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Penser demain avec Bernard Stiegler

Source : UP Magazine

Après la crise sanitaire mondiale du COVID-19, quel serait notre plus grand risque ? La philosophe Hannah Arendt déclarait « Une crise ne devient catastrophique que si nous y répondons par des idées toutes faites ». En effet, le risque serait de reprendre nos vies sur les mêmes bases qu’auparavant, voire pire, par manque de moyens pour penser et agir autrement. A partir de cette hypothèse, le prospectiviste et théoricien de l’économie collaborative, Michel Bauwens, et Christine Marsan, psycho-sociologue, lancent des « conversations » sous forme d’entretiens vidéo pour tenter d’appréhender notre futur proche, Penser Demain. Premier invité : Bernard Stiegler.

Michel Bauwens (1) et Christine Marsan (2) proposent de réaliser un panorama à 360° des éléments sur lesquels porter notre attention pour appréhender notre futur proche et plus lointain avec de nouvelles bases à la fois conceptuelles et pragmatiques. Pour cela, ils invitent chaque semaine un acteur majeur de cette transition à apporter, selon sa compétence, son expertise, des clés de compréhension politique et économique (principalement questionnés par Michel Bauwens), avec l’éclairage des sciences humaines (principalement sollicités par Christine Marsan).

Objectif ? Mobiliser des avis pluriels et complémentaires pour oser une vision riche, nourrissante, contradictoire offrant aux auditeurs de se faire une opinion indépendante. Penser Demain apporte dans un contexte chaotique global une pierre à la prise de conscience afin de faciliter les modifications de comportements individuels et collectifs.
Les enjeux de la mutation de notre civilisation, avant le Covid-19 et depuis, sont devenus cruciaux.

Premier invité de cette série d’interviews vidéo : Bernard Stiegler

On ne présente plus Bernard Stiegler. Philosophe, directeur de l’Institut de recherche et d’innovation (IRI) et président de l’association Ars Industrialis, Association internationale pour une politique industrielle des technologies de l’esprit, Bernard Stiegler est aussi auteur de nombreux ouvrages, dont le dernier « Qu’appelle-t-on panser ? » (Edition Les Liens qui libèrent, 2018).
Avec Ars Industrialis et l’Institut de Recherche et d’Innovation du centre Georges Pompidou, il poursuit depuis plusieurs décennies son grand projet de transformation sociétale fondée sur la néguentropie, la collaboration et le soin. Ses expérimentations tentent de restaurer la société de manière locale et collaborative, comme en Seine-Saint-Denis à Saint-Ouen, Aubervilliers, où il entreprend des expériences grandeur nature pour tester sa méthode holistique pour l’éducation, en s’entourant de professeurs, parents, psychologues, artistes, juristes, chercheurs en sciences dures et humaines. Pour lui, c’est « c’est un paradigme, une vision des relations entre les hommes et de la morale qu’on souhaite se doter pour la société. Alors, la mutualisation et la transdisciplinarité jaillissent comme vecteurs pour jeter des bases saines à un nouvel édifice social, délestées du consumérisme, où les connaissances, les compétences et les savoir-faire sont un bien commun, une ressource accessible à tous. » (Source : France culture, février 2020).

Bernard Stiegler,
Philosophe
Fondateur et Président d’Ars Industrialis
Directeur de l’Institut de Recherche et d’Innovation

Entretien mené par Christine Marsan et Michel Bauwens le 18 novembre 2019 en visioconférence et diffusé le 8 mai 2020.

Comment le pair à pair peut faciliter la régénération et la résilience des écosystèmes ?

Cet article a été publié sur le site https://activer-economie-circulaire.com sous licence Creative Commons BY-NC-SA.

En ces temps de confinement forcé pour près de 4 milliards d’humains, j’ai eu la chance de m’entretenir avec Michel Bauwens. À la fois auteur, conférencier et prospectiviste, Michel est notamment le fondateur de la P2P Foundation en 2005. En tant que grand spécialiste du pair à pair et de la pensée systémique, Michel a un regard très fin sur la situation que nous vivons actuellement, il nous donne des clés de compréhension en s’appuyant sur l’Histoire mais aussi sur de nombreuses initiatives naissantes ou montantes de notre époque. Cela donne un épisode passionnant que je suis heureux de vous partager.
« Mettre fin à la destruction de la biosphère et œuvrer à sa régénération »

D’abord, il me semble utile de faire une brève introduction sur la P2P Foundation et le pair à pair.

P2P est une abréviation de « peer to peer », parfois aussi décrit comme « personne à personne ». L’essence du P2P est cette relation directe, et ses principales caractéristiques sont les suivantes

  • Création de biens communs par des processus de production et de gouvernance ouverts et participatifs
  • Accès universel garanti par des licences telles que Creative Commons, GPL, Peer Production License.

Depuis 2005, la fondation agrège les informations, exemples et tendances et met en relation les initiateurs de projets s’inscrivant dans le mouvement P2P. Wikipedia est probablement l’exemple actuel le plus connu notamment en ligne mais il en existe bien plus et pas uniquement en ligne. En effet, ce mode de fonctionnement se retrouve dans de nombreux domaines comme dans l’industrie automobile avec WikiSpeed, Arduino pour l’électronique ou Threadless dans le textile. Dans notre société largement influencé par le capitalisme, la notion de commun est souvent mal considérée ou parfois même incomprise. Michel y revient pendant cet épisode. Ces « ressources partagées, gérées par leurs propres utilisateurs selon des règles qu’ils ont eux-mêmes fixées » permettent pourtant des utilisations nettement plus efficaces des ressources et une meilleure diffusion de l’information par exemple. À tel point que les priorités stratégiques de la P2P Foundation sont définies ainsi :

  • Mettre fin à la destruction de la biosphère et œuvrer à sa régénération en abandonnant les conceptions dangereuses de la pseudo-abondance dans le monde naturel (en partant du principe que les ressources naturelles sont infinies et que l’innovation technologique rencontrera à elle seule toutes les solutions nécessaires).
  • Promouvoir le libre échange culturel en abandonnant les conceptions de pseudo-abondance dans le monde culturel qui entravent l’innovation (en partant du principe que la libre circulation de la culture doit être limitée par un excès de brevets, de droits d’auteur, de propriété intellectuelle, etc.)

Depuis quelques années, Michel Bauwens a régulièrement rappelé que chaque cycle se termine par une grande crise systémique, à la fois écologique, économique et social. En ajoutant que, ce jour là, il faudra être équipé de nouvelles solutions pour faire émerger un nouvel équilibre de société. Néanmoins, il pressentait cette crise majeure aux alentours de 2030 et, puis, le corona virus est passé par là. Nous voilà donc entré dans un évènement majeur de l’Histoire sans nous en rendre vraiment compte.
« La sélection naturelle au niveau de la civilisation humaine se fait au niveau des communautés, ce sont les groupes résilient qui survivent à ce genre d’époque »

En évoquant différents ouvrages, entre autre Rethinking the world de Peter Pogany, Michel nous livre son impression sur la crise du Covid-19 et décrit le manque de préparation des Etats, notamment occidentaux, le manque de résilience du système économique actuel mais aussi la montée en puissance de mouvements solidaires citoyens. Michel Bauwens pointe notamment les manquements des pays occidentaux notamment depuis la crise de 2008 et le manque de considération des externalités dans le système capitaliste avec toutes les conséquences associées. Il développe la notion de comptabilité écosystémique et la transition que nous vivons actuellement entre des systèmes compétitifs fermés et des systèmes compétitifs ouverts. Enfin, on évoque aussi l’intérêt des communs dans la dynamique de régénération des territoires mais aussi d’amélioration de leur résilience. Bref, un épisode dense mais passionnant que vous pouvez écouté dès maintenant.