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La loi et les communs

Cet article est une synthèse de la publication et contribution de Valérie Peugeot au colloque de Cerisy qui a eu lieu en Septembre 2016.

Le titre de l’article initial est : FACILITATRICE, PROTECTRICE, INSTITUANTE, CONTRIBUTRICE : LA LOI ET LES COMMUNS

L’article est dense et suppose une première approche des communs. Il montre comment « des initiatives législatives récentes montrent qu’une reconnaissance explicite des communs est possible« .

Pour cela, l’auteure analyse comment la notion de communs est entrée dans la loi, sans que pour cela le mot soit nommé, par le biais de 5 articles, même si les 2 derniers sont surtout un mélange de faux espoirs et de petites avancées :

  1. la loi ALUR, loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi Duflot II, adoptée le 26 mars 2014. Elle rend possible la mise en place d’organismes fonciers solidaires grâce à 4 innovations juridiques qui créent un faisceau de droits :
    1. dissociation de la propriété et du bâti et du foncier
    2. bail rechargeable (donc de facto perpétuel)
    3. conditions de cession fixées en amont
    4. gestion sur un mode collectif (gouvernementalité tri-partite familles / voisins / pouvoirs publics)

    Pour l’auteure, « nous sommes ici dans un cas de commun relativement pur« .
    La loi crée également  2 statuts qui vont sécuriser juridiquement les personnes qui s’engagent dans l’habitat participatif : la société d’attribution et d’autopromotion et la coopérative d’habitants (le second ramenant aux communs).

  2. loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (ESS), dite loi Hamon. Dans cette loi, 5 éléments participent à la mise en avant des communs :
    1. la définition de l’ESS est sortie d’une approche statutaire (réservée à certaines structures seulement) pour aller vers une définition par les finalités (un but autre que le seul partage des bénéfices), ce qui permet ainsi à des structures porteuses de communs (y compris des entreprises commerciales) de s’en emparer pour aménager leur statut.
    2. l’ancrage juridique du concept d’innovation sociale : ce constat d’impuissance du marché et de l’action publique inscrit dans la loi ouvre l’espace pour légitimer les communs.
    3. l’encouragement du secteur coopératif qui est un des statuts les plus intéressants pour les communs qui ont besoin de s’institutionnaliser
    4. l’encouragement aux coopératives d’activités et d’emplois (CAE) : c’est un début de réponse à la situation d’une économie qui tend à atomiser et isoler le travailleur en repensant le travail comme un commun.
    5. l’encouragement des monnaies locales qui étaient jusqu’ici tolérées.
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  3. loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV) du 17 août 2015 + ordonnance du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité (financement participatif, autoconsommation collective : les énergies renouvelables produites et / où consommées en commun). On voit se construire une approche polycentrique et ascendante. Des communautés se mettent en action de manière distribuée. Des petits fragments de cette loi participent à l’émergence des communs de la transition énergétique  :
    1. l’encouragement au financement participatif de la production d’énergie renouvelable : l’auteure considère que le fait que des communautés d’acteurs puissent se mobiliser en amont pour de la production distribuée est un début de gouvernance en commun, même si c’est un balbutiement.
    2. l’autoconsommation est instituée par cette loi qui promeut l’autoconsommation individuelle mais aussi collective. Des collectifs d’acteurs producteurs d’énergie peuvent re-consommer l’énergie produite en circuit court. Il s’agit d’un commun en production et en consommation.
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  4. loi dite de reconquête de la biodiversité du 20 juillet 2016 : elle limite les pratiques de brevetage du vivant, plus spécifiquement pour les semences. « Indirectement, la loi renforce le domaine public puisqu’elle institue de l' »inappropriable«  et en protégeant les droits d’usage associés« . Cela ouvre ouvre la voie à des communs environnementaux volontaires.
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  5. loi pour une république numérique, dite loi Lemaire, du 20 juillet 2016. 7 avancées sont repérées :
    1. ouverture par défaut des données publiques, ce qui nourrit les communs informationnels
    2. encouragement à l’utilisation des logiciels libres et systèmes ouverts par l’administration
    3. introduction du concept de « données d’intérêt général » transmissibles dans un format ouvert et librement réutilisable, ce qui ressemble à une mise en commun de données de source privée. 
    4. inscription dans la loi de l’open access (même s’il n’est pas obligatoire)
    5. text and data mining : faculté qu’ont les chercheurs d’effectuer des recherches dans des textes qui sont encore sous droits d’auteur
    6. liberté de panorama partielle : les photographies ne peuvent être qu’à usage non commercial.
    7. principe de neutralité du Net consacré juridiquement

Malgré toutes cas avancées plus ou moins concrètes, le terme de « commun » reste interdit d’énonciation explicite dans la loi pour le moment. Mais on peut s’en passer. Il suffit de considérer combien d’initiatives font déjà du commun sans le savoir…

Ecouter Valérie Peugeot (Source : Coop des communs) :

 

Photo d’illustration : darius norvilas sur Flickr, CC BY-NC 2.0

Contribuer à l’émergence d’une société neuve et vive – Des chemins à investir

Olivier Frérot

Editions Solidarités émergentes

mail-livre-emergence2frerotUn de nos plus grands désarrois actuels est la progressive disparition de ce que nous appelons le Bien Commun. Nous ne comprenons pas pourquoi ce qui était encore efficace il y a peu ne l’est plus; pourquoi la machine publique qui produisait globalement du bien pour nous tous, s’est enrayée.

Nous pouvons être gagnés par l’amertume et le ressentiment. Ne devrions-nous pas regarder cette évolution avec lucidité ? Sinon, des tragédies pourraient bien nous submerger et la barbarie revenir. Il importe donc de comprendre ce qui nous arrive en ce début de XXIe siècle, où est passé ce Bien Commun qui nous tenait positivement ensemble et s’il n’est pas en train de se métamorphoser en une autre forme.
Cet ouvrage montre ce qui est en train de naître au cœur de la société, ils s’ouvrent des chemins inédits et enthousiasmants pour la pensée et pour l’action.

Illustration : Annie Demongeot

L’auteur :

Olivier Frérot, né en 1959, a fait des études scientifiques. Il est diplômé de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées. Il obtient également un DEA de pharmacologie. Il entre au Ministère de l’Equipement en 1985.

Il aura des responsabilités managériales dans différentes directions départementales de l’Equipement, avec notamment celles de directeur dans le Territoire de Belfort de 1998 à 2002, puis dans le département de la Loire à Saint-Etienne de 2002 à 2007. Il dirige l’Agence d‘urbanisme de Lyon de 2007 à 2012, puis il change d’orientation en prenant la responsabilité de vice-recteur en charge du développement à l’Université catholique de Lyon depuis la mi-2012 à mi 2012 à mi 2016.

A partir de septembre 2016, il crée Philométis et devient consultant-coopérateur à la coopérative Oxalis, en proposant une réflexion approfondie sur la métamorphose de notre société.

Commander le livre…

Nuit Debout et les Communs : convergence réussie ou occasion manquée ?

Intervention de Lionel Maurel dans le cadre du Colloque « Vers une République des communs ? »

Né le 31 mars 2016 en opposition à la Loi Travail « et son monde », le mouvement Nuit Debout s’est transformé plusieurs mois durant en une occupation de la Place de la République à Paris, qui a essaimé dans de nombreuses villes de France et au-delà. S’inscrivant dans la filiation des mouvements d’occupation des places initiée avec les Indignés de Madrid et Occupy Wallstreet, les liens entre Nuit Debout et les Communs interrogent.

Les Communs ont en effet joué un rôle notable pendant ou après certains des mouvement sociaux anti-austérité de ces dernières années, que ce soit pendant le Printemps Érable au Québec en 2012, lors de l’occupation de la Place Syntagma en Grèce ou avec les listes politiques issues du 15 M en Espagne qui ont remporté les élections à Madrid et Barcelone. Pour Nuit Debout, ce lien est cependant plus complexe à établir. Alors même qu’un tissu des Communs s’est développé en France et commence à se structurer, on ne trouve que peu de références aux Communs dans les textes qui ont été produit par les militants de Nuit Debout. Les acteurs des Communs n’ont pas réellement produit en tant que tel un discours contre la loi Travail et s’ils ont été assez nombreux à participer à Nuit Debout à titre individuel, on ne peut pas dire que les Communs se soient emparés de ce mouvement collectivement. Pourtant, lorsque l’on regarde le mode de fonctionnement concret de Nuit Debout, notamment au niveau de l’occupation de la Place de la République à Paris, on constate que beaucoup des composantes du mouvement se sont structurées comme des Communs pour faire face aux défis logistiques et organisationnels auxquels elles étaient confrontées. C’est le cas notamment des commissions structurelles de Nuit Debout (Accueil, Sérénité, Cantine, Infirmerie, Logistique, Bibliothèque) qui ont permis au mouvement de tenir dans la durée. Ces groupes ont géré des ressources partagées en se donnant des règles de gouvernance ouverte que l’on peut analyser selon les principes dégagés par Elinor Ostrom. La place est aussi devenue pour beaucoup de populations marginalisées un lieu où venir puiser des ressources, réactivant des pratiques de glanage liées depuis des temps immémoriaux aux Communs. Nuit Debout pose aussi la question de l’appropriation de l’espace public comme un Commun et le mouvement a dû affronter des phénomènes d’enclosure initiés par les pouvoirs publics ou par des des acteurs privés extérieurs. Il a dû aussi lutter contre des tentatives de capture de l’action collective opérées de l’intérieur, visant à confisquer la gouvernance du mouvement ou ses moyens de communication.

Le paradoxe de Nuit Debout est donc le suivant: ses acteurs ont agi au sein de processus qui peuvent être analysés comme des Communs et ils ont dû affronter les menaces qui pèsent traditionnellement sur les Communs. Mais seule une petite partie de ses membres l’ont fait consciemment et le discours des Communs transparaît au final peu dans les productions et revendications du mouvement. Pourtant, les Communs auraient sans doute pu apporter un élément qui a cruellement fait défaut au mouvement. Malgré l’objectif affiché de « convergence des luttes », Nuit Debout a en effet peiné à faire la synthèse entre les multiples revendications qui se sont exprimées en son sein, réfractées et éclatées parmi la multitude des commissions qui le composaient. Parvenant difficilement à dépasser des revendications vagues comme l’opposition au système capitaliste, Nuit Debout n’a pas réussi à articuler un projet alternatif cohérent. Or la pensée des Communs possède de son côté la capacité en embrasser un spectre très large, alliant questions sociales, économiques, environnementales, numériques, urbaines, éducatives et plus encore. Le « liant » théorique et idéologique qui a manqué à Nuit Debout aurait pu être trouvé du côté des Communs. Sachant par ailleurs que plusieurs penseurs des Communs, comme Michel Bauwens par exemple ou le duo Dardot et Laval, développent des discours révolutionnaires envisageant des scénarios de convergence sur la base d’alliances renouvelées entre groupes sociaux.

Y a-t-il eu dès lors convergence réussie ou rendez-vous manqué entre Nuit Debout et les Communs? Comment modifier le discours sur les Communs pour lui donner un impact politique plus explicite et une plus forte capacité de mobilisation lors de mouvements sociaux comme Nuit Debout? Quelles convergences intellectuelles peut-on construire avec certaines figures ayant inspiré ce mouvement (Le comité invisible, Frédéric Lordon, François Ruffin) ? Sur quels groupes sociaux peut-on enfin s’appuyer pour enclencher la « révolution des Communs » que certains appellent de leurs voeux ?

 

Article initialement publié sur le blog de la Coop des Communs sous licence CC BY SA.

Photo : Olivier Ortelpa, Flickr CC BY 2.0