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P2P Foundation

Territoires solidaires en commun

Les anti-actes d’un colloque inédit

Elisabetta Bucolo, Geneviève Fontaine, Hervé Defalvard

Éditions de l’Atelier – Octobre 2020

Les multiples initiatives portées par l’économie sociale et solidaire et le mouvement des communs se déploient sur les territoires tout en faisant système à de plus larges échelles régionale, nationale et mondiale. Elles renforcent un socle commun de nouvelles solidarités en matière d’emploi, d’énergie, d’habitat, de santé, de culture, pour une économie inclusive et plus durable, et ce à travers plusieurs axes comme l’écologie, le numérique ou encore la démocratie et la coopération. Du 12 au 19 juillet 2019 s’est tenu à Cerisy le colloque « Territoires solidaires en commun : controverses à l’horizon du translocalisme » , coordonné par Elisabetta Bucolo, Hervé Defalvard et Geneviève Fontaine. Cette réflexion collective a donné une large place aux acteurs et à des récits d’expériences, en France ou ailleurs. Le colloque a fait surgir des points de croisement inattendus entre des initiatives très différentes et des formes de solidarité mises en jeu. Il a surtout permis d’aborder des aspects concrets, opérationnels de construction d’un projet politique qui ne soit pas celui de microsociétés qui se referment sur elles-mêmes. Une dynamique qui peut permettre de sortir de l’opposition actuelle entre mondialisme et nationalisme, qui nourrit le duo infernal du néolibéralisme et du populisme.

Sommaire

Introduction

Le site compagnon

Abécédaire libre, subjectif, pratique (1/2)

  • Communs
  • Territoire
  • Translocalisme

Chapitre 1. Les chemins des communs

  • À l’origine de mes cheminements vers les communs
  • Premiers pas dans ma compréhension de la théorisation des communs
  • Quand les voies des communs m’apparaissent contradictoires
  • Quand le chemin de l’action conduit à envisager de dépasser les querelles des voies théoriques
  • Concilier les voies théoriques des communs ?
  • Une volonté partagée dans la construction du colloque
  • Des trajectoires de l’action qui décalent notre conception des communs
  • Des questionnements alimentant l’action
  • Quels itinéraires des communs pour moi après Cerisy ?

Chapitre 2. Voyage dans les territoires solidaires en commun

  • Dépendances et interdépendances pour habiter le territoire
  • Immatérialité et matérialité pour habiter les communs de la connaissance
  • Territoires et terroirs solidaires sans frontières
  • Vécus sensibles et sciences savantes pour une écologie du savoir
  • Espace, temps et savoir pour de nouvelles géographies
  • Visibles et invisibles
  • Le culturel et le politique : lymphe des territoires solidaires

Chapitre 3. Le translocalisme comme nouvel horizon des communs

  • Comment tout ou presque a commencé à Cerisy
  • Comment s’est découvert à Cerisy l’horizon translocal des communs
  • Comment l’aventure translocale des communs continue après Cerisy
  • Rêvons d’un Tour de France translocal des communs

Les liens qui nous font

Conclusion

Mouvement centripète et envies systémiques

La vie de château, c’est bien ! Et après ?

  • Delphine
  • Rémy
  • Rémy et Delphine

Abécédaire libre, subjectif, pratique (2/2)

  • Capteur de liens
  • Controverses
  • Coopération
  • Épistémologies du Sud
  • Marginal sécant
  • Morale
  • Non-humains
  • Ontologie relationnelle
  • Outils de gestion
  • Système participatif de garantie
  • Prospectiviste
  • Teurgoule
  • Tiers (lieu, paysage, secteur… : principe écologique)
  • Ubiquité
  • Universalismes non alignés

Postface : Acteurs des territoires et citoyens du monde, ou l’inverse ?

Les colloques de Cerisy

Le Cercle des partenaires de Cerisy

Commander le livre sur le site de l’éditeur

Dominer

Enquête sur la souveraineté de l’État en Occident

Pierre DARDOT, Christian LAVAL

Éditions La Découverte – Août 2020

Il est courant de déplorer le déclin de la souveraineté de l’État-nation, qui semble devoir être aujourd’hui supplantée par la puissance du capital mondial. Restaurer la verticalité de l’État et son autorité serait ainsi la seule voie pour contester le globalisme néolibéral. C’est contre cette illusion, encore trop répandue à gauche, que Pierre Dardot et Christian Laval ont entamé ce long parcours dans l’histoire complexe et singulière de l’État occidental moderne, depuis sa naissance à partir du modèle de l’Église médiévale jusqu’à son rôle actuel d’État-stratège dans la concurrence mondiale. Comprendre les aléas et les détours de cette construction, c’est mettre à nu les ressorts d’une domination sur la société et sur chacun de ses membres qui est fondamentalement de l’ordre de la croyance : les « mystères de l’État », le culte de sa continuité qui oblige ses représentants par-delà leur succession, la sacralité dont ces derniers aiment à s’entourer dans l’exercice de leurs fonctions, autant d’éléments qui ont pu changer de forme, mais qui demeurent au principe de sa puissance. En retraçant cette généalogie, il s’agit pour les auteurs de montrer que l’on ne peut répondre aux défis de la mondialisation capitaliste et du changement climatique sans remettre en cause cet héritage. Car l’invocation de la souveraineté « nationale » est devenue l’alibi de l’inaction climatique et de la perpétration des écocides. Pour affronter ces enjeux globaux, il est indispensable de s’attaquer àun tel régime d’irresponsabilité politique qui dispense les gouvernants de rendre des comptes aux citoyens. C’est dire qu’il faut ouvrir la voie à un au-delà de la souveraineté étatique.

Pierre Dardot est philosophe et chercheur à l’université Paris-Ouest-Nanterre-La-Défense.

Christian Laval est professeur de sociologie à l’université Paris-Ouest Nanterre-La Défense et a publiéL’Homme économique. Essai sur les racines du néolibéralisme (Gallimard, « NRF essais », 2007). Il est l’auteur, avec Pierre Dardot et El Mouhoub Mouhoud, de Sauver Marx ? Empire, multitude, travail immatériel (La Découverte, 2007). Depuis 2004, il anime avec Pierre Dardot, le groupe d’études et de recherche « Question Marx » qui entend contribuer au renouvellement de la pensée critique.

Voir la fiche sur le site de l’éditeur.

Hommage à Bernard Stiegler

C’est avec énormément de regrets que nous avons appris hier soir la disparition du grand penseur et philosophe contemporain Bernard Stiegler, le seul à notre connaissance à évoquer l’économie contributive et à réfléchir à un changement de régime de valeurs dans notre société.

À la P2P Foundation, nous nous sentions donc éminemment proches de sa pensée, et nous étions toujours honoré⋅e⋅s de ses invitations à participer aux travaux d’Ars Industrialis et de l’IRI.

Michel Bauwens échangeait régulièrement avec lui à propos de la transition, et nous repartageons ici deux de ces entretiens.

Le premier s’est tenu au Centre Pompidou en 2014 :

Et le second date de quelques mois, au cours d’une visioconférence diffusée en mai dernier.

Nous rendons hommage à l’ami et au penseur. Il a laissé beaucoup de traces, dans les mots et dans les cœurs. Nous continuerons à le faire vivre en les diffusant et en poursuivant son travail.

Penser demain avec Bernard Stiegler

Source : UP Magazine

Après la crise sanitaire mondiale du COVID-19, quel serait notre plus grand risque ? La philosophe Hannah Arendt déclarait « Une crise ne devient catastrophique que si nous y répondons par des idées toutes faites ». En effet, le risque serait de reprendre nos vies sur les mêmes bases qu’auparavant, voire pire, par manque de moyens pour penser et agir autrement. A partir de cette hypothèse, le prospectiviste et théoricien de l’économie collaborative, Michel Bauwens, et Christine Marsan, psycho-sociologue, lancent des « conversations » sous forme d’entretiens vidéo pour tenter d’appréhender notre futur proche, Penser Demain. Premier invité : Bernard Stiegler.

Michel Bauwens (1) et Christine Marsan (2) proposent de réaliser un panorama à 360° des éléments sur lesquels porter notre attention pour appréhender notre futur proche et plus lointain avec de nouvelles bases à la fois conceptuelles et pragmatiques. Pour cela, ils invitent chaque semaine un acteur majeur de cette transition à apporter, selon sa compétence, son expertise, des clés de compréhension politique et économique (principalement questionnés par Michel Bauwens), avec l’éclairage des sciences humaines (principalement sollicités par Christine Marsan).

Objectif ? Mobiliser des avis pluriels et complémentaires pour oser une vision riche, nourrissante, contradictoire offrant aux auditeurs de se faire une opinion indépendante. Penser Demain apporte dans un contexte chaotique global une pierre à la prise de conscience afin de faciliter les modifications de comportements individuels et collectifs.
Les enjeux de la mutation de notre civilisation, avant le Covid-19 et depuis, sont devenus cruciaux.

Premier invité de cette série d’interviews vidéo : Bernard Stiegler

On ne présente plus Bernard Stiegler. Philosophe, directeur de l’Institut de recherche et d’innovation (IRI) et président de l’association Ars Industrialis, Association internationale pour une politique industrielle des technologies de l’esprit, Bernard Stiegler est aussi auteur de nombreux ouvrages, dont le dernier « Qu’appelle-t-on panser ? » (Edition Les Liens qui libèrent, 2018).
Avec Ars Industrialis et l’Institut de Recherche et d’Innovation du centre Georges Pompidou, il poursuit depuis plusieurs décennies son grand projet de transformation sociétale fondée sur la néguentropie, la collaboration et le soin. Ses expérimentations tentent de restaurer la société de manière locale et collaborative, comme en Seine-Saint-Denis à Saint-Ouen, Aubervilliers, où il entreprend des expériences grandeur nature pour tester sa méthode holistique pour l’éducation, en s’entourant de professeurs, parents, psychologues, artistes, juristes, chercheurs en sciences dures et humaines. Pour lui, c’est « c’est un paradigme, une vision des relations entre les hommes et de la morale qu’on souhaite se doter pour la société. Alors, la mutualisation et la transdisciplinarité jaillissent comme vecteurs pour jeter des bases saines à un nouvel édifice social, délestées du consumérisme, où les connaissances, les compétences et les savoir-faire sont un bien commun, une ressource accessible à tous. » (Source : France culture, février 2020).

Bernard Stiegler,
Philosophe
Fondateur et Président d’Ars Industrialis
Directeur de l’Institut de Recherche et d’Innovation

Entretien mené par Christine Marsan et Michel Bauwens le 18 novembre 2019 en visioconférence et diffusé le 8 mai 2020.

Comment le pair à pair peut faciliter la régénération et la résilience des écosystèmes ?

Cet article a été publié sur le site https://activer-economie-circulaire.com sous licence Creative Commons BY-NC-SA.

En ces temps de confinement forcé pour près de 4 milliards d’humains, j’ai eu la chance de m’entretenir avec Michel Bauwens. À la fois auteur, conférencier et prospectiviste, Michel est notamment le fondateur de la P2P Foundation en 2005. En tant que grand spécialiste du pair à pair et de la pensée systémique, Michel a un regard très fin sur la situation que nous vivons actuellement, il nous donne des clés de compréhension en s’appuyant sur l’Histoire mais aussi sur de nombreuses initiatives naissantes ou montantes de notre époque. Cela donne un épisode passionnant que je suis heureux de vous partager.
« Mettre fin à la destruction de la biosphère et œuvrer à sa régénération »

D’abord, il me semble utile de faire une brève introduction sur la P2P Foundation et le pair à pair.

P2P est une abréviation de « peer to peer », parfois aussi décrit comme « personne à personne ». L’essence du P2P est cette relation directe, et ses principales caractéristiques sont les suivantes

  • Création de biens communs par des processus de production et de gouvernance ouverts et participatifs
  • Accès universel garanti par des licences telles que Creative Commons, GPL, Peer Production License.

Depuis 2005, la fondation agrège les informations, exemples et tendances et met en relation les initiateurs de projets s’inscrivant dans le mouvement P2P. Wikipedia est probablement l’exemple actuel le plus connu notamment en ligne mais il en existe bien plus et pas uniquement en ligne. En effet, ce mode de fonctionnement se retrouve dans de nombreux domaines comme dans l’industrie automobile avec WikiSpeed, Arduino pour l’électronique ou Threadless dans le textile. Dans notre société largement influencé par le capitalisme, la notion de commun est souvent mal considérée ou parfois même incomprise. Michel y revient pendant cet épisode. Ces « ressources partagées, gérées par leurs propres utilisateurs selon des règles qu’ils ont eux-mêmes fixées » permettent pourtant des utilisations nettement plus efficaces des ressources et une meilleure diffusion de l’information par exemple. À tel point que les priorités stratégiques de la P2P Foundation sont définies ainsi :

  • Mettre fin à la destruction de la biosphère et œuvrer à sa régénération en abandonnant les conceptions dangereuses de la pseudo-abondance dans le monde naturel (en partant du principe que les ressources naturelles sont infinies et que l’innovation technologique rencontrera à elle seule toutes les solutions nécessaires).
  • Promouvoir le libre échange culturel en abandonnant les conceptions de pseudo-abondance dans le monde culturel qui entravent l’innovation (en partant du principe que la libre circulation de la culture doit être limitée par un excès de brevets, de droits d’auteur, de propriété intellectuelle, etc.)

Depuis quelques années, Michel Bauwens a régulièrement rappelé que chaque cycle se termine par une grande crise systémique, à la fois écologique, économique et social. En ajoutant que, ce jour là, il faudra être équipé de nouvelles solutions pour faire émerger un nouvel équilibre de société. Néanmoins, il pressentait cette crise majeure aux alentours de 2030 et, puis, le corona virus est passé par là. Nous voilà donc entré dans un évènement majeur de l’Histoire sans nous en rendre vraiment compte.
« La sélection naturelle au niveau de la civilisation humaine se fait au niveau des communautés, ce sont les groupes résilient qui survivent à ce genre d’époque »

En évoquant différents ouvrages, entre autre Rethinking the world de Peter Pogany, Michel nous livre son impression sur la crise du Covid-19 et décrit le manque de préparation des Etats, notamment occidentaux, le manque de résilience du système économique actuel mais aussi la montée en puissance de mouvements solidaires citoyens. Michel Bauwens pointe notamment les manquements des pays occidentaux notamment depuis la crise de 2008 et le manque de considération des externalités dans le système capitaliste avec toutes les conséquences associées. Il développe la notion de comptabilité écosystémique et la transition que nous vivons actuellement entre des systèmes compétitifs fermés et des systèmes compétitifs ouverts. Enfin, on évoque aussi l’intérêt des communs dans la dynamique de régénération des territoires mais aussi d’amélioration de leur résilience. Bref, un épisode dense mais passionnant que vous pouvez écouté dès maintenant.

Communs et comptabilité : Conversation avec Michel Bauwens

Source : Enacting the Commons
Article de Charlotte Khosla (« La 27
e Région ») sous licence Creative Commons (CC BY-SA)

Plus que jamais, les organisations en quête de sens cherchent à renouveler leurs pratiques afin de faire coïncider le fond avec la forme de leur projet. Changer de pratiques implique de changer les outils supportant l’activité. Quoi de mieux que commencer par changer notre logiciel commun : la comptabilité ? En début de mois, nous organisions une discussion avec Michel Bauwens autour de la comptabilité et des communs, suite au rapport « La comptabilité P2P pour la survie de la planète », co-écrit avec Alexis Pazaitis sous l’égide de la P2P Foundation en septembre 2019.

Pourquoi s’intéresser à la comptabilité ? Comment les administrations peuvent-elles s’emparer de ces sujets ? Quels liens avec la notion d’intérêt général ?

La comptabilité, véhicule d’une certaine vision du monde

La comptabilité ne consiste pas simplement en un enregistrement neutre des activités d’une structure. La manière dont on prend en compte ces chiffres découle d’un processus continu depuis les prémisses de la comptabilité qui se base sur des présupposés philosophiques forts. La comptabilité en partie double, par exemple, n’a pas toujours existé et traduit la distinction entre les objets que l’on peut exploiter, contrôler et utiliser (actif) et les sujets, dignes de respect et de droits (passif). On peut facilement imaginer ce que cela peut avoir comme incidence sur le rapport qu’entretiennent les organisations avec les différentes formes du vivant et comment cela a pu mener aux diverses crises sociales et environnementales.

De plus, on ne peut y reconnaître que certaines activités qui ont une valeur marchande. Or, beaucoup d’activités dans le secteur des communs ne sont pourtant pas classifiables comme marchandes alors qu’elles contribuent pleinement à la valeur des projets communs.

De la compétition à la collaboration comme nouveau paradigme

Le rapport présente ensuite trois grandes approches pour repenser la comptabilité ; la comptabilité contributive, la comptabilité REA, et les comptabilités thermodynamiques.

  • Michel Bauwens propose tout d’abord d’imaginer la comptabilité de manière complètement collaborative, via un outil commun qui pourrait se matérialiser par la blockchain/holochain. Ainsi, les participants de ces écosystèmes collaboratifs seraient en mesure voir ce que les autres apportent à la contribution. Dans le futur, si on veut engranger une économie circulaire, il faut partager et cela passe notamment par un partage d’information. Cette vision est déjà très marquée dans l’open source. C’est cette approche qui est désignée par la comptabilité contributive.

Le projet le plus développé dans ce sens est le projet de Sensorica (au Canada). Ils ont monté un projet qui aurait permis de financer un réseau de fablabs selon les modalités de la comptabilité contributive. Cela fonctionne par projet et l’on peut enregistrer le temps, le prêt d’outils… Un système de vérification par les pairs a été mis en place. On reçoit des points Karma et quand des financements viennent de l’extérieur, on redistribue selon les points karmiques. Le projet n’a pas encore abouti car ils n’ont pas réussi à convaincre mais ont fait tout le travail préparatoire.

  • La deuxième couche de collaboration, REA accounting (Ressources, Événements, Agents), a vocation à dépasser la comptabilité classique à double entrée qui ne regarde qu’une entité (ce qui rentre, ce qui sort, ce que l’on peut retenir après). Il n’y a pas de vision écosystémique et on ne voit pas tout ce qui se passe à l’extérieur.

L’objectif est de mettre en lumière la distinction entre le mode extractif et génératif. Un agriculteur qui épuise ses sols est dans une logique extractive, plutôt destructrice alors que dans une logique générative, l’agriculteur va enrichir ses sols et en prendre soin, par exemple. Sur les documents comptables classiques, cela ne pourra apparaître nulle part. Cet aveuglement de la comptabilité aux externalités est pour les auteurs la principale faiblesse du système politico-économique actuel, qui laisse les entreprises profiter largement de cet écart entre réalité et comptabilité, sans payer pour les dommages causés en chemin. Cette distinction peut se faire aussi pour la monnaie. Certains parlent de monnaie froide (extractive, dominante, sans soucis d’équité) et monnaie chaude (locale, qui veut prendre en compte plus que la valeur marchande).

Dans ce sens, le centre culturel MACAO à Milan expérimente depuis 2015 une cryptomonnaie locale : le CommonCoin, afin de créer une micro-économie circulaire au sein de la communauté (comportant une centaine de membres). Les salariés sont payés dans cette monnaie, complétée d’un revenu mensuel de base en euros. En collaboration avec d’autres acteurs comme Faircoop et Dyne.org, ils lancent un projet d’envergure en Europe ; la Banque des Communs, une coopérative ayant pour mission de fournir des outils financiers coopératifs afin de soutenir des projets économiques alternatifs et divers mouvements sociaux.

  • Finalement, la troisième « famille » de comptabilités alternatives seraient les comptabilités thermodynamiques, qui visent à internaliser les externalités.

A titre d’exemple, nous pouvons citer le travail de l’association autrichienne Economy for the Common Good, qui a développé ces dernières années un « Common Good Balance Sheet » (bilan de bien commun). Ce bilan se caractérise par l’existence d’une matrice avec un système de points positifs et négatifs. On a donc 17 clusters d’impacts positifs ou négatifs. 2000 entreprises et coopératives l’utilisent. Cela signifie qu’on change les incitations. L’activité sera récompensée par un impact positif sur la société. Cette sorte de comptabilité n’est pas forcément interne. Elle n’est pas opérationnelle pour le travail tous les jours (on peut la faire tous les 6 mois, années). Certaines collectivités ont déjà pris le pas.

Un autre modèle actuellement en phase d’expérimentation est celui de CARE (Comptabilité Adaptée au Renouvellement de l’Environnement). Il s’agit d’une comptabilité multi-capitaliste, donc qui prend en compte non seulement un capital économique mais aussi un capital social et un capital environnemental dans le calcul du profit. L’idée est de dire que l’on peut être sanctionné pour du mismanagement financier mais pas si on provoque des externalités écologiques ou sociales négatives. On cherche alors par cette méthode à internaliser les externalités.

Comptabilité contributive, REA Accounting, comptabilité thermodynamique…le rêve serait de prendre le meilleur des trois. Il existe aujourd’hui de nombreux prototypes mais qui demeurent fragmentés.

Comment les administrations peuvent se saisir de ces questions ?

Lors de notre échange, Michel Bauwens suggère dans un premier temps de créer des coopératives de protocole dont l’objectif serait de créer un fonds de logiciels qui permettent à toutes les villes participantes de créer de l’habitat partagé, de la mobilité partagée, des coopératives d’énergie etc… afin de centraliser et utiliser les mêmes bases technologiques (ce qui fait d’ailleurs la force de plateformes comme Airbnb et Uber). L’infrastructure collective permettrait de faciliter le développement de ces projets et ainsi de soutenir des entités génératives.

–  De la notion d’intérêt général

IBEST. En partant du constat de l’incapacité de ces indicateurs à rendre compte du bien-être commun pour la seule obsession de la performance, la métropole de Grenoble a lancé un programme de recherche sur la création de nouveaux indicateurs de richesse : les indicateurs de bien-être soutenable territorialisés (IBEST). Ce bien-être soutenable s’appréhende alors selon huit axes :

  • Le travail et l’emploi
  • L’affirmation et l’engagement
  • La démocratie et le « vivre-ensemble »
  • Le temps et le rythme de vie
  • L’accès aux besoins fondamentaux
  • L’accès et d’utilisation des services publics
  • La santé
  • L’environnement naturel

Ces axes doivent permettre d’envisager l’action de manière plus transversale et de s’affranchir de la logique de concurrence à tout prix, afin de mieux servir l’intérêt général.

En Seine Saint-Denis, le projet de « Territoire Apprenant Contributif » mené par Plaine Commune s’intéresse aussi de près à ces problématiques en expérimentant sur l’économie contributive, visant notamment à développer les savoirs et capacités Cela passe par la construction de nouveaux indicateurs d’impact capables de capter les apports de cette nouvelle économie au bien-commun.

–  Les achats publics

Un autre angle d’attaque pour les collectivités serait de réfléchir sur de nouveaux moyens de financement qui utilisent ces comptabilités génératives pour l’achat public. Dans cette optique, Regen Network propose une méthode de « social procurement », prototypée sur le secteur agricole, intégrant des critères éthiques dans l’achat public (écologique, bio, local et équitable). Ce modèle consiste en la création d’un “social state protocol” où l’on négocie des tokens pour les externalités positives provoquées afin de favoriser une économie circulaire.

Finalement, afin d’institutionnaliser ces nouvelles pratiques, l’approche expérimentale sur les nouveaux modes de comptabilité doit nécessairement s’accompagner d’une refonte du droit en la matière.

Vous pouvez retrouver ci-dessous la vidéo de cette conversation !

Pour télécharger le rapport, c’est ici

Les communs, une piste pour transformer l’action publique ?

Les citoyens peuvent aujourd’hui s’impliquer dans la gestion de biens et de services d’intérêt collectif (gestion partagée des espaces vacants, coopératives de logements, préservation d’espaces naturels, etc.). Les villes peuvent expérimenter des leviers juridiques, techniques et organisationnels pour construire de nouvelles alliances avec les habitants sur le modèle des règlements d’administration partagée en Italie.

Dans un monde en pleine transformation et face à l’urgence des transitions, les initiatives qui s’inscrivent dans le mouvement des communs – parfois sans même en employer le terme – se multiplient pour inventer de nouveaux modes de co-création de la ville et des territoires.

Quelles promesses les communs portent-ils aujourd’hui pour l’action publique ? Quels sont les bénéfices, mais aussi les limites des communs ? Quelles sont les expérimentations les plus prometteuses et pour quels retours d’expérience ?

Dix ans après le prix Nobel d’économie attribué à Elinor Ostrom pour Governing the Commons, ce numéro d’Horizons publics invite les décideurs publics à tester la piste des communs.

L’invité de la revue : Lionel Maurel

Paris P2P Festival : du pair-à-pair et des communs

Porteurs et contributeurs de projets peer-to-peer se réunissent à Paris du 8 au 12 janvier 2020, dans le cadre du Paris P2P Festival, la première manifestation dédiée à toutes les formes des interactions libres entre pairs : techniques, politiques, culturelles, sociales, économiques.

Dans le cadre de ce festival, de nombreux événements sont en lien avec les communs, en voici quelques-uns :

The Commons Stack, Kris Decoodt
Réaligner les incentives pour contribuer aux biens communs

The Commons Stack est un nouveau projet qui vise à offrir des outils techniques et culturels afin d’aiier à la décentralisation et à la démocratisation des structures de pouvoir. Nous construisons des micro-économies autour des communs afin de promouvoir l’intérêt collectif, en utilisant des incitations économiques, le financement continu, et la gouvernance collective. Venez découvrir ce que nous créons et comment y participer.

Journée du domaine public, organisée par Creative Commons France et Wikimedia
Nouvelles œuvres dans le domaine public en 202

Open Science et Open Education, quelles prospectives pour 2020? – Lionel Maurel et Benjamin Jean

Licences libres et aide au développement: retours d’expérience (Creative Commons, Wikimedia) – Primavera de Filippi

P2P Foundation – Liliana Carrillo
P2P and the Common

La plupart d’entre nous sommes allés à l’école où la connaissance est transmise des enseignants vers les élèves, et où les ressources sont sous le contrôle des adultes. Pouvez-vous imaginer une école où la connaissance est transmise entre élèves, sans enseignants, et où les ressources de l’école sont gérées directement par les élèves ?

Explorons les concepts de pair-à-pair et de communs en utilisant l’école comme cas d’usage.

Alice, Digital Commons Consortium
Atelier prospective sur le standard Solid – Bâtir le web de demain

Les spécifications SOLID sont un ensemble de standards du W3C, poussés par l’un des pilier du web, Tim Berners Lee. Il s’agit d’une nouvelle façon de concevoir des applications web en séparant les données et les plateformes. Aujourd’hui, le web fonctionne en silo du fait de l’accaparement des données et de leur moyens de productions par quelques gros acteurs en position de monopole. En redonnant la maîtrise de leurs données aux utilisateurs, nous pouvons retrouver les origines de l’imaginaire du web : un espace libre ou la coopération et le partage prévalent sur l’accaparement. Nous ambitionnons d’aller plus loin et de créer des écosystèmes complets basés sur la coopération. Bonne nouvelle, cette démarche a déjà commencé partout dans le monde !

Le projet est naissant mais très prometteur. Il nous permet de repenser complètement l’économie du numérique à la faveur des utilisateurs. Imaginons ensemble à quoi pourrait ressembler le web de demain et commençons à le construire aujourd’hui !

Boris Séguy, Digital Commons Consortium
Une idée de modélisation des communs

Nos modélisations des espaces d’agir ont toujours séparé les personnes physiques et les personnes morales, voire même ont toujours rassemblé les individus au sein de personnes morales où tous sont généralement tenu de porter la parole de la structure. Le monde des communs, entre autre, voit apparaitre une volonté d’affranchissement de ce carcan. Je propose d’aller plus loin en poussant une vision systémique globale mais mettant l’individu au centre localement.

Nous sommes tous individuellement dans divers réseaux où nous sommes impliqués à des degrés divers. C’est cette articulation entre notre individualité et les multiples personnes morales à travers lesquelles nous interagissons qui fait toute la richesse des communs. Je souhaite en proposer une modélisation au débat.

Guillaume Rouyer, l’Assemblée Virtuelle
Le PAIR à PAIR, les archipels et les modes d’organisation en réseau : Vers un reboot de nos structures sociale

A l’occasion de ce talk, nous aborderons le PAIR à PAIR en tant que mode d’organisation conçu et expérimenté dans le cadre de l’Assemblée Virtuelle. Celui-ci s’inspire des principes du « peer-to-peer », issus du monde informatique, ainsi que de ceux de la combinatoire, à l’origine de l’aventure de l’évolution. PAIR est ici un acronyme signifiant : Projet, Acteur, Idée, Ressource. Les PAIRs sont les « briques élémentaires » du modèle PAIR à PAIR. Dotés d’autonomie, ils ont vocation à se lier et à se structurer entre eux afin de favoriser l’émergence de systèmes…
 L’objectif du modèle PAIR à PAIR est de favoriser le développement de modes d’organisation en réseau, avec et par delà les organisations, appréhendées comme des silos. Au cours de ce talk, nous évoquerons les perspectives sociales et politiques ouvertes par le PAIR à PAIR.

Rachel Arnould, Open Food
Open Food – la distribution alimentaire réappropriée par ses acteurs

Projection du documentaire The Internet’s Own Boy

Ce film raconte l’histoire de Aaron Swartz, programmeur de génie et activiste de l’information. Depuis l’aide qu’il a apportée au développement de RSS, l’un des protocoles à la base d’Internet, à la co-fondation de Reddit, son empreinte est partout sur Internet. Mais c’est le travail révolutionnaire de Swartz autour des questions de justice sociale et d’organisation politique, combiné à son approche sans concession de l’accès à l’information pour tous, qui l’a pris au piège dans un cauchemar juridique de deux années. Cette bataille s’est terminée par son suicide à 26 ans. L’histoire d’Aaron touche une corde sensible chez des personnes même éloignées des communautés online parmi lesquelles il était une célébrité. Ce film est une histoire personnelle à propos de ce que nous perdons lorsque nous restons sourds à la technologie et à ses relations à nos libertés civiles.

Projection du documentaire La Bataille du Libre, de Philippe Borrel

Désormais l’informatique est au cœur de presque toutes les activités humaines. A t-elle contribué à faire de nous des citoyens plus autonomes ? Ou plutôt les consommateurs passifs d’un marché devenu total ? Sans que nous en ayons conscience, deux logiques s’affrontent aujourd’hui au cœur de la technologie, depuis que les principes émancipateurs du logiciel libre sont venus s’a^aquer dans les années 80 à ceux exclusifs et « privateurs » du droit de la propriété intellectuelle.

Le récit filmique que nous vous proposons pour « La bataille du Libre » est simple. Le film est conçu comme le journal de bord d’un voyage en immersion à la rencontre de figures anonymes ou de personnalités hors-normes de ce monde encore marginal du « Libre », et de ses opposants, en Inde, en France, en Suisse et aux États-Unis. Filmés sans langue de bois ni jargon technique, des lanceurs d’alerte et des observateurs éclairés ponctuent l’avancée du propos du film par leurs témoignages ou leurs analyses.

Le monde que nous voulons, Jean-François Noubel

Depuis que l’Humain a bâti les civilisations, il n’a su gérer la société qu’au moyen de pouvoirs centralisés qui, en normalisant la pensée et les codes sociaux, on pu assurer la cohérence des actions de millions et de milliards d’individus. On appelle cela l’intelligence collective pyramidale. Réchauffement climatique, ultra-concentration des pouvoirs et des richesses, vision extractive et patriarcale du monde, anthropocentrisme et spéciale, l’intelligence collective pyramidale atteint ses limites aujourd’hui. Notre espèce commence à se doter de technologies et d’infrastructures qui vont lui permettre de passer à une intelligence collective supérieure, l’intelligence collective holomidale, distribuée, open source, fondée sur des économies intégratives du vivant dans son ensemble. Quelles technologies et quels changements intérieurs vont provoquer cette transition ? Nous allons y réfléchir ensemble durant notre échange.

>> Voir le site du festival

>> Lire aussi : Peeristes de tous les pays, fréquentez-vous !

Image d’en-tête : Close view of Hong Kong Lennon Wall sous licence Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International

La cité en communs

Des biens communs au municipalisme

César Rendueles & Joan Subirats

C & F Éditions – Novembre 2019

Dans un échange intellectuel vivant et animé, les chercheurs et activistes espagnols Joan Subirats et César Rendueles considèrent le rôle de l’activité commune, le commoning, pour mobiliser les populations dans les municipalités, les écoles ou les coopératives.

L’expérience du réseau international des « villes sans peur » et le « municipalisme » irriguent cet ouvrage et ouvrent des perspectives au moment où, en France, de nombreux acteurs veulent construire des « villes en commun(s) ».

Les auteurs

César Rendueles

César Rendueles est professeur de sociologie à l’Université Complutense de Madrid, spécialisé en philosophie politique et gestion culturelle. « Un des grands défis politiques est de résister à la marchandisation en trouvant une place pour le paradigme du commun dans un paysage institutionnel démocratique et égalitaire plus large. Il est beaucoup plus facile d’inoculer l’individualisme dans une société que de créer une solidarité et de la coopération. C’est la principale leçon que nous enseigne le dilemme des communs. »

Joan Subirats

Joan Subirats, spécialiste des questions urbaines et de la gestion publique à l’Université Autonome de Barcelone, est engagé auprès d’Ada Colau à la mairie de Barcelone avec Barcelona en comú. « Dans la plupart des programmes municipaux en communs, quatre points étaient mis en évidence : récupérer les institutions au service du peuple ; répondre à l’urgence sociale et l’augmentation des inégalités ; impliquer plus directement des citoyens dans les décisions publiques ; renforcer le sens éthique et la morale publique. »

  • Avant-propos
  • Qu’entendons-nous par communs ?
  • Le débat Hardin-Ostrom
  • Capitalisme, communs et grande transformation
  • Karl Polanyi
  • Distribution et revenu de base
  • Capital social / capital culturel
  • Coopérativisme
  • Échelles
  • Communs numériques
  • Élitisme et innovation sociale
  • Vie privée et contrôle
  • Démocratie représentative directe
  • Coproduction / dynamique participative / soins
  • Pour conclure

Le sommaire

Soutenez le « Tri Postal » de Saint Gilles

Nous relayons avec plaisir le message de ce nouveau commun en cours de création à Saint Gilles près de Bruxelles en Belgique.

L’écosystème Communa compte un nouveau commun : le Tri Postal à Saint-Gilles. C’est cet énorme bâtiment à côté de la gare du midi et qui était vide depuis 1998 (!)

Le 22 novembre dernier, nous avons célébré le début de son occupation temporaire : des milliers de personnes étaient là pour accueillir ce nouveau lieu saint-gillois où des projets bruxellois s’engagent pour des causes sociales, culturelles ou environnementales. 

DoucheFLUX y tient un accueil de jour pour les personnes sans-abris. ZIN TV y ouvre un cinéma de quartier. SINGA Belgium y organise des activités ludiques pour se faire rencontrer bruxellois.e.s et personnes qui viennent d’arriver en Belgique. Job Dignity y accompagne des femmes sans-abris. Zinneke Parade y organise des ateliers pour préparer sa prochaine parade. Hybrid Studios Brussels y prévoit des sessions de danse et plein plein d’autres initiatives investiront ces 1.340 m²

Depuis le début de cette aventure, nous sommes conscient.e.s que cette occupation temporaire est ambitieuse. Transformer un rez-de-chaussée froid et bétonné en un lieu chaleureux et engagé nous a fait faire des acrobaties et on s’est rapidement rendu.e.s compte que les travaux étaient plus conséquents que nos prévisions. Et avec ça, le budget aussi évidemment.

C’est la raison pour laquelle pour la première fois de l’histoire de Communa, nous avons lancé une campagne de crowdfunding. C’est une campagne de financement participatif où les citoyen.ne.s sont invité.e.s à contribuer à la réactivation du Tri Postal.

Aujourd’hui, nous sommes déjà à 47 % du montant que nous devons rassembler, et tout soutien est le bienvenu pour nous permettre d’atteindre notre objectif ! En plus, il y a des contreparties inédites : la possibilité d’utiliser l’espace du Tri Postal, un tour à vélo de tous les lieux de l’écosystème Communa, un grand couscous au Tri Postal et plein d’autres ! Découvrez-les sur la page du crowdfunding

Pouquoi investir dans NewB?

Un collectif de signataires défend le projet de la future banque coopérative vertueuse NewB

Vous aspirez à une alimentation plus saine, à des produits durables et accessibles, à un monde moins pollué, à une économie régénératrice, plus coopérative et porteuse de sens ? Nous aussi ! Pour y arriver, il est aussi indispensable de rendre le système financier plus vertueux, afin de contribuer au projet d’une société plus durable.

Qui n’a pas rêvé en octobre 2008, en pleine crise financière, d’une banque résiliente, fiable, durable dans laquelle nous aurions pu déplacer notre épargne en toute sécurité ? Sommes-nous amnésiques ?

Aujourd’hui, il est possible de contribuer à la création de NewB : une future banque coopérative vertueuse où les décisions sont prises par les citoyens, dans l’intérêt des citoyens. Où le bien commun prend le pas sur les intérêts privés.

Lire la suite de l’article sur lesoir.be…

Plaider pour les communs ?

Chaque mois, le collectif Remix The Commons organise une rencontre audiovisuelle intitulée “Appel en commun”. Un nouveau thème est proposé à chaque rencontre pour échanger concepts et pratiques. Nous avons été sollicités pour le prochain appel dont le thème est “Plaidoyer pour les communs dans le contexte municipal” avec la question suivante : “Quelles sont les approches et les pratiques de la P2P Foundation en matière de plaidoyer pour les communs ? »

Pour répondre à cette question, Maïa Dereva a donc interrogé Michel Bauwens, et voici sa réponse :

Tout d’abord, je dois dire que, même si dans mes développements théoriques j’appelle à une société des communs et notamment au développement d’institutions fondées sur le principe d’”État partenaire”, je ne fais pas de “plaidoyer” auprès des institutions. Pour moi ce terme s’apparente à la pratique du lobbying, qui me semble très chronophage et difficile à mener sur le long terme. Pour travailler auprès d’une institution, j’attends tout simplement qu’elle me le demande. Pour moi, le besoin doit se situer à l’endroit où l’on se trouve.

Il existe un vrai sentiment d’impuissance dans la classe politique aujourd’hui. Les représentants institutionnels sont nombreux à vouloir comprendre par eux-mêmes les mutations qu’ils observent au sein de la population, et pour les plus dynamiques, à vouloir accompagner concrètement ce mouvement. Ce sont donc les institutions elles-mêmes qui font appel à la P2P Foundation pour leur venir en aide.

Voici donc quelques exemples de travaux que j’ai effectué à la demande des institutions.

En 2014, trois institutions para-étatiques de l’Équateur m’ont demandé de faire un travail sur les communs. Nous avons donc travaillé à l’élaboration d’un programme de transition vers une société et une économie des communs, le FLOK Society Project. Si le travail théorique a été mené à son terme, on ne peut pas dire que l’opération fut un succès sur le terrain puisque nos propositions n’ont pas été retenues. D’une part, nous avons travaillé dans un contexte de minorité au sein d’un gouvernement à majorité “extractiviste”. Et d’autre part, la société civile ne semblait pas prête pour le déploiement de communs de la connaissance, sujet sur lequel nous avons travaillé. S’il existe biens des communs ancestraux en Équateur, ils sont marginalisés, sous pression et considérés comme des résidus du passé. De plus, au moment où nous avons effectué cette étude, il y avait très peu de travailleurs de la connaissance parmi la population urbaine. Ceci étant, des coopératives qui se sont inspirées de nos travaux ont tout de même été créées à Sigchos, un district à majorité indigène sous la direction d’un maire progressiste où la population nous avait accueillis avec des “standing ovations”.

En 2017, j’ai été sollicité par la ville de Gand. Le bourgmestre et le “directeur de stratégie” m’ont demandé d’analyser la situation des communs sur la commune. J’ai donc cartographié l’existant, identifié 500 communs et montré comment leur nombre avait été augmenté par dix en 10 ans. Cela m’a permis de démontrer à quel point l’évolution était déjà en train de se faire, et de proposer un plan de transition vers les communs pour accompagner le phénomène. Une fois encore, le contexte politique n’a plus été favorable puisque le bourgmestre et le directeur de stratégie ont été remplacés par une coalition à majorité libérale qui n’a pas souhaité mettre en oeuvre nos propositions. Mais la ville de Gand a une grande tradition participative, et les communs y restent bien vivants. Il existe donc bien une politique de commun de la ville, mais sans plan de coordination.

En 2018, suite à une visite en Australie, un groupe appelé “InCollaboration” s’est constitué, sous l’impulsion notamment de Tirrania Suhood. Un plan de transition vers les communs a donc été proposé à la ville de Sydney, et la maire adjointe en place Jess Scully s’est montrée favorable à son application. Il faudra revenir faire le bilan dans quelques temps…

Il y a quelques semaines, j’ai été invité par le maire de Séoul Park Won-soon qui souhaite faire avancer le sujet des communs durant les deux années de mandat qui lui restent (et si possible sur le mandat suivant), et j’ai participé au “1st Global Commons Forum”. Il est entouré d’un groupe de personnes mobilisées pour cette cause et le projet est en route.

Il existe encore beaucoup d’autres initiatives institutionnelles qui méritent d’être présentées.

  • J’ai par exemple été invité au lancement de “Amsterdam ville en commun”. Le responsable de la mobilité et de l’habitat de la mairie travaille actuellement avec le Commons Network et De Meent.
  • On peut également citer la régulation de Bologne qui concerne 150 villes et dans laquelle 800 000 citoyens sont mobilisés sur des projets, avec le soutien des institutions et des processus de financement via des protocoles public-communs.
  • Ou encore, j’ai récemment participé à une réunion du STUN (Social Temporary Usage Network) une association de personnes impliquées dans des lieux d’occupation temporaire comme “Les Grands voisins” à Paris, Yes We Camp ou encore la Comuna de Bruxelles. Ce sont dans ces espaces interstitiels que les acteurs des communs s’installent, avec des dynamiques très fortes et des personnes qui font du concret avec la volonté d’organiser ces initiatives sur un plan trans-national.

Pour résumer l’approche et la pratique de la P2P Foundation, je dirais qu’il faut identifier les forces à l’intérieur d’une institution qui ont de la sympathie pour l’idée des communs, que ce soit des élu⋅e⋅s ou des fonctionnaires, et ouvrir avec ces personnes des canaux de communication. On voit bien ici que plutôt que de considérer l’institution comme une entité homogène, on œuvre avec l’esprit du pair à pair, d’humain à humain.

Les principaux obstacles que l’on rencontre et qu’il faut réussir à lever, c’est d’une part la conception très centralisée de la plupart des élus et des administrateurs qui considèrent qu’ils sont des représentants du peuple et que donc ce sont eux qui décident, et d’autre part une vision de l’économie qui ne reconnaît pas la valeur contributive mais uniquement la valeur marchande, et peut donc facilement considérer les communs comme “marginaux”. Il s’agit donc souvent de les convaincre en faisant un état des lieux des communs existants, dont ils ignorent souvent tout ou presque dans leurs propres communes, et en leur montrant des exemples concrets de ce que peuvent apporter les communs à la commune, particulièrement dans un contexte où les subventions étatiques se font de plus en plus rares et que les budgets communaux doivent nécessairement être gérés différemment…

Ce qui me paraît important c’est de démontrer la valeur sociale et environnementale des externalités positives, de la production contributive par le biais des communs; et la capacité de neutraliser des externalités négatives, ce qui se traduit par des gains tout à fait essentiels au niveau de la dépense publique, qui peuvent alors être transférés vers les communs, dans une “finance circulaire”.

Une deuxième priorité du moment me paraît la capacité de démontrer par l’exemple l’impact bénéfique en termes d’emplois “ayant du sens”, et donc d’avoir des « green new deal » , orientés communs, au niveau du territoire. Nous devons démontrer que les communs créent vraiment de la valeur, et que cette création de valeur permet de créer des mécanismes de financement de tout le travail regénératif qui se fait par le biais des communs. Pour défaire l’alliance entre les forces extractives et une classe ouvrière désœuvrée, il faut recréer un tissu productif qui embrasse les travailleurs de la connaissance, avec les travailleurs de tous bords. Concrètement par exemple, un projet d’alimentation bio pour tous les élèves de l’enseignement public d’une commune, cela signifie du travail pour les paysans, pour les coursiers, pour les cuistots,… tous unis dans un écosystème collaboratif.

Image d’en-tête : Matthew Perkins, Flickr

Hacking for the Commons

Avec la numérisation en marche, presque tous les secteurs de l’activité humaine sont affectés… À l’échelle mondiale, la connaissance est devenue aujourd’hui l’une des principales sources de profit pour la minorité de ceux qui l’accapare, au détriment du Commun. Dans ce contexte, le mouvement du “Libre” offre peut-être la seule alternative viable au monde “propriétaire”, et aux excès de sa logique rentière. Le documentaire de Philippe Borrel est une bonne introduction aux enjeux éthiques, économiques et politiques du “Libre”, aux principes mis en œuvre par ses nombreux adeptes tout autour de la planète.

Après avoir réalisé le documentaire “La bataille du Libre” (87mn) sorti en français début 2019, l’équipe souhaite réaliser une version internationale du film et donc produire une version anglaise qui s’appellera « Hacking for the Commons » afin de donner à voir ce film au public le plus large. Pour cette adaptation ils auront bien sûr besoin de moyens techniques et humains.
Ils ont aussi envie de réaliser de nouveaux bonus pour accompagner le film (des séquences ou interviews), soit à partir de rushs existants, soit grâce à de nouveaux tournages. Il s’agira de réaliser plus d’une quinzaine de bonus inédits, qui s’ajouteront aux 15 déjà disponibles, avec l’objectif final de les mettre – tous – à disposition du Commun, sous licence libre Creative Commons.

C’est pourquoi une campagne de financement participatif est en cours. Vous pouvez contribuer ici : https://www.labatailledulibre.org/financement-participatif/

Texte issu du site internet https://www.labatailledulibre.org

Du labeur à l’ouvrage

Laetitia Vitaud

Calmann Lévy – 18/09/2019

Le monde du travail que nous a légué le xxe siècle est en crise.
Pendant près d’un siècle, il s’est organisé autour d’un contrat par lequel l’employeur garantissait un salaire, une relative sécurité de l’emploi et un statut social au travailleur. En échange, ce dernier consentait à une certaine forme d’aliénation. C’était le monde du labeur.
Aujourd’hui, cependant, ce monde se désagrège  : les salaires stagnent, les parcours professionnels deviennent chaotiques et l’on s’y ennuie de plus en plus.
Heureusement, un nouveau monde est en train d’émerger, celui de l’ouvrage. On y réinvestit les valeurs longtemps négligées de l’artisanat  : indépendance du travailleur, maîtrise de son temps et de ses tâches, attention aux besoins de l’utilisateur final… et incertitude quant à l’avenir. On y voit apparaître de nouvelles manières d’être au travail. On y réévalue les métiers naguère méprisés du quotidien, bouleversant les hiérarchies et interrogeant les assignations traditionnelles de genre.
Laëtitia Vitaud resitue cette transition du labeur à l’ouvrage dans l’histoire, la décrit avec précision, chiffres à l’appui, et propose des pistes pour adapter le droit du travail, le management et les systèmes de protection sociale.

Laëtitia Vitaud est agrégée d’anglais et diplômée d’HEC. Depuis 2015, elle développe une activité de recherche et de conseil auprès de grandes entreprises autour des thèmes du futur du travail et de la consommation. Elle est rédactrice en chef du média «  entreprises  » de la société Welcome to the Jungle. Laëtitia Vitaud vit et travaille à Londres.

La comptabilité P2P pour la survie planétaire

La P2P Foundation a publié un nouveau rapport intitulé « La comptabilité P2P pour la survie planétaire – Vers une infrastructure P2P pour une société circulaire socialement juste« . Ce rapport est en anglais, mais devrait faire l’objet d’une traduction communautaire en français dans les semaines qui viennent. En attendant, voici quelques éléments.

Introduction de Michel Bauwens

Pourquoi devriez-vous lire ce dernier rapport de la Fondation P2P, et pourquoi est-ce important ?

Notre inspiration vient de la grande synthèse fournie par Kate Raworth dans son livre, Doughnut Economics, qui présente graphiquement la grande question de notre époque : peut-on produire pour les besoins humains, sans dépasser les limites planétaires ?

À notre avis, cela exige un changement fondamental vers un système économiq ue centré sur les communs, qui peut non seulement conserver, mais aussi régénérer les ressources humaines et naturelles. Comment ? En utilisant la’technosphère’ : notre accumulation de connaissances techniques et scientifiques, mais sur une nouvelle base de conscience écologique profonde, en partenariat avec les autres êtres de la planète.

Pour ce faire, nous devons tenir pleinement compte de notre impact sur le monde. Tout d’abord, nous devons reconnaître et atténuer nos impacts négatifs, mais nous devons aussi reconnaître les contributions positives qui ne sont pas reconnues. Nous entrons ainsi dans la sphère de ce que les économistes appellent les  » externalités « , et qui sont à peine reconnues dans nos systèmes de valeurs et de comptabilité.

La bonne nouvelle, c’est qu’en même temps qu’un nombre croissant de personnes reconnaissent la crise systémique et sa relation avec l’écologie, des outils qui nous permettent de gérer différemment nos processus économiques se mettent en place. En utilisant les principes de la production cosmo-locale, c’est-à-dire en partageant les connaissances à l’échelle mondiale mais en produisant aussi localement que possible pour réduire notre empreinte humaine, nous pouvons maintenant utiliser une logistique partagée et des systèmes de comptabilité partagée. Ce rapport présentera des sujets tels que la comptabilité contributive, qui reconnaît les contributions génératives au bien-être de la terre et de ses habitants ; la comptabilité des flux de valeurs, présentée comme une alternative à la comptabilité en partie double narcissique, sur laquelle le capitalisme s’appuie pour rester aveugle à son impact social et écologique ; et la comptabilité thermodynamique, qui fournit un accès direct aux flux non financiers de matière et d’énergie. Les outils existent, c’est la bonne nouvelle, mais ils ne sont pas encore intégrés. Ce rapport offre une vision de la façon dont ils peuvent être intégrés dans une infrastructure de production cosmo-locale.

Certains de nos lecteurs connaissent peut-être les  » débats sur le calcul  » des années 1930, qui opposaient les économistes libéraux pro-marché, comme Hayek, qui favorisait les mécanismes de prix, aux économistes socialistes comme Bauer, Neurath et finalement Polanyi, qui défendaient les avantages de la planification. Dans nos sociétés industrielles, cette discussion lib/lab a occulté une troisième dimension : celle des biens communs et de leur autogestion par la coordination mutuelle. Aujourd’hui, les grandes entreprises capitalistes planifient certes, mais elles ne planifient pas l’équilibre avec l’humanité et les êtres naturels, c’est une planification extractive. Le marché alloue les ressources, mais sans aucune connaissance de l’impact. Enfin, nous constatons qu’une grande partie de la coordination mutuelle basée sur les communs se produit dans la production de soi-disant (mais pas vraiment !) « ressources immatérielles » (connaissances, logiciels, design), mais qu’elle a à peine touché la coordination de la production matérielle pour le moment. Grâce à la comptabilité partagée, qui se situe entre les transactions du monde matériel et notre prise de décision humaine, cela devient maintenant possible.

Ce que nous décrivons ici, c’est donc une économie à trois niveaux, et son infrastructure, qui est capable de coordonner la production, en transcendant et en incluant les trois grandes méthodes d’allocation des ressources :

  • une coordination mutuelle par le biais d’une logistique et d’une comptabilité partagées
  • des mécanismes de marché éthiques et génératifs pour l’échange équitable des ressources
  • un cadre de planification, indiquant les ressources planétaires disponibles pour le choix humain, afin que nous puissions produire tout en préservant la planète et ses êtres, et même les régénérer.

Nous espérons que vous apprécierez notre analyse du travail accompli par des pionniers innovateurs, qui développent les outils dont nous aurons besoin pour sauver notre planète.

Avant-propos de Kate Raworth

Eurostar : 10h52, de Bruxelles à Londres. Je fais la queue pour le contrôle des passeports et je vois un visage familier devant moi : c’est Michel Bauwens ! Il est clairement surpris d’entendre son nom appelé juste derrière lui dans la file d’attente, mais sa surprise se transforme rapidement en plaisir partagé lorsque nous comprenons que nous aurons la chance bien trop rare de passer du temps ensemble.

Nous nous retrouvons dans le wagon-restaurant du train où, voyageant à 240 kilomètres à l’heure sous la Manche, Michel me parle de son projet d’écriture estival. A peine quelques instants après qu’il ait commencé à parler, j’ai dû sortir mon cahier et commencer à noter des choses parce que, à la manière typique de Michel, il sort des phrases intrigantes que je n’ai jamais entendues auparavant et qui ont un attrait immédiat. Production cosmo-locale. Mutuelles de travail. Thermodynamique de la production par les pairs.

Ce rapport, rédigé au cours de la dernière année par Michel, Alex Pazaitis et une équipe de collaborateurs, réunit ces idées et bien d’autres pour envisager les communs au cœur d’une économie du XXIe siècle conçue pour assurer la santé sociale et écologique. Dans sa vision ambitieuse, ce rapport combine un engagement de longue date en faveur d’une production commune par les pairs avec une nouvelle approche mondialement localisée de l’économie circulaire et, ce faisant, redessine la technologie du registre distribué (penser : au-delà de la blockchain) afin de la rendre possible.

Laissons donc de côté l’obsession généralisée d’aujourd’hui pour les « smart contracts », le capitalisme de plateforme et les économies d’échelle : ils ne servent qu’à renforcer les modes de production dominants et extractifs du siècle dernier. Plongez plutôt dans ce rapport et découvrez les possibilités des contrats d’Ostrom, le coopérativisme de plateformes et les économies d’échelle. Ces idées sont les germes d’une économie générative fondée sur les communs et adaptée aux défis sociaux et écologiques du XXIe siècle.

Si vous voulez changer votre pensée économique, et vous retrouver à la pointe de la pensée basée sur les communs, lisez simplement ce qui suit.

Sommaire exécutif

Comment lire ce rapport : si vous n’êtes pas un expert mais que vous vous intéressez aux infrastructures futures, le chapitre 1 est le chapitre « visionnaire » le plus lisible, qui vous donnera les grandes lignes de ce que nous souhaitons réaliser avec ce rapport. Les chapitres 2 et 3 s’adressent aux experts les plus motivés qui s’intéressent particulièrement à un certain nombre d’outils techniques déjà disponibles pour permettre cette vision. Chacun de ces chapitres a également sa propre introduction contextuelle, qui pourrait être utile pour le lecteur moins technique.

La question clé abordée dans cette étude est de savoir comment changer un système qui encourage et récompense l’extraction – mais ne peut pas reconnaître et récompenser la richesse créée par les activités génératrices – vers un système qui est capable de récompenser et d’encourager les pratiques génératrices.

Le présent rapport est fondé sur l’idée que l’une des principales faiblesses de l’économie politique actuelle est son incapacité à reconnaître et à gérer les « externalités », en ce qui concerne les coûts et les avantages reçus ou causés par des acteurs économiques qui ne sont pas comptabilisés ou payés. Sous le régime du capitalisme, une entreprise devient compétitive en grande partie à cause de sa capacité, et de celle du système dans son ensemble, de ne pas « payer » pour des contributions sociales et environnementales positives, et de laisser la réparation des dommages sociaux et environnementaux à d’autres acteurs, c’est-à-dire principalement les citoyens ou l’État. Il n’existe pas de solution structurelle pour financer les activités (ré)génératives, sauf la plupart du temps « après coup » ou par le biais de « réglementations » qui sont imposées « de l’extérieur » par la force coercitive de l’État. Ce rapport examine les efforts en cours, même sous forme de prototypes et d’expériences, pour remédier à cette situation, c’est-à-dire pour avoir un système productif qui peut répondre aux besoins humains sans dépasser les limites extérieures, un peu comme Kate Raworth l’a expliqué dans son livre Doughnut Economics. Ces solutions se situeraient beaucoup plus « en interne », au sein même du système de production. Cette façon de penser est analogue à celle qui consiste à penser à une « prérépartition » de la richesse plus juste sur le plan social, plutôt qu’à une simple « redistribution ». Ces solutions ne remplaceraient pas la réglementation externe, qui a encore un rôle à jouer, mais la compléteraient.

Nous croyons qu’un nombre important de ces ingrédients nécessaires à un tel changement structurel sont disponibles par le biais de certains des systèmes techno-sociaux émergents qui évoluent conjointement avec les réseaux distribués.

Le premier élément structurel est le partage des chaînes d’approvisionnement pour une économie perma-circulaire. À la Fondation P2P, nous croyons qu’une économie circulaire ne peut être réalisée sans partager les connaissances logistiques qui sont actuellement enfermées dans les prés carrés de la logistique privée. Ce n’est qu’en partageant les intrants et les extrants des uns et des autres que les partenaires d’un écosystème ouvert pourront s’adapter à une véritable économie circulaire. Dans ce rapport, nous accordons une certaine attention à une évolution vers une collaboration écosystémique, mais sans entrer dans les détails des chaînes d’approvisionnement elles-mêmes. Le concept de « perma-circularité » fait référence à la nécessité de maintenir la croissance de notre consommation matérielle et énergétique en dessous de 1% par an, afin d’éviter l’augmentation exponentielle des ressources que nous demandons à notre planète.

Nous prêtons attention à un certain nombre de technologies qui nous permettront d’évoluer vers des écosystèmes de collaboration, en particulier les grands registres distribués ouverts et partagés, provenant pour la plupart de l’espace de développement technique dit « de la blockchain ». Mais nous nous concentrons en partie sur les développements « post-blockchain », qui évitent un certain nombre de problèmes systémiques associés à la première génération de technologies de la blockchain, par exemple, les problèmes d’échelle, la consommation exponentielle d’énergie, etc. Les coopératives de protocoles sont des référentiels mondiaux de connaissances, de codes et de conception open source, qui permettent à l’humanité de créer des infrastructures pour la mutualisation des principaux systèmes d’approvisionnement (tels que l’alimentation, l’habitat, la mobilité), et qui sont régies par les différents acteurs concernés, dont les citoyens affectés.

Avec les grands registres distribués, trois nouvelles formes de comptabilité collaborative peuvent être introduites, qui permettront aux acteurs économiques de gérer leur production tout en reconnaissant les externalités sociales et écologiques positives et négatives. 1) La comptabilité contributive, dont nous avons discuté dans notre rapport précédent. 2) Les valeurs de l’économie des communs, qui permet la reconnaissance de tous les types de contributions, pas seulement le travail salarié. 3) La comptabilité REA, c’est-à-dire la comptabilité des ressources, des événements et des agents, qui permet aux acteurs de considérer leurs transactions comme faisant partie d’un écosystème de collaboration, qui est une « comptabilité des flux » plutôt qu’une vision basée sur l’accumulation d’actifs dans une seule entreprise. Enfin, nous avons besoin d’un accès direct aux « flux thermodynamiques » réels qu’exige la production, c’est-à-dire les quantités de matière et d’énergie nécessaires, dans le contexte des limites planétaires.

Le chapitre 1 de ce rapport est un résumé de dix années de recherche à la Fondation P2P (y compris celle menée par notre propre laboratoire P2P mais aussi par nos partenaires dans des programmes de recherche communs) sur ce que nous savons aujourd’hui de l’économie des communs en émergence. Il comprend un exposé de base des raisons pour lesquelles l' »invention » de la blockchain a été importante, mais souligne que les grands registres distribués nécessaires pourraient prendre d’autres formes à l’avenir. Cette section n’offre peut-être pas beaucoup d’éléments nouveaux pour ceux qui connaissent déjà le sujet sur le plan technologique, mais elle présente un engagement critique à l’égard des qualités et des défauts du modèle actuel et suggère comment il peut être modifié et transformé pour servir aussi de base à une économie post-capitaliste et centrée sur les communs.

Le chapitre 2 du présent rapport décrit en détail divers projets technologiques qui pourraient servir d’outils pour développer des écosystèmes de collaborations, à partir de grands registres distribués. Notre objectif ici est de montrer que des solutions sont en cours d’élaboration, mais qu’elles restent fragmentées à ce jour, de sorte que nous souhaitons démontrer qu’un alignement vers une intégration plus poussée conduirait à des avancées significatives vers une production durable.

Enfin, le chapitre 3 met l’accent sur les innovations comptables dont nous aurons besoin et qui devront être intégrées dans les nouvelles pratiques basées sur des chaînes d’approvisionnement partagées utilisant des grands registres partagés. Ceci inclut, comme expliqué ci-dessus, des outils de comptabilité contributive, basée sur les flux et la thermodynamique.

Le présent rapport ne se concentre pas sur les innovations au sein des principaux acteurs industriels en quête d’une plus grande durabilité, mais sur les formes de germes qui, en n’ayant pas à traiter avec les systèmes existants, sont mieux à même de se réorganiser en harmonie directe avec les possibilités offertes par les nouveaux outils reflètant le nouveau paradigme. Bien sûr, cela signifie qu’ils ont moins de ressources, mais ils offrent des indications plus claires pour un avenir possible.

L’objectif de ce rapport est donc d’encourager l’ouverture d’esprit face aux nouvelles possibilités d’intégration afin que nous puissions passer à une économie régénératrice, et de montrer que des outils émergents sont disponibles pour mettre en œuvre ces changements nécessaires.

Table des matières

Chapitre 1 : Contexte de l’étude

1.1. L’étude de la Fondation P2P sur les communs et la transition des communs

1.2. La valeur dans les communs

1.3. L’économie cryptographique émergente comme indicateur de la transition cosmo-locale

1.4. Notre vision

Chapitre 2 : Outils et technologies pour des écosystèmes de production intégrés, équitables et durables

2.1. Introduction

2.2. Outils d’intégration mutuelle

  • Agence spatiale européenne (ECSA) : Un environnement pour des espaces économiques interconnectés et des organisations distribuées programmables à base commune
  • Holochain : Une alternative à un grand livre global distribué, basé sur le biomimétisme
  • DAOstack : Mécanismes intégrés pour une gouvernance à grande échelle

2.3. Outils de diffusion et d’échange

  • FairCoin et FairCoop : Des outils pour un écosystème coopératif ouvert et cosmo-local
  • Trustlines : Crédit mutuel pour le bien commun
  • Circles : Un revenu de base décentralisé
  • Envienta : Un environnement intégré pour la fabrication de logiciels libres
  • FabChain : Lier la recherche de pointe aux métabolismes urbains et à la production et à la fabrication en général
  • Terra0 : Donner une agence de DAO aux ressources naturelles
  • Contrats d’Ostrom : une gouvernance par les communs pour l’évolution des smart contracts

Chapitre 3 : Évolution de la comptabilité

3.1. Nouveaux cadres de comptabilité et de planification

  • Guerilla Translation : Comptabilité multi-flux pour le coopérativisme à valeur ouverte et basé sur les communs
  • Ressources – Événements – Agents (REA) : Un système comptable pour la coopération en réseau et les chaînes d’approvisionnement partagées
  • Rapports 3.0 : Accès direct à une représentation des flux de matières et d’énergie dans les chaînes d’approvisionnement interconnectées
  • MuSIASEM : Comptabilisation des flux matière/énergie et leurs limites

3.2. Comptabilisation de l’impact et des externalités

  • Réseau Regen : ‘Protocoles d’état écologique’ pour vérifier les progrès en matière de durabilité et de regénérativité
  • Le Système comptable des communs : contribuer pour avoir un impact positif

3.3. Intégration multicouche : Comment les nouvelles technologies s’intègrent les unes aux autres

3.4. Production pour les besoins sociaux dans les limites de la planète

Télécharger P2P Accounting for Planetary Survival
Une publication commune de P2P Foundation, Guerrilla Foundation et Schoepflin Foundation.

Article original en anglais, traduit avec l’aide de DeepL

Illustrations : Nullfy

A l’école du partage – Les communs dans l’enseignement

Marion Carbillet et Hélène Mulot

C & F Éditions – Avril 2019

Les communs de la connaissance nous invitent à regarder avec un œil neuf la transmission des savoirs et l’autonomie citoyenne. Avec le numérique, ils permettent de régénérer la dynamique scolaire, pour apprendre à partager, et pour partager les moments d’apprentissage.

Savoir évaluer les informations, élaborer des consensus, se connaître, et construire des relations sociales, ce sont les enjeux d’un renouveau scolaire qui relie l’individu et le collectif, qui renforce la démocratie et permet d’apprendre tout au long de la vie.

Les professeurs et professeures documentalistes, spécialistes de l’information et des médias, sont au au coeur de ce renouveau. La transmission de la culture, l’accès au savoir, l’apprentissage de l’autonomie, le développement collectif et personnel sont la vocation des CDI. Ils préfigurent l’école apprenante qui renforce le pouvoir d’agir. Ce livre offre des pistes émancipatrices pour insuffler la joie d’apprendre.

Les auteures

Marion Carbillet et Hélène Mulot sont professeures documentalistes et formatrices dans l’académie de Toulouse. Elles ont contribué au classeur Education aux Médias et à l’Information : comprendre, critiquer, créer dans le monde numérique (éd. Génération 5, 2015). Après avoir tenu chacune un blog, elles participent à l’équipe d’animation du site Doc pour Docs.

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