”, sans être pourtant véritablement compris par ceux qui en parlent.

Pour dépasser les effets d’annonce, il nous a donc semblé important de mettre pause sur cette machine médiatique, afin de prendre le recul nécessaire pour analyser les ressorts du phénomène blockchain. Prendre le temps de l’apprentissage, de la réflexion, et inscrire cette technologie dans le temps long de la diffusion et du débat public : tel est l’objet de ce livre.

Ces derniers mois, nous avons rencontré les acteurs et les penseurs des blockchains. Nous avons ainsi retenu 20 voix pour vous raconter cette technologie dans sa richesse et sa complexité. Cette combinaison de la parole directe des acteurs de la blockchain et d’un volet de découverte didactique, c’est le panorama d’une révolution. Ce livre est destiné à tous ceux qui veulent découvrir la blockchain, la comprendre en profondeur et élargir leurs horizons.

Sommaire

Préface par Joël de Rosnay

Première partie – Comprendre la blockchain en 12 questions
Les réponses aux questions les plus posées sur la blockchain

Deuxième partie – Les applications de la blockchain
Energie, Santé, Assurances, Banques, Luxe, Cloud…

Troisième partie – Penser la blockchain : enjeux sociaux, éthiques, juridiques, politiques
Avec les contributions de Gilles Babinet, Primavera de Filippi, Michel Bauwens…

Quatrième partie – La blockchain vue de l’intérieur : la parole aux acteurs
Avec les interviews de Stephan Tual, Gavin Wood, Philippe Dewost…

La blockchain décryptée – les clefs d’une révolution

 

Précommandes : http://amzn.to/1TXuKNL

Source : blockchainfrance.net