Posts étiqutés "Economie collaborative"

L’économie collaborative pour sortir les classes ouvrière et moyenne du marasme : l’interview de Michel Bauwens

Une émission de la radio suisse RTS

Dans la lignée du film « Demain », on voit fleurir un peu partout les initiatives citoyennes visant à réinventer l’agriculture, l’énergie, l’habitat, l’éducation ou la démocratie. L’interview de Michel Bauwens, théoricien de l’économie collaborative, qui propose une réinvention de l’économie.

Source

Photo : Bethany Horne Wikipedia CC BY 3.0

Le Pair-à-Pair, nouveau modèle de société centré sur les communs

Nous republions cet article publié par La Revue du Cube, avec leur aimable autorisation.

Il s’agit d’une synthèse de l’ouvrage Manifeste pour une véritable économie collaborative de Michel Bauwens et Vasilis Kostakis (Éditions Charles Léopold Mayer, 2017)

Avec l’avènement du numérique, notre société connaît une transformation dont la profondeur est inédite depuis les débuts du capitalisme observés par Marx. Les relations de production et d’échanges sont bouleversées, et prennent peu à peu la forme d’une nouvelle dynamique : le pair-à-pair (P2P).

Historiquement, le pair à pair existe depuis que les humains s’organisent en société et fut même pendant longtemps la forme dominante de relation dans les sociétés nomades de chasseurs-cueilleurs. Il s’est peu à peu effacé au profit des organisations claniques puis avec l’apparition des systèmes étatiques. Dans notre imaginaire moderne, le P2P est un mode d’organisation de systèmes informatiques au sein duquel les connexions d’un réseau se créent d’un commun accord entre « pairs ». Ce mode d’organisation a été popularisé sous la forme de partage de fichiers vidéo ou audio, mais il est également constitutif d’une partie de l’infrastructure du net lui-même. En supposant que derrière chaque ordinateur du réseau se trouve un être humain, il est alors possible de faire un saut conceptuel pour considérer à nouveau le P2P comme un mode d’interactions sociales dont la logique retrouve un rôle très important.

Avec la capacité de se relier les uns aux autres grâce à Internet, le P2P devient ainsi une dynamique relationnelle favorisée par une potentialité technologique grâce à laquelle chacun peut désormais collaborer librement, sans autorisation ni lien de subordination, et partager des ressources dans lesquelles les contributions sont acceptées a priori, puis évaluées a posteriori sans que cela s’accompagne de mesures de coercition sur le travail. Il crée un potentiel de transition vers une nouvelle forme d’économie générative équitable (où la redistribution de la valeur créée est plus juste), durable (où la création de valeur est compatible avec la pérennité de notre environnement naturel) et ouverte (où le savoir et les ressources sont partagées). Yochai Benkler (2006) a appelé cette nouvelle voie de création et de distribution de valeur la « production par les pairs basée sur les communs ».

Le P2P permet donc de développer une distribution des ressources où la réciprocité n’est plus recherchée dans la relation d’un individu à un autre, mais entre chaque individu et la ressource elle-même. Ce type de production a la particularité d’être fondée sur une motivation principale : le désir de créer quelque chose qui soit directement utile aux autres contributeurs en créant une valeur d’usage, et non une valeur d’échange. C’est ainsi que se construisent des « communs », ressources partagées, co-gouvernées par leurs communautés d’utilisateurs selon les règles et les normes de ces communautés qui sont ouvertes à quiconque a les compétences requises pour contribuer au projet commun, en étant rétribué ou non. Dans cette nouvelle sphère, on trouve à la fois des biens dit « rivaux » dont on ne peut pas profiter tous en même temps sans tenir compte de leur finitude (comme les biens naturels que sont l’eau ou la terre), et des biens « non rivaux » que l’on peut utiliser sans les épuiser (comme le savoir, les œuvres culturelles, les logiciels,…).

C’est ainsi que se met en place un nouvel écosystème de création de valeur dans lequel se côtoient des communautés productives qui produisent des ressources partageables, des coalitions entrepreneuriales qui essaient de générer des profits via des activités organisées autour des ressources communes, et des associations à bénéfice social dont le rôle est de protéger les communs, de s’assurer de la pérennité des infrastructures, et de soutenir la coopération. Et s’il fallait se convaincre qu’une nouvelle dynamique est bien à l’œuvre au cœur même de l’économie capitaliste, il existe de nombreux projets, comme l’annuaire P2PValue, qui cartographient et valident l’existence de cette émergence de dynamiques ayant pour point commun de combiner des processus de contributions ouvertes, de gouvernance participative et des processus orientés vers la production de communs.

Ce n’est pourtant pas notre propos d’affirmer que les technologies P2P sont nécessairement propices à un développement social harmonieux. Bien entendu, selon le groupe social qui s’en empare, l’utilisation d’une technologie peut-être sous-tendue par des objectifs différents, ce qui en fait un enjeu de lutte sociale. Nous axons notre observation sur les possibilités d’évolution de la société vers un modèle génératif ouvertes par ces technologies en réseau, tout en analysant les manières de dépasser le modèle extractif global qui s’empare des technologies P2P pour en faire une forme de capitalisme netarchique et centralisateur prompt à posséder et contrôler les plateformes participatives. En effet, si Internet est le lieu du développement tous azimuts des formes de commerce classique sous couvert d’une pseudo économie collaborative, il crée aussi une véritable opportunité de transformation sociale en favorisant le passage à grande échelle de la communication, de la coordination et des coûts de transaction tout en préservant les dynamiques des petits groupes.

Des exemples comme Wikipedia, qui a littéralement supplanté les encyclopédies commerciales, ou Linux, qui a massivement remplacé les logiciels propriétaires, montrent à quel point les formes d’organisation reposant sur des mécanismes de coordination mutuelle sont en mesure de créer des produits qui s’insèrent naturellement dans le marché capitaliste, opérant une sorte d’hybridation qui fertilise les formes dominantes de marché. Même si la production par les pairs basée sur les communs ne peut pas se substituer du jour au lendemain à tous les processus de production, et si certaines infrastructures (comme peut-être l’approvisionnement en eau) peuvent rester centralisées, on peut tout de même imaginer que les communs finissent par coloniser et adapter les formes d’État et de marché à leurs propres intérêts, dans un phénomène de reconfiguration des équilibres où le couple de régulation hiérarchie/prix serait progressivement remplacé par des mécanismes de coordination mutuelle.

Pour autant, le P2P ne constitue pas une panacée universelle. Il est fort probable que, comme pour toutes les transitions précédentes de notre histoire, le désordre préside à ce changement de société. Nous soutenons toutefois que même s’il ne devient pas la forme dominante, il influencera profondément le fonctionnement de nos sociétés, dans ses formes les plus vertueuses, comme dans celles qui nous semblent plus contestables. Il nous paraît en effet évident que le modèle économique netarchique, incarné par Facebook, Uber ou Bitcoin, et les modèles axés sur les communs que sont Wikipédia ou les projets de logiciels libres, n’ont pas les mêmes conséquences sociales ni environnementales.

La production par les pairs basée sur les communs, où les contributeurs partagent la valeur créée à travers des systèmes contributifs ouverts, peut être décrite comme un cycle d’accumulation de communs comparable à celui de l’accumulation du capital. Ce prototype de nouvelle forme de société, tout en étant encore très dépendant du capitalisme, représente aussi un potentiel de transcendance de ce dernier par la résolution de ses problèmes structurels, notamment parce qu’il apporte un véritable avantage concurrentiel et la possibilité d’économies massives sur les investissements. Et tandis que le marché injecte des capitaux dans les projets P2P, il est progressivement colonisé par leurs pratiques et leurs valeurs dans un curieux processus qui consiste simultanément à apprivoiser et à saper sans hostilité le capitalisme.

A l’inverse, pour que la nouvelle classe de « commoneurs » se dégage progressivement des investissement et des pratiques capitalistes pour devenir financièrement viable et indépendante, il lui faut opérer ce que Dmytri Kleiner et Baruch Gottlieb ont appelé le « transvestissement », c’est-à-dire une stratégie de cooptation inversée qui consiste à transférer une modalité vers une autre en s’emparant du capital pour l’utiliser à leur propre développement. Cette stratégie peut être mise en œuvre par des coalitions d’entrepreneurs qui construisent des services et des produits à valeur ajoutée autour des communs immatériels librement accessibles, tout en mettant en place des mécanismes de réciprocité dans la sphère de la production physique. Ce fonctionnement multimodal peut d’ailleurs être comparé à celui des guildes du Moyen-Âge qui vendaient leur production sur le marché externe (à noter que, contrairement à aujourd’hui, cela se pratiquait dans le cadre d’une politique de “juste prix”), mais qui fonctionnaient en interne comme des fraternités au sein desquelles existaient des systèmes de solidarité mutuelle.

Si cette stratégie fonctionne, et si l’on passe de l’observation des pratiques existant à un niveau micro à une vision de la nouvelle forme sociale à part entière que ces pratiques portent en elles-mêmes, on peut alors envisager un passage vers une économie post-capitaliste où le P2P serait à la fois un mode relationnel, un mode d’échange, une infrastructure socio-technologique et un mode de production. Dans ce nouveau modèle sociétal mettant les communs, le bien collectif et l’autonomie au centre des institutions, la société civile deviendrait productive via la production collaborative de valeur à travers les communs, le marché deviendrait « éthique » car les pratiques économiques génératives y prédomineraient, et le rôle de l’État, devenu partenaire, consisterait à favoriser cette économie contributive, notamment en garantissant l’équipotentialité contributive et l’autonomie de tous les citoyens.

Michel Bauwens et Maïa Dereva

 

Entrevue avec Michel Bauwens autour de l’ouvrage « Manifeste pour une véritable économie collaborative »

Michel Bauwens répond aux questions de Frédéric Sultan à propos de son dernier ouvrage Manifeste pour une véritable économie collaborative. Il replace l’économie collaborative dans un contexte historique et l’évolution du capitalisme, aborde la relation entre travail et commoning et la dimension démocratique d’une société basée sur les communs.

Source : Remix The Commons

Manifeste pour une véritable économie collaborative

Vers une société des communs

Michel Bauwens, Vasilis Kostakis

Editions Charles Leopold Mayer, 14 avril 2017

Partage de fichiers, distribution de musique, installation de logiciels,
la technologie du peer-to-peer (P2P) permet différents types de coopération via un échange direct de données entre ordinateurs, sans passer par des serveurs centralisés. Mais ce genre d’utilisation a au fond une portée limitée, et si l’on adopte un point de vue plus large, le P2P peut être considéré comme un nouveau modèle de relations humaines.

Dans cet ouvrage, Michel Bauwens et Vasilis Kostakis décrivent et expliquent l’émergence d’une dynamique du P2P fondée sur la protection et le développement des communs, et la replacent dans le cadre de l’évolution des différents modes de production. Cette nouvelle modalité de création et de distribution de la valeur, qui favorise les relations horizontales, crée les conditions pour une transition vers une nouvelle économie, respectueuse de la nature et des personnes, une véritable économie collaborative.

Biographie des auteurs

Michel Bauwens a fondé et dirige la P2P Foundation. Il a publié Sauver le monde, vers une économie post-capitaliste avec le peer-to-peer (Les Liens qui libèrent, 2015).

Vasilis Kostakis est chercheur en économie politique et technologie.

Un million de révolutions tranquilles

Travail, argent, habitat, santé, environnement… Comment les citoyens changent le monde

Bénédicte Manier

Les liens qui libèrent (Novembre 2012)

Présentation de l’éditeur :

Ils sortent de la faim et de la pauvreté des centaines de milliers de personnes. Ils sauvent des entreprises. Ils construisent des habitats coopératifs, écologiques et solidaires. Ils ouvrent des cliniques gratuites, des microbanques, des épiceries sans but lucratif ou des ateliers de réparation citoyens. Ils reverdissent le désert et régénèrent les écosystèmes. Ils financent des emplois ou des fermes bio. Et partout dans le monde, ils échangent sans argent des biens, des services et des savoirs, redynamisent l’économie locale ou rendent leur village autonome grâce aux énergies renouvelables.

Qui sont-ils ? De simples citoyens et citoyennes. Mais ils sont les pionniers de nouveaux modes de vie, qui sont en train de transformer la planète. Bénédicte Manier, journaliste, a parcouru plusieurs pays et observé la réussite de ces révolutions silencieuses. Son livre est le premier à appréhender la dimension mondiale de ces alternatives qui foisonnent depuis trois décennies et ne cessent de se développer. Des initiatives qui n’émanent pas de groupes marginaux, mais de classes moyennes bien intégrées, aspirant à vivre dans un monde plus juste.

Il s’agit là d’un mouvement inédit, mené par une société civile lucide, ayant décidé de reprendre en main les enjeux qui la concernent et qui, des États-Unis à l’Inde, du Canada à la France, de l’Argentine au Japon, fait émerger des solutions innovantes à la plupart des maux de la planète. Peu à peu, elle dessine ainsi les contours d’une société plus participative, plus solidaire, plus humaine.

Commentaire de l’auteure :

C’est le premier livre qui fait le tour du monde des initiatives citoyennes dans tous les domaines : agriculture, habitat, consommation collaborative, monnaies locales, Fab-Labs et coworking, coopératives, environnement, ressources en eau, agriculture, urbaine, etc (et il a en partie inspiré le film Demain de Cyril Dion et d’autres documentaires et livres).
L’idée est de montrer que désormais, la société civile crée, partout, ses propres circuits alternatifs et qu’elle reprend en main l’ensemble des enjeux qui la concernent. C’est un mouvement mondial mais qui manque encore de coordination, d’articulation, pour faire système. On voit ainsi des alternatives complémentaires se développer sur de mêmes territoires, mais sans se concerter. Cette coordination des initiatives, c’est la prochaine frontière : une vraie alternative au système économique dominant ne pourra marcher que si ces alternatives fonctionnent en réseau, en écosystème, et atteignent une masse critique.

L’économie du partage selon Michel Bauwens

Intervention de Philippe Van Muylder au Colloque du groupe CDH au Parlement bruxellois.

Depuis Michel FOUCAULT, nous savons ce que valent les classifications.

Partons cependant, si vous le voulez bien, de celle que propose Michel BAUWENS dans son récent ouvrage : Sauver le monde. Vers une économie post-capitaliste avec le peer-to-peer (Ed. LLL, 2015).

economie-collaborative-4-cadrants

Bauwens, on le voit, structure l’économie collaborative en quatre quadrants, construits sur deux axes.

Le premier axe, vertical, vise le contrôle centralisé (ou son absence). Exemple-type de centralisation : Facebook (nous ne savons ni où se trouvent les ordinateurs de FB, ni ce que deviennent les données personnelles que nous lui confions).

Le second axe, horizontal, oppose orientation-profit et orientation-utilité sociale.

C’est sur cette base que Bauwens distingue quatre types de démarches économiques participatives.

Par capitalisme ‘netarchique’, il vise des plates-formes participatives dirigées par un ‘maître de réseau’ (comme Facebook ou Google). Ces entreprises sont évidemment complexes, ce sont des médailles à 2 faces : ainsi, FB est à la fois une grosse entreprise, accumulant des profits sur le dos de ses utilisateurs (qui créent toute la valeur) & une structure autorisant des relations entre pairs à un degré élevé, permettant aux gens de communiquer entre eux et de collaborer. À noter : on se trouve ici, bel et bien, face à une démarche de rentiers (toutes ces entreprises font du profit sur des valeurs créées par d’autres).

Par capitalisme distributif, Bauwens vise ce qu’il appelle des ‘places de marché’ peer to peer, comme Uber (on parle aujourd’hui  de mille chauffeurs à Bruxelles), Airbnb (qui louerait actuellement quatre mille chambres dans notre Région), e Bay mais aussi ce qu’il est convenu d’appeler le social lending (soit des opérations de prêt entre particuliers, qui décident de ‘by-passer’ le secteur bancaire).

Dans ces deux premiers quadrants, la logique qui prévaut est bien sûr une logique de profit, avec ses ingrédients traditionnels : concurrence déloyale, évitement de l’impôt, évitement des cotisations sociales.

Le troisième quadrant est dénommé résilience locale par Michel Bauwens.

On entre, ici, de plain-pied dans le social profit. Exemple-type : le covoiturage entre collègues de travail, au sein d’une entreprise ou d’un quartier d’entreprises.

Reste, enfin, un quatrième et dernier quadrant : les communs au niveau mondial. Exemple-type : Wikipédia.

Essayons maintenant de bien sérier les problèmes, à partir de cette taxonomie.

Au regard de la question « l’économie collaborative induit-elle une évolution positive ou une régression sur le plan du travail ? », l’économie de partage au sens restreint (le covoiturage entre collègues, le partage d’une buanderie dans un immeuble, l’échange momentané d’une tondeuse contre un grille-pain, un petit travail de peinture contre une heure de soutien scolaire), n’appelle évidemment pas les mêmes réponses que Uber, Airbnb, Facebook, Google ou même Wikipédia.

Toutefois, quel que soit le quadrant visé, un premier problème, transversal, apparaît :

l’économie collaborative dessine une société aux carrières professionnelles extrêmement flexibles, où se succèderont dans le temps des périodes de travail salarié, des périodes de chômage (durant lesquelles pourront plus facilement être menés des projets collaboratifs), ou encore des périodes d’ entrepreneuriat social. On voit mal comment cette énorme flexibilité pourrait se passer de la mise en place d’un revenu de base garanti (en d’autres termes, d’une allocation universelle).  Chacun en connaît le principe : en lieu et place des prestations sociales (ou de certaines d’entre elles), l’Etat verse un revenu fixe et inconditionnel à chaque citoyen.  Je dis « premier problème » parce que, comme Mateo ALALUF, je suis d’avis que l’allocation universelle est une véritable machine de guerre contre l’Etat social, une vraie fabrique de précarité…

Par ailleurs, nous savons tous que la plupart des pratiques d’économie collaborative ont recours aux nouvelles potentialités du numérique. Cela fait clairement partie de leur ADN.

Or, ce qu’on appelle Révolution numérique a des conséquences multiples sur nos sociétés. Ces conséquences sont (notamment) de deux ordres :

  • elles concernent nos libertés fondamentales, notamment notre droit à la vie privée :

nous savons que sommes désormais tous ‘pistés’, ‘géo-localisés’ en permanence, en manière telle que, dans moins de 10 ans, chaque téléspectateur captera non plus des programmes de télévision ‘standard’, mais des chaînes personnalisées, intégrant ses goûts et ses habitudes de consommation, ce qui ne va pas sans poser de questions éthiques…

  • mais la révolution numérique pose aussi de nombreuses questions sociales, car elle affecte également le travail[1]:

-elle crée une société de la performance (alors que le contrat de travail ‘classique’ ne crée pas, dans le chef du travailleur, une obligation de résultat mais une simple obligation de moyen). Relevons simplement, à cet égard, l’étude récente de chercheurs britanniques qui ont calculé qu’avec le smartphone, le travailleur moyen preste chaque année quelque 460 heures supplémentaires non rémunérées ! ;

  • elle nous oblige à repenser les modes de financement de la sécurité sociale ;
  • elle rend illusoires les espoirs d’une résorption du chômage fondée exclusivement sur une reprise de la croissance ;
  • et, surtout, elle raréfie le travail.

Après Bill GATES (« Au cours des 20 années à venir, le software reprendra à son compte la moitié des emplois »), le World Economic Forum (WEF), organisateur du forum de Davos, indique que la quatrième  révolution industrielle entraînera la perte de cinq millions

d’emplois en cinq ans : dans tous les pays occidentaux, qu’on le veuille ou non, on produit désormais  plus avec (beaucoup) moins de travail. Ainsi, entre 1820 et1960, la productivité a été multipliée par deux ; entre 1960 et…2012, elle a été multipliée par cinq ! En comparaison, la révolution industrielle du 19ème siècle ou l’invention du travail à la chaîne du début du 20ème siècle ont généré des gains de productivité presque ridicules…

C’est, bien sûr, ce qui valide les discours sur la nécessité de penser à nouveau une réduction collective du temps de travail ![2] Vous savez qu’en cette matière mon organisation et votre parti divergent…

Dans les pays occidentaux, l’Etat social avait en quelque sorte « coupé nos vies en deux », séparant nos vies professionnelles et nos vies privées. En améliorant les conditions matérielles de la vie professionnelle (en termes de salaires, de protection sociale, de diminution du temps de travail, …), il nous avait permis de retrouver une forme de « sérénité » dans notre vie privée.

Aujourd’hui, bien des experts le signalent, la révolution numérique est en passe de cicatriser cette coupure : nous sommes désormais joignables et pistés vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et ce sont des algorithmes qui nous envoient nos injonctions majeures !…

Voilà pour l’analyse. Mais, quoi qu’il en soit, l’économie collaborative est en marche.

Et ce train-là ne sera pas arrêtable. Elle présente une série de différences essentielles avec l’économie marchande traditionnelle, notamment le fait que la production entre pairs vise la production de valeur d’usage ; en outre, elle ne se donne pas pour objectif de créer des besoins fictifs, dans le simple but d’écouler une production (tout le contraire de ce qui se passe, par exemple,  dans le secteur pharmaceutique, dont chacun sait qu’il « invente », en quelque sorte, régulièrement une série de nouvelles ‘maladies mentales’[3] à traiter…chimiquement, bien entendu). On est bien loin, aussi, dans l’économie collaborative, d’autres travers de l’économie marchande, dont le scandale de l’obsolescence programmée, à propos duquel tous nos Etats adoptent un silence consternant et complice… Bref, de manière générale, ce qu’indique l’économie du partage, c’est qu’« entre l’Etat et le marché, ce n’est pas le vide ! ».

En revanche, convenons que le marché ‘classique’, que concurrence l’économie collaborative, est bien davantage régulé que celle-ci ! La question du jour devient donc, selon moi : ‘à quelles conditions l’économie collaborative, certes alternative, mais si fortement liée à la révolution numérique, pourra-t-elle être porteuse de progrès social pour les travailleurs (et pour l’ensemble de la société), au lieu de se traduire par davantage de précarité, de flexibilité et par une moindre protection sociale ?’ ‘Comment réguler une économie sans frontières ?’ C’est, pour demain, un des défis majeurs des responsables publics mais aussi des organisations syndicales, nationales et européenne…

Philippe Van Muylder, secrétaire général de la FGBT (Fédération Générale du Travail de Belgique)

Notes

[1] La production de biens mais aussi la production de services.

[2] Antoine RIBOUD, grand patron français, fondateur de DANONE : « Il faut passer à quatre jours, 32 heures, sans étape intermédiaire. C’est le seul moyen d’obliger les entreprises à créer des emplois » (septembre 1993).

Michel ROCARD :
« On ne sortira du chômage massif que par la réduction, elle aussi massive, de la durée du travail » (1996), ajoutant :
« Nous avons oublié d’être radicaux dans nos manières de penser ».

[3] Timidité, peur de rougir, deuil anormal, énervement au volant (trouble explosif intermittent), infidélité conjugale,… !

Michel Bauwens et Sandrino Graceffa : l’économie collaborative en transition

Ancien chef d’entreprise, le Belge Michel Bauwens, aujourd’hui installé en Thaïlande, est l’un des théoriciens majeurs de l’économie collaborative et du peer-to-peer, défini comme la « capacité des individus de créer, en tant qu’égaux, de la valeur sans être obligés de demander une autorisation à quiconque ». Auteur de « Sauver le monde. Vers une société post-capitaliste avec le peer-to-peer » (Les Liens qui libèrent, 2015), il était l’invité d’une journée d’étude organisée par SMart asbl et la SAW-B (Solidarité des Alternatives Wallonnes et Bruxelloises) le 18 février dernier autour de la question « L’économie de demain sera-t-elle plus solidaire ? ». Entretien croisé avec Sandrino Graceffa, directeur général de SMart.

Lire la suite sur le site alterechos.be

Economie collaborative : «Les politiques devraient soutenir des formes entrepreneuriales plus justes»

Propos recueillis par Anne-Laëtitia Béraud

Le député socialiste Pascal Terrasse remet ce lundi soir à Manuel Valls son rapport sur l’économie collaborative. Le texte suggère 19 propositions pour mieux encadrer cette économie qualifiée d’« alternative crédible à un modèle de consommation qui s’essouffle ». Il exige notamment plus de transparence fiscale pour des plateformes numériques telle que Airbnb ou Le Bon Coin. Le théoricien de l’économie collaborative Michel Bauwens revient pour 20 Minutes sur ce rapport. Cet ancien chef d’entreprise est l’auteur de Sauver le monde, vers une société post-capitaliste avec le peer-to-peer (éditions Les Liens qui libèrent), et créateur de la P2P Foundation.

Comment réagissez-vous aux principales propositions du rapport de Pascal Terrasse ?

Tout d’abord une remarque. Il me semble que ce rapport ne parle que de l’économie des échanges de services et de propriété, alors qu’il y a plusieurs économies collaboratives, dont une qui créée de vraies ressources partagées, les « communs ».

Lire la suite sur le site 20minutes.fr

Homo cooperans 2.0

Comment l’économie collaborative peut nous sortir de là !

Matthieu Lietaert

Préface de Michel Bauwens – Préface de Sophie Rabbi-Bouquet

Editions Couleur livres asbl (31 octobre 2015)

homo-cooperansMatthieu est le petit poisson vert qui en a marre de se faire bouffer 🙂

Il est docteur en sciences politiques, co-réalisateur du film sur le lobbying The Brussels Business (RTBF, ARTE), co-auteur du film participatif sur le climat Nos Chers Paradis (ARTE), auteur du livre Le Cohabitat – Reconstruisons des villages en ville, co-fondateur de l’habitat groupé L’Echappée, et co-fondateur du supermarché participatif et coopératif BEES Coop. Puis il parle, mais alors là, il parle beaucoup trop 🙂

 

 

 

Quel avenir pour l’économie collaborative et le peer-to-peer ?

C’est un titre qui peut paraître ambitieux voire exagéré : dans son nouvel ouvrage, Michel Bauwens propose ni plus ni moins que de « Sauver le monde ». De quoi faire « ricaner les sceptiques de tout genre », reconnaît dans la préface le philosophe Bernard Stiegler. Pourtant, les thèses avancées par Michel Bauwens, théoricien de l’économie collaborative, s’inscrivent dans un horizon sombre : au cours des vingt prochaines années, l’automatisation pourrait provoquer le déclin de la société fondée sur le salariat, et nombre d’emplois risquent de disparaître. D’après une étude publiée dans la revue Nature Climate Change, plus de la moitié des plantes terrestres courantes et environ un tiers des animaux diminueront de moitié d’ici à 2080 à cause du changement climatique si les émissions de gaz à effet de serre continuent à augmenter au rythme actuel.

Lire la suite sur le site lemonde.fr