Avec l’aimable autorisation de Myriam Bouré d’Open Food France, nous reproduisons ici son article sous licence CC BY-NC 4.0
Comme le rappelle Nicolas Hulot à l’annonce de sa démission du gouvernement, difficile de combiner capitalisme libéral et écologie. Le modèle des communs ne serait-il pas le modèle d’avenir, post capitalisme libéral, conjuguant performance économique, sociale et environnementale ? Décryptage, en s’appuyant notamment sur l’exemple d’Open Food Network.
Le rang des supporters des communs ne cesse de s’agrandir. Gael Giraud directeur de l’Agence Français du Développement en a même fait un des axes primordiaux de la stratégie de l’AFD. Alors comment les communs vont-ils renverser le capitalisme libéral ?
Pour répondre à cette question, je vous propose ici quelques pistes de réflexion s’appuyant sur des exemples concrets issus de ma propre expérience, mais qui mériteraient d’être étayés par une analyse plus exhaustive.
Le rang des supporters des communs ne cesse de s’agrandir. Gael Giraud directeur de l’Agence Français du Développement en a même fait un des axes primordiaux de la stratégie de l’AFD. Alors comment les communs vont-ils renverser le capitalisme libéral ?
Pour répondre à cette question, je vous propose ici quelques pistes de réflexion s’appuyant sur des exemples concrets issus de ma propre expérience, mais qui mériteraient d’être étayés par une analyse plus exhaustive.
1- Performance économique : de nouvelles possibilités d’économies d’échelles
1.1- L’exemple d’Open Food Network : mutualisation de ressources à large échelle
Prenons l’exemple du logiciel open source Open Food Network. Ce logiciel est porté par une communauté d’individus dans le monde entier, qui collaborent à son développement. Le code est sous licence libre, AGPL, signifiant qu’au delà de cette communauté, tout autre personne morale ou physique peut utiliser ce code et construire dessus, à condition que ces développements soient aussi partagés sous la même licence, créant ainsi un “effet d’abondance démultiplicateur”.
Le logiciel a pour objectif d’encapaciter les opérateurs de circuits courts alimentaires, d’une manière non prescriptive, et ainsi, de permettre à ces opérateurs de se démultiplier, d’essaimer, de gagner en efficacité sur leur gestion, de se développer pour atteindre la taille critique qui leur permet d’être pérenne, etc. Sans imposer un modèle de distribution spécifique (AMAP, “ruches”, groupements d’achat, etc.) le logiciel se veut assez flexible pour permettre à tous ces différents acteurs d’en bénéficier.
En terme de fonctionnalités, 90% des besoins de ces opérateurs de circuits courts sont grosso modo les mêmes, quel que soit le modèle de fonctionnement de l’opérateur, et dans tous les pays du monde. Fort de ce constat, l’idée des commoners revient à dire : développons en commun un outil de gestion, et partageons-en l’usage ! Cela signifie: division du coût de développement par un nombre important d’utilisateurs de la fonctionnalité.
1.2- Quel est le niveau de mutualisation pertinent ?
Le projet Open Food Network s’organise selon un principe de subsidiarité: la mutualisation, et les décisions afférentes, est opérée à l’échelle la plus adaptée selon la nature du commun.
Il y a donc dans Open Food Network 3 “niveaux de communs” gouvernés par 3 communautés :
- Communauté des affiliés nationaux/régionaux (en bleu) : gouverne en commun le logiciel libre OFN
- Communauté des hubs alimentaires d’un pays / d’une région (en vert) : gouverne en commun l’affilié national/régional = entité “coopérative” qui déploie et offre en accès SaaS le logiciel OFN
- Communauté des producteurs et acheteurs (mangeurs finaux, restaurateurs, etc. En jaune.) : gouverne en commun le hub alimentaire local
Cette organisation permet de conserver la gouvernance adaptée à la ressource gérée “en commun”, donc la souveraineté des utilisateurs de la ressources, mais aussi d’optimiser la gestion et le financement nécessaire pour la préservation et le développement de cette ressource.
2- Performance sociale : un renouveau démocratique
On pourrait définir un commun comme “une ressource matérielle ou immatérielle gérée par une communauté qui en partage l’usage”.
Tout est commun.
Exemples :
– Une cage d’escalier, ou le bâtit d’un immeuble, est un commun pour la communauté des habitants de l’immeuble.
– L’air, les océans, les forêts (poumon de la planète) sont des communs de la communauté des êtres vivants de la planète.
– L’eau d’un fleuve est un commun de l’ensemble des êtres vivants depuis sa source jusqu’à l’estuaire.
– Les ressources du sous-sol de la terre sont un commun de l’ensemble des habitants de la planète.
– Une bibliothèque, un parc, les trottoirs et routes d’un quartier sont des communs pour l’ensemble des habitants du quartier.
– Un marché ou une épicerie est un commun pour les producteurs, travailleurs et acheteurs de ces circuits de distribution.
– …
Bien sûr, il n’est pas rare que ces communs soient “accaparés” par un acteur souhaitant en tirer profit, et soumettre les communautés qui en dépendent à ses propres règles. Ou simplement, par effet rebond du système capitaliste dans lequel nous sommes, empreint par la culture de ce système, nous ne savons comment faire autrement, quels modèles économiques construire autre que ceux du capitalisme libéral.
En basant la gouvernance de ces communs sur l’inclusion de l’ensemble des parties prenantes de ces communautés, et en utilisant des méthodes de facilitation permettant réellement de faire émerger l’intelligence collective, il n’y a plus de laissés-pour-compte, plus de déséquilibres dans le partage de la valeur.
On peut citer l’exemple d’Alterconso à Lyon, SCIC composée de 50 producteurs, 800 familles et 6 salariés. Ils organisent la distribution de 7 types de paniers (légumes, viande, produits laitiers, pain, etc.) via 14 points de retraits à Lyon. Avec un système de tarification sociale où ceux qui gagnent peu paient 0% de commission, et ceux qui gagnent plus 20%. Où les producteurs contribuent via une commission de 12 à17% selon le service logistique que leur apporte la coopérative, donc selon leur “utilisation du commun”. Les salariés, les producteurs, reçoivent un salaire digne pour leur travail. Les consommateurs ont accès à des produits sains, biologiques, quel que soit leur niveau de revenus. Voilà la puissance du commun. L’intelligence collective qui invente un modèle prenant en compte les contraintes de chacun, respectant chaque individu.
3- Performance environnementale : qui dit mutualisation dit moindre pression sur les ressources
Prenons un exemple pour illustrer : le cas de la logistique des circuits courts. Aujourd’hui, chaque groupement d’achat, chaque AMAP, chaque “ruche”, chaque coopérative locale, va dans la grande majorité des cas organiser sa logistique dans son coin.
Dans beaucoup de cas même, comme pour les AMAP ou nombre de groupements d’achat, chaque producteur va se déplacer jusqu’au point de retrait de l’AMAP, ou le lieu de dépôt du groupement d’achat. Aller: camionnette à moitié pleine. Retour: camionnette vide. Les producteurs font parfois plusieurs heures de route pour livrer les points de distribution, notamment lorsqu’ils livrent dans les grandes villes, et passent parfois une journée entière à faire les livraisons. Tout cela n’est pas performant, ni économiquement, ni environnementalement, ni socialement. Avec une telle logistique, difficile aussi pour ces modèles de “passer à l’échelle” et devenir le modèle dominant.
Alors imaginez : si l’on construisait, avec l’ensemble des acteurs des circuits courts, un service logistique en commun, utilisant leurs données pour construire à chaque instant les routes les plus optimisées prenant en compte l’ensemble des acteurs de l’écosystème. Fini les silos donc! Tous ces acteurs indépendants, distribués sur les territoires, pourraient décider de mutualiser leurs données de flux prévus pour, via l’analyse de ces “mégadonnées” (“big data” pour les anglicistes) construire ensemble un service logistique en commun. Cette vision n’est pas juste un rêve, nous avons posé les premiers pas via l’initiative Data Food Consortium.
Plus simplement: acheter en commun et partager l’usage d’une voiture, organisée par la coopérative Citiz, ça veut dire produire moins de voitures donc moins de pression sur les ressources. Acheter en commun des Fairphones via la coopérative Commown et les louer, assurant ainsi leur réparation et durabilité maximum, c’est limiter la pression sur les ressources. Se fédérer à plus de 15000 sociétaires autour de la coopérative Enercoop qui organise la distribution d’électricité 100% renouvelable, c’est organiser ensemble, en commun, la sortie du nucléaire et du charbon.
Les communs : un moyen de réconcilier capitalisme libéral et écologie?
Les “commoners” sont des libéraux. Ils défendent la liberté et l’initiative individuelle. Mais ce sont des libéraux pragmatiques. Ils ont compris qu’ils doivent coopérer pour organiser des systèmes performants :
- dont ils gardent la souveraineté,
- qui leur permettent de satisfaire leurs besoins,
- et assurent la préservation des ressources dont ils dépendent sur le long terme.
Faire ensemble. Faire communauté. Les commoners sont les entrepreneurs qui inventent le post-capitalisme.
Les commoners ne jettent pas le bébé capitalisme avec l’eau du bain. Ils inventent un nouveau/post capitalisme, un capitalisme “citoyen” où la propriété d’une entreprise n’est plus dans les mains d’investisseurs cherchant à maximiser leur retour sur investissement, mais dans les mains de citoyens souhaitant être souverains des systèmes dont ils dépendent et finançant de façon collaborative ce commun. Dans ce nouveau capitalisme, le retour sur investissement ne se mesure pas seulement sur la performance financière (atteinte de l’équilibre financier), mais aussi sur les performances sociales et environnementales, comme le propose par exemple la comptabilité en triple capital. Selon les modèles de communs, ils peuvent même abroger la propriété et vont alors au-delà du capitalisme : certains communs, les biens communs mondiaux, appartiennent à tout le monde, comme l’air par exemple.
Les commoners sont pour la croit-sens. Faire grandir le sens. Mais pas la croissance sans limite, car cette croissance infinie déconnecte les usagers de la gouvernance des systèmes.
Alors, les communs ne seraient-ils pas le modèle le plus prometteur pour remplacer le modèle du capitalisme libéral qui conduit l’humanité à sa perte?
Rétroping : Les communs: le modèle de “l’après” capitalisme libéral - Les Communs d'Abord