Posts de P2P Foundation

P2P Foundation

Osons la fraternité ! Les écrivains aux côtés des migrants

Avec Michel Le Bris, Lola Lafon, Raphaël Glucksmann, Sami Tchak
& Christelle Labourgade et Maya Mihindou, auteures-illustratrices-peintres du livre
Invité d’honneur : Hassan Yassine, poète soudanais

Editions Philippe Rey, 2018

Trente écrivains et artistes racontent des histoires singulières de migrations. Ils parlent exils, exodes, familles brisées, espoirs trahis ou réalisés, surprenantes rencontres, expériences uniques : leurs paroles s’insurgent et appellent à une nouvelle fraternité. Des textes d’humour, des récits d’anticipation figurant un choc de civilisations sur fond de flux migratoires et d’autres textes dénonçant les violences et barbaries. Un ouvrage que l’on refermera sur une note d’espoir, avec une Déclaration des poètes et un Manifeste pour une mondialité apaisée, visant à transformer notre rapport à l’hospitalité. À travers cet ouvrage, ces auteurs accomplissent un acte artistique d’engagement, affirmant leur volonté de contribuer à un monde plus altruiste, animé par une éthique active de la relation.

Textes de Kaouther Adimi, Tahar Ben Jelloun, Pascal Blanchard, Patrick Boucheron, Patrick Chamoiseau, Velibor Ĉolić, Céline Curiol, Mireille Delmas-Marty, Ananda Devi, Laurent Gaudé, Raphaël Glucksmann, Christelle Labourgade, Lola Lafon, Michel Le Bris, J. M. G. Le Clézio, Claudio Magris, Achille Mbembe, Léonora Miano, Maya Mihindou, Anna Moï, Gisèle Pineau, Jean Rouaud, Lydie Salvayre, Elias Sanbar, Boualem Sansal, Felwine Sarr, Christiane Taubira, Sami Tchak, Chantal Thomas, Gary Victor.

P2P : un nouveau cycle de développement post-civilisationnel

Rajani Kanth, anciennement associé à l’Université Harvard (2007-2017), est l’auteur de livres provocateurs et controversés tels que Farewell to Modernism, Breaking with the Enlightenment et The Post-Human Society qui sont des critiques du « mauvais tournant » pris par l’euromodernisme. Il mène actuellement une série d’entretiens avec des penseurs sur le changement social, ici avec Michel Bauwens, fondateur de la P2P Foundation. C’est l’une des interviews les plus longues qui donne une bonne idée de l’état actuel de la pensée à la P2P Foundation.

Rajani Kanth : En résumé, qu’est-ce que le P2P ?

Michel Bauwens : Le pair à pair est une dynamique relationnelle qui permet à chaque individu de se connecter « sans permission » à n’importe quel autre individu. On peut aussi l’appeler « liberté de réseautage ». Cela a été une caractéristique de petits groupes humains, mais a été développé, récemment, sur une grande échelle grâce à la technologie, créant la possibilité de réseaux civiques mondiaux « open source » et de coalitions économiques génératrices qui sont comparables, ou même surpassent, tant les capacités des hiérarchies d’État que la dynamique du marché capitaliste.

Mais attention : le concept de P2P, basé sur la nouvelle structure des ordinateurs dans laquelle chaque serveur est autonome, est maintenant utilisé de deux façons concurrentes. Le premier, dont je me sers, c’est le pair à pair comme capacité de mise en commun, c’est-à-dire la libre association pour mettre en commun, mutualiser et partager les ressources ; et le second, c’est la vision anarcho-capitaliste, libertaire-propertariale, qui voit la société comme une collection d’entrepreneurs individuels. Entre le point de vue des communs et celui de l' »hyper-marché », il y a un monde.

RK : Pouvez-vous expliquer votre propre histoire/connexion avec cette notion ?

MB : J’étais un gauchiste nostalgique typique, et j’avais abandonné la lutte collective pour m’adapter à un système que j’avais rejeté. Mais au milieu des années 90, je sentais que tous les indicateurs planétaires, tant écologiques que sociaux, convergeaient dans la mauvaise direction. Personnellement, j’ai commencé à m’interroger sur mes propres activités : est-ce que je fais partie du problème ou de la solution ?

Travaillant dans une grande entreprise et forcé d’agir de façon contraire à mon éthique à de multiples occasions, j’ai senti que je devais changer. Mais c’est l’invention du World Wide Web en 1993, avec la capacité considérablement accrue de l’intelligence collective pilotée horizontalement, c’est-à-dire la capacité de coopération non locale en temps réel (ou en temps asynchrone), qui a été l’épiphanie. J’ai tout de suite pensé que, comme l’imprimerie au 15ème siècle, ce serait un moteur de changement, car il affecte la logique même des relations sociales. Ainsi, nous disposons d’un nouveau levier pour le changement social, c’est-à-dire le pouvoir du réseautage horizontal ou « diagonal », à grande échelle.

J’ai donc décidé de quitter ma fonction exécutive bien rémunérée pour passer deux ans, pendant un congé sabbatique en Thaïlande, à étudier les phases de transitions historiques et voir comment ce nouveau levier des structures pair à pair pourrait aider les personnes luttant pour créer le monde dont nous avons besoin pour survivre aux urgences planétaires. Comment pouvons-nous créer de nouveaux types de tribus basées sur la confiance, sur les affinités et les objets/objectifs partagés, qui pourraient fonctionner de manière translocale et transnationale, pour aider à servir une transformation globale ? Mon déménagement en Thaïlande et mon adoption dans la famille élargie de mon épouse m’ont permis de combiner une vie familiale chaleureuse et l’activisme dans des communautés translocales basées sur les affinités.

RK : Qu’est-ce qui vous a inspiré dans cette élaboration ?

MB : C’est une combinaison de différentes choses. Avant mon revirement, et depuis le milieu des années 90, la propagation de la logique de pair à pair dans différents domaines de la vie sociale devenait très évidente. J’ai commencé à compiler les exemples que j’ai trouvés dans un wiki spécialement dédié. Ma méthodologie était plutôt simple : rester empirique, rester cohérent, et penser à la narration la plus intégrative ayant un sens pour le changement social.

A partir de mon étude des transitions historiques, j’ai commencé à voir l’importance des formes embryonnaires qui accompagnent les crises des modèles civilisationnels précédents et mourants, et comment ces formes embryonnaires portent de nouvelles logiques sociales (elles le doivent, si elles ont vocation à résoudre les problèmes des systèmes précédents). Puis j’ai commencé à examiner les mécanismes de gouvernance et les propriétés des formes embryonnaires aujourd’hui, en particulier les communautés open source avec leurs communs, et les coalitions entrepreneuriales qui les entourent, puis l’émergence de communs urbains et physiquement productifs. Cela s’est traduit par une attention accrue à la façon dont ces micro-réseaux émergents pourraient être des modèles pour l’ensemble de la société.

Cela signifiait qu’il fallait prêter attention à la fois aux processus institutionnels fondés sur les biens publics et à la dynamique du marché des communs. J’ai essentiellement cherché comment la coop-tation des communs par l’État et le marché peut être inversée en son contraire, c’est-à-dire comment les communs et les commoners peuvent transformer les formes du marché et la gouvernance territoriale pour qu’elles travaillent à étendre les communs et les moyens de subsistance des commoners d’une manière qui soit durable pour la planète et ses habitants. Plus récemment, j’ai porté mon attention sur le passage d’une économie redistributive (qui est une économie extractive de valeur humaine et naturelle et tente de redistribuer ensuite) à une économie pré-distributive, et sur la limitation des dommages écologiques grâce à des pratiques régénératives.

Mon travail est une théorie pragmatique du changement social aujourd’hui, utile, je l’espère, pour accélérer cette transition, basée sur un engagement avec les commoners et leur expérience. Je veux que la P2P Foundation soit le collectif intellectuel des travailleurs autonomes précaires que je considère comme des agents vitaux du changement aujourd’hui, et soit un catalyseur dans le sens d’augmenter la vitesse de l’apprentissage collectif entre ces différentes communautés. Les communs sont aujourd’hui la catégorie centrale du changement, c’est-à-dire que les citoyens sont devenus directement productifs de valeur sociale en tant que contributeurs aux communs, et le pair à pair est la relation sociale clé pour rendre possible et développer ce changement au-delà des capacités du marché et de l’État. Si l’état originel de l’humanité était une tribu humaine étroitement liée, nous travaillons aujourd’hui sur une nouvelle strate de tribus proches et empathiques, basées sur la co-construction d’une valeur partagée.

RK : Qu’entendez-vous par économie « des communs » ?

MB : Une économie des communs est une économie où la création de valeur se fait autour de ressources partagées et où d’autres formes d’échanges humains ont été adaptés à ses propres besoins. L’économie des communs n’est pas une alternative totalitaire, mais plutôt une reconfiguration de l’économie de marché capitaliste, dans la logique des transitions précédentes. Aujourd’hui, on pense que la valeur n’est créée que sur le marché, puis redistribuée. Dans l’économie des communs, toutes les contributions sont reconnues, que ce soit au niveau des communs ou de la société, et les autres formes d’échange et de distribution sont redessinées pour servir les communautés productives créatrices de communs. Pensez au succès historique des entreprises de maximisation de la prière dans les monastères de l’Europe médiévale, qui utilisaient des infrastructures mutualisées. Pensez aux communautés open source comme l’équivalent, mais sans l’obéissance et l’abstinence qui nient la vie ; pensez à mutualiser tous les systèmes d’approvisionnement humains pour diminuer radicalement l’empreinte thermodynamique de l’humanité sur la planète.

Au cœur de la communauté des communs se trouvent des communautés productives ouvertes avec des communs immatériels partagés à l’échelle mondiale et des infrastructures physiques remutualisées à l’échelle locale. Ils interagissent sur des objectifs concrets, avec des coalitions entredonneuriales non capitalistes (c’est-à-dire « donner entre » plutôt qu’entreprendre ou « prendre entre »), soutenues par des organisations démocratiques, à but non lucratif, qui permettent et renforcent l’infrastructure de la coopération. Au niveau macro, cela donne une citoyenneté productive, une économie éthique et un État partenaire.

RKQuels pourraient être les obstacles à cette vision ?

MB : Jusqu’à présent, le bilan est qu’il y a eu de longues périodes de pré-civilisation, la civilisation étant définie comme des sociétés de classe, comme cela a été le cas pendant des dizaines de milliers d’années dans les sociétés égalitaires de chasseurs-cueilleurs ; ou les succès plus limités dans les civilisations de classe. Les communautés démocratiques médiévales ont duré 3 siècles, tout comme la démocratie grecque. Savoir si nous pouvons durer au-delà de cela, si nous réussirons, dépend de notre capacité à transcender complètement la société de classe, comme le suggère Keith Chandler, dans son brillant Beyond Civilization. Le mieux est de travailler avec des scénarios et de se concentrer sur celui que nous préférons.

Imaginez deux axes : l’abondance contre la rareté et l’égalité contre la hiérarchie. Le scénario 1 est celui que nous voulons, l’égalité dans l’abondance, en fonction d’une mutualisation réussie. Le scénario 2 est l’égalité dans la rareté ; Cuba pourrait être un modèle pour ce type de société.

Imaginez ensuite le scénario 3, la hiérarchie dans l’abondance. C’est ce que nous avons maintenant dans les modèles émergents du capitalisme cognitif, avec un nouveau féodalisme de l’information et des services, accessible uniquement à ceux qui ont des moyens financiers.

Enfin, le scénario 4, la hiérarchie dans la rareté, a été décrit dans le dernier livre de Latour : le survivalisme d’élite, avec une mortalité massive de la population humaine, l’expulsion dans la pauvreté et la subsistance des survivants pauvres, et avec une nouvelle élite survivant dans des enceintes de survie de haute technologie. Beaucoup de gens de l’élite se préparent exactement à cela, et ce projet exterminaliste est un grand danger.

RK : S’agit-il d’un autre projet utopique ?

MB : Bien que je n’aie rien contre les utopies et qu’elles soient nécessaires pour inspirer les gens avec de nouvelles visions du possible, je considère que mon propre travail est explicitement non utopique. Ma méthode consiste à examiner les pratiques et les exemples de la vie réelle, et lorsque suffisamment de signaux faibles apparaissent pour prouver qu’il s’agit d’une véritable tendance, à analyser la logique sous-jacente de ces formes embryonnaires. Ce n’est qu’à partir de là que je commence à faire des tentatives de visualisation sur ce à quoi ressemblerait une société si elle présentait les mêmes logiques au niveau macro. Évidemment, ce n’est pas parce que les phénomènes émergent à la marge qu’ils vont nécessairement devenir dominants, voire survivre à long terme, mais je pense que c’est une méthodologie légitime.

J’ai deux remarques sur la résistance à l’utopisme. Tout d’abord, ce que nous considérons comme des utopies est souvent très réel. Par exemple, les socialistes utopiques avaient des communautés et des expériences réelles, par opposition aux marxistes qui rêvaient d’une autre société. Deuxièmement, les choses horribles que nous blâmons habituellement sur les utopies, comme l’Inquisition ou le stalinisme, étaient des consolidations du pouvoir utilisant les visions utopiques de manière purement idéologique comme moyen de propagande et de contrôle. Après trois décennies de néolibéralisme anti-utopien se légitimant par le réalisme capitaliste, je pense qu’un renouveau de la pensée utopique, au moins à petite dose, ne serait pas une mauvaise chose.

RK : Comment votre approche se compare-t-elle aux économies alternatives classiques comme le « socialisme » ?

MB : L’approche du pair à pair et des communs est très proche des traditions du socialisme civil du XIXe siècle, et plus encore de la doctrine sociale de l’Église catholique qui dit que la société civile doit être au centre de la société, avec des marchés et des formations étatiques à leur service. Les traditions socialistes dominantes sont devenues très centrées sur l’État, soit sous forme stalinienne et totalitaire, soit sous forme social-démocratique.

Notre approche est centrée sur la société civile. Nous considérons que tous les citoyens (c’est-à-dire tous ceux qui vivent à une époque donnée) sont productifs, c’est-à-dire qu’ils créent de la valeur pour la société. Mais nous croyons que nous avons besoin d’institutions centrées sur les communs, tant au niveau territorial qu’au niveau « virtuel », pour aller au-delà des simples égoïsmes corporatifs. Même les communautés des communs pensent d’abord à elles-mêmes, et non à la totalité de l’écosystème. Je ne crois pas aux sociétés qui sont de simples expressions de contrats, que ce soit entre individus ou entre communautés (comme le croient les anarchistes de gauche). La méta-gouvernance est nécessaire, et c’est probablement le cas dans un avenir prévisible, en particulier dans les sociétés structurellement inégales.

Les anarchistes croient que nous serions en sécurité sans l’État. J’ai tendance à croire que cela donnerait plus de liberté aux milices privées. Ce à quoi nous pouvons nous attendre, cependant, c’est un accroissement des capacités de coordination mutuelle de nos sociétés et de nos économies à mesure que la gouvernance fonctionnelle des communs se complexifie à des niveaux rendant l’État obsolète. Mais en attendant, nous avons besoin de mécanismes de facilitation et d’organisations infrastructurelles, ce que j’appelle l' »État partenaire ». Si l’approche par les communs peut être qualifiée de socialiste, c’est dans la mesure où la prise de décision est éclairée par des préoccupations sociales, écologiques et éthiques, plutôt que par de simples intérêts privés.

RK : Y a-t-il une critique du capitalisme dans votre vision ?

MB : Oui, le capitalisme sépare les producteurs de leurs moyens de subsistance, promeut des visions unilatérales de l’humanité et ignore les externalités sociales et écologiques. Cela conduit à un niveau dangereux d’inégalité, et donc d’instabilité sociale, et à une destruction continue, désormais dramatique et potentiellement mortelle, de la planète et de ses autres habitants.

Le néolibéralisme est une forme particulièrement pernicieuse du capitalisme, car il crée une insécurité totale et la lutte de tous contre tous. L’expérience de 400 ans est à peu près terminée, mais il survit comme un système zombie et a mis en place quelque chose qui pourrait être bien pire que lui-même. Cependant, malgré toutes ces critiques, nous devons reconnaître que les luttes populaires ont créé toutes sortes de contre-tendances, que les gens continuent de créer des formes non capitalistes et que cela a créé une société complexe satisfaisant des besoins que beaucoup de gens ne voudraient pas abandonner. Notre approche est donc de dire, gardons les progrès de l’éducation, de la santé, du logement et de la mobilité, mais mutualisons pour que leur fonctionnement devienne compatible avec la survie de la planète. En même temps, nous nous définissons comme post-capitalistes, parce que nous nous concentrons sur la création des modèles, plutôt que sur la résistance et la lutte « contre ».

RK : Comment passe-t-on de l’endroit où nous sommes à votre idéal ?

MB : C’est une question difficile. Notre stratégie est celle d’un entrelacement incessant de projets et de personnes, et d’une augmentation du niveau de compréhension et d’organisation mutuelle. L’idée est que, à mesure que le courant dominant se désintégrera par étapes, les alternatives renforceront également le pouvoir social et politique et deviendront de puissants attracteurs.

Nous voyons le commoner – la personne qui contribue aux objets sociaux communs, défend ce qu’elle aime et lutte pour la transformation des institutions sociétales afin qu’elles servent ces communs – comme le nouveau sujet. Nous croyons qu’il y en a une multitude, dès lors qu’ils cessent de se considérer comme des travailleurs dépendants du capital, mais comme des commoners qui construisent leurs propres moyens de subsistance – en ignorant la bête ou en l’utilisant là où ils le peuvent si cela correspond à leurs intérêts, et en luttant contre elle quand ils le doivent.

Pour l’instant, l’État-nation n’est plus un instrument clé du changement, nous devons donc nous concentrer sur la construction de communautés d’intelligence collective, transnationales et open source, c’est-à-dire une noopolitique pour la noosphère. Nous devons aussi construire des coalitions entredonneuriales transnationales, c’est-à-dire des organisations axées sur les moyens d’existence qui permettent la reproduction sociale autour de nos communs, et des unités de production cosmo-locales qui sont socialement pré-distributives, et écologiquement régénératives . Mais il n’y a pas encore de plan pour une épreuve de force finale. Cependant, ce schéma illustre assez bien notre approche, je pense :

RK : Quels mouvements actuels pourraient soutenir votre vision ?

MB : Je pense qu’il y a trois « courants » puissants qui convergent, composés de nombreux mouvements et projets différents. L’un est le mouvement de partage des connaissances et des choses, c’est-à-dire à la fois les mouvements open source mais aussi les véritables mouvements de « partage ». Les seconds sont tous ceux qui s’occupent et se battent pour l’environnement et la planète. Et enfin, les mouvements pour l’équité, l’égalité, la solidarité, le coopérativisme.

Le défi, c’est qu’ils doivent tous s’unir. L’égalité et l’écologie sont très étroitement liées puisque plus une société est inégale, plus les dirigeants iront au-delà des frontières planétaires tout en rivalisant avec leurs pairs. L’égalité assurera une descente plus douce, et une guérison plus rapide de la planète après les catastrophes inévitables qui nous attendent dans les décennies à venir.

Enfin, il est absolument impossible de résoudre ces deux premiers problèmes sans une intense mutualisation des connaissances et des ressources. Si les solutions restent privatisées et soumises au profit, nous ne pourrons pas non plus nous sauver nous-mêmes. Pour moi, le travail que nous faisons est de fournir un récit intégratif possible de sorte qu’il puisse y avoir beaucoup plus de coordination mutuelle, ce qui peut remplacer le récit de la société industrielle du travail par rapport au capital. Pour l’instant, tout ce qui doit se produire se produit, mais à une échelle minuscule, trop lentement et avec une énorme fragmentation de l’effort. Plus nous pouvons nous voir dans une histoire commune, impliqués dans un effort structurel convergent pour changer l’ADN même de nos sociétés, plus nous pouvons nous coordonner mutuellement et plus nous pouvons grandir rapidement à l’échelle nécessaire pour faire face à l’urgence mondiale.

RK : Comment définissez-vous la crise actuelle du monde des affaires, ses causes, etc.?

MB : Il s’agit essentiellement d’une convergence de trois maux sociaux, comme je l’ai suggéré précédemment :

1) le système qui croit à tort que les ressources naturelles et les êtres de la planète sont abondants, et que les ressources peuvent être sur-utilisées pour le profit humain à court terme

2) ce système croit que ce qui est naturellement abondant et partageable, essentiellement la culture et la connaissance humaine, devrait être rendu artificiellement rare et que le partage est une activité criminelle ; par conséquent le capitalisme n’est pas seulement un système d’allocation de pénurie, mais un système d’ingénierie de pénurie ;

3) enfin, tout cela est fait en augmentant les inégalités sociales et économiques et en créant une insécurité générale s’agissant des moyens d’existence.

Si tout cela est vrai, cela signifie que nos problèmes sont vraiment systémiques. Il ne suffira pas de rejeter uniquement le capitalisme, en tant qu’instanciation la plus récente de la société de classe et de ses maux, mais aussi de rejeter la société de classe en tant que telle, et de recréer, de façon plus complexe et élevée, des formes sociales plus égalitaires basées sur l’équilibre écologique et l’apprentissage mutuel massif pour l’intelligence collective.

RK : Dressez la liste de vos principales publications pour les curieux.

MB : J’ai écrit des livres en 3 langues jusqu’à présent. Un en néerlandais, De Wereld Redden, et un en français Sauvez le Monde, tous deux sous-titrés « Vers une société post-capitaliste avec P2P et les communs ». Il s’agit de conversations faciles à lire qui expliquent nos idées et propositions historiques, philosophiques, économiques, politiques et même spirituelles sur le changement sociétal.

Notre livre en anglais est plus académique et se concentre sur les aspects économiques, c’est-à-dire l’interaction des  communs avec des formes de marché transformées qui peuvent fonctionner pour les commoners et leurs moyens de subsistance, se distinguant nettement des modèles dominants et extractifs de ce qu’on appelle l' »économie du partage ». Nous expliquons les formes alternatives telles que les coopératives ouvertes et les coopératives de plates-formes ; vous pouvez le trouver ici.

Au printemps prochain (2019), Westminster Press présentera nos idées plus en détail. Nous avons beaucoup de livrets plus petits, basés sur notre recherche collective avec le laboratoire P2P – voir notre bibliothèque ici… Si vous voulez en savoir plus sur des sujets tels que la « souveraineté des valeurs », la « comptabilité ouverte et contributive », la coopération public-communs, etc., c’est ici que vous le trouverez. Notre laboratoire P2P est très actif dans la recherche de nos hypothèses dans la vie réelle avec des communautés réelles par le biais de la recherche-action, avec de nombreux articles scientifiques évalués par des pairs, voir ici.

RK : Y a-t-il un site Web que vous aimeriez mettre à la disposition des lecteurs ?

MB : Oui, la référence principale est notre wiki, qui contient également des liens vers notre blog. Pour faciliter la lecture des documents sur la transition des communs, nous avons développé un site spécialisé.

RK : Comment les personnes intéressées peuvent-elles soutenir votre projet ?

MB : Les gens se plaignent qu’il est difficile de nous aider, mais c’est essentiellement parce que nous sommes un réseau organisé plutôt qu’un réseau ou une organisation, ce qui signifie que nous avons peu la capacité de « tenir la main ». En gros, si vous acceptez de contribuer à la co-construction d’un savoir commun, et que vous êtes prêt à contribuer à notre base de ressources, vous trouverez le moyen  de vous connecter d’abord à notre communauté (via le wiki par exemple), et plus tard, de créer un moyen de subsistance autour de cet engagement passionné.

RK : Quelles sont les réalisations du P2P à ce jour ?

MB : il faut vous rappeler que nous travaillons en arrière-plan en tant que facilitateur du partage des connaissances plutôt qu’en tant que mouvement social actif nous-mêmes, de sorte que nous aidons les autres dans leurs réalisations. Mais nous avons une base de connaissances bien utilisée et en pleine expansion qui a accumulé 60 millions de visiteurs et atteint au moins 20 000 personnes par jour, toutes étant des personnes influentes à part entière. Nous avons consulté le gouvernement équatorien sur l’édification d’un savoir national commun et la ville de Gand sur un « plan de transition vers les communs ». Nous avons été invités dans des espaces influents comme le Vatican, la Chine et divers mouvements politiques. Nous avons été cités il y a quelques années comme l’influence la plus importante sur les espaces de travail autour des communs de Barcelone. Nous avons travaillé avec beaucoup de mouvements sociaux convergents, comme les coopératives et les mouvements des communs, avec de réels progrès dans des pays comme le Royaume-Uni et la France. Des initiatives locales concrètes, telles que la Commons Transition Coalition à Melbourne et diverses « assemblées des communs » en France, sont étroitement liées à nos idées. Nous avons aussi des échecs, comme par exemple notre travail en Équateur, où le gouvernement vient de rejeter nos recommandations et a opté pour une politique encore plus extractive ; ou avec Syriza, qui s’est inclinée devant la Troïka.

En ce moment, je suis très enthousiaste quant à mon association avec le mouvement coopérativiste/mutualiste SMart, qui se concentre sur l’organisation de la solidarité pour les travailleurs autonomes (freelances) et avec l’intérêt que nous portent des mouvements indigènes, qui utilisent nos idées dans leurs groupes d’étude, par exemple à Taiwan. Certains de nos associés ont été actifs localement, par exemple en créant des coopératives de production en Equateur. Nous sommes un tout petit grain de sable en termes d’influence « matérielle », mais en termes d’idées post-socialistes, je pense que nous sommes un acteur important pour que les mouvements de changement social puissent être entendus.

RK : Quel est votre meilleur scénario pour l’avenir imminent de la société mondiale ?

MB : Je l’ai évoqué dans une précédente question où j’ai présenté quelques scénarios. Notre meilleur espoir est de renforcer les forces sociales alignées avec le P2P et les communs pendant le bref intermède dans lequel notre civilisation se prépare à des catastrophes majeures, et d’avoir suffisamment de germes prêts à attirer ceux qui s’intéresseront de façon vitale à des formes alternatives économiques et sociales résilientes. Les choses vont probablement empirer avant de pouvoir s’améliorer, mais nous espérons que les « cellules imaginales » des communs seront un facteur important dans la diminution de la quantité de dommages pendant la période de transition.

RK : Comment la race, la classe, le genre et la culture figurent-ils dans votre projet ?

MB :

Aujourd’hui, il existe une tension avec différents types de  communs. Les communs traditionnels sont nombreux, mais avec l’offensive du capitalisme, les communs numériques et urbains se renforcent dans les pays avancés. Trouver un lien entre les deux est crucial pour renforcer les efforts dans le Sud. Dans les pays occidentaux, il existe une tension entre les  communs civiques que Thomas Piketty appelle la « gauche brahmane », c’est-à-dire les citoyens à haut niveau d’éducation mais à faible capital financier, qui sont les pionniers de nombreux communs urbains, et les communs des migrants encore plus nombreux, qui se limitent aux communautés ethniques et religieuses. Encore une fois, il faudra créer des liens vitaux.

La culture est cruciale, car si les communs contemporains sont par définition ouverts et autogérés, le regroupement par affinité (la version commune de la bulle filtrante) n’intègre pas toujours les communautés. Mais la force des communs est qu’ils créent un effort commun autour d’objets partagés qui sont destinés à être partagés, ce qui permet de surmonter de manière significative les conflits identitaires. Plus important encore, les communs sont un paradigme socio-économique important pour recréer massivement des flux de valeurs locales et ainsi créer des activités significatives pour ceux qui en sont exclus. C’est une réponse à la rage de Trump, qui n’est pas enracinée dans le protectionnisme et le nationalisme, mais dans la coopération transnationale et translocale au niveau immatériel, et sur la relocalisation de la production au niveau biorégional.

Tous ces changements sont sous-tendus par une évolution culturelle allant vers un renforcement de la coopération après l’atomisation de l’ère néolibérale. Nous devons travailler sur une culture de la coopération pour un « commun au delà de l’humain» (voir Zack Walsh dans the Arrow), qui a des aspects spirituels et écologiques forts, et surmonter le clivage sujet-objet introduit par les Lumières, mais sans abandonner les aspirations à l’égalité humaine.

La dernière chose que nous voulons, c’est remplacer un ordre mondial capitaliste dysfonctionnel par le retour d’une exploitation de classe bien pire. Je pense à la transition vers les communs comme à la création de tribus d’affinités mondiales, en harmonie avec un retour à l’affectivité locale, une « révolution archaïque » comme l’a dit Terence McKenna, qui combine le contact de proximité avec l’intelligence collective de haute technologie « convivialiste ». Le P2P n’est pas une utopie réactionnaire vers un âge d’or perdu ou vers des formes plus anciennes d’exploitation de classe, mais une synthèse brahmane ouvrière d’un nouveau cycle de développement post-civilisationnel.

RK : Le projet est-il eurocentré ?

MB : Le projet est centré sur le monde, tout en reconnaissant une pluralité de républiques possibles adoptées dans divers contextes culturels, territoriaux et translocaux. Mais il est enracinée dans les traditions émancipatrices qui se sont développées dans l’Occident historique, et qui peuvent se connecter avec des traditions similaires qui se sont développées dans d’autres contextes culturels et historiques – ce que j’appelle « néotraditionnel » parfois.

Comme l’a suggéré William Chandler dans Beyond Civilization, ce sont tous des marqueurs d’une tendance profonde à surmonter le traumatisme de la civilisation de classe, dont le cycle doit prendre fin si nous voulons préserver la planète sur laquelle nous vivons. La tendance actuelle à surmonter la racialisation, l’exploitation sexuelle et à considérer les humains comme des pairs contributeurs à part entière, correspond à l’aspiration profonde de l’homme d’avoir des communautés affectives chaleureuses en équilibre avec l’environnement et tous les êtres, dans lesquelles chacun est reconnu pour sa contribution aux communs. C’est une aspiration profonde de l’être humain, même dans les cultures actuellement non égalitaires. Je n’oublierai jamais que les réponses les plus enthousiastes à mes idées se trouvaient dans les communautés autochtones de l’Équateur.

Le professeur Rajani Kanth est économiste, philosophe et penseur social. Il a été affilié à certaines des universités les plus prestigieuses du monde et a également été conseiller auprès des Nations Unies, à New York.

Il est l’auteur/éditeur de plusieurs ouvrages académiques en économie politique, et culture-critique, romancier et poète, et a également écrit plusieurs scénarios. Il a enseigné dans les domaines de l’anthropologie, de la sociologie, des sciences politiques, de l’histoire, de l’économie et de la philosophie. Ses recherches portent sur l’économie politique, les études sur la paix, les études sur le genre, la cosmologie et l’environnement. Affilié à l’Université Harvard 2007-2017, il est administrateur du Congrès mondial pour la paix. Ses livres les plus récents sont : Farewell to Modernism, Peter Lang, NY, 2017 ; et The Post-Human Society, De Gruyter, Varsovie, 2015.

 

Article original publié en anglais sur le blog http://commonstransition.org/ sous licence Peer Production, P2P Attribution-ConditionalNonCommercial-ShareAlike , traduit avec l’aide de deepl.com et les corrections vigilantes de Pascale Garbaye.

L’économie comportementale en question

Jean-Michel Servet

Éditions Charles Léopold Mayer Paris

mars 2018

Un nouveau courant de l’économie prospère depuis le début des années 2000. À base d’expérimentations, il se propose de créer des modèles pour transformer la conduite des individus par la connaissance des biais qui régissent leurs comportements.
Les tenants de ce « nouveau comportementalisme » occupent une position de plus en plus dominante parmi les économistes, auprès des autorités publiques, de grandes fondations, d’entre-prises et même dans les médias. L’apparente simplicité de leur méthode, qui prétend notamment changer le sort des populations les plus démunies, redore le blason terni de l’économie, ainsi présentée comme compréhensible, accessible et utile.
Jean-Michel Servet déconstruit la rhétorique comme la pratique de ce mouvement qui représente, selon lui, non seulement une régression pour les sciences sociales, mais aussi une manière de discipliner les populations pour les amener à agir selon les dogmes d’une économie supposée efficace.
Parce qu’il semble ignorer les origines culturelles et sociales des actions humaines, le nouveau comportementalisme perpétue des hypothèses fondamentales de l’orthodoxie économique, revue et corrigée par le néolibéralisme.

L’auteur

Jean-Michel Servet est professeur honoraire de l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève. Il est chercheur associé au Centre d’études en
sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (université Paris Diderot), et à Triangle (École normale supérieure de Lyon et université Lyon 2).

Table des matières

I. Un succès suspect
>>Quand les individus deviennent cobayes
>>Quand l’économiste se fait plombier
>>Un courant aussi innovant que séducteur
>>Labellisation et nobélisation du nouveau comportementalisme
>>L’art du storytelling et le miracle du nudge
>>Une suprématie contestée
>>Une technique coûteuse
>>Une applicabilité et une réplicabilité des tests limitées
>>Des limites avérées, un unanimisme ancré

II. De la preuve par expérimentation, et de ses limites : un exemple ordinaire en Inde
>>La monnaie et la finance, domaines privilégiés des expérimentations
>>Un test emblématique de l’approche néocomportementaliste
>>Un nudge pour moins de cash au Chhattisgarh
>>Des hypothèses déconnectées de la réalité
>>L’or et l’épargne en nature oubliés
>>De la préférence pour la liquidité et des raisons d’épargner
>>Les résultats de l’expérimentation et leurs limites
>>Un détail omis : le libre arbitre des populations
>>Disciplination et dématérialisation : le nouvel horizon ?
>>Éliminer le cash

III. Chassez l’Econ par la porte, l’homo oeconomicus revient par la fenêtre
>>De l’éternel combat entre les Anciens et les Modernes
>>Une ouverture d’esprit, mais limitée
>>Les autres disciplines accessoirisées
>>Comment l’économie comportementaliste fait son marché en psychologie
>>Le primat de l’individu sur la société
>>De l’inconvénient de raisonner « en moyenne » : l’oubli des effets systémiques
>>Un déterminisme économique devenu implicite
>>Néolibéralisme et nouveau rapport à l’État

Conclusion – Retrouver la société
>>Les meilleurs alliés du néolibéralisme
>>Un courant contraire au progrès de la pensée
>>Des champs d’application restreints
>>Rejeter le dogmatisme comportementaliste pour repenser le collectif

Coopyright : enfin une licence à réciprocité pour faire le lien entre Communs et ESS ?

Un article de Calimaq initialement publié sur le blog https://scinfolex.com/ sous licence CC0 Domaine Public.

Depuis plusieurs années, un débat s’est engagé sur l’opportunité de créer de nouvelles licences, qui ne seraient ni des licences « libres » (du type GNU-GPL), ni des licences de « libre diffusion » (du type certaines des licences Creative Commons). De nombreuses propositions ont ainsi été élaborées, autour du concept de «licence à réciprocité renforcée». La première de ces tentatives a été la Peer Production Licence de l’allemand Dmitry Kleiner et le belge Michel Bauwens a dégagé de son côté la notion de « Copyfair », dont il fait une des briques essentielles pour un passage vers une « Economie des Communs ». Voici comment il résume ces idées :

Les licences copyleft permettent à quiconque de réutiliser des connaissances partagées à la condition que les modifications et les améliorations soient ajoutées en retour à ces mêmes communs. C’est une grande avancée, mais il ne faut pas faire abstraction du besoin d’équité. Quand on passe à la production d’objets physiques qui nécessite de trouver des ressources pour les bâtiments, les matières premières et des paiements pour les contributeurs, l’exploitation commerciale sans entrave de ces biens communs favorise les modèles extractifs.

Ainsi, il y a nécessité de maintenir l’idée de partage des connaissances, mais de demander également une réciprocité en cas d’exploitation commerciale de ces biens communs, afin que s’ouvre une sphère d’activités pour les entités économiques éthiques qui internalisent les coûts sociaux et environnementaux. Ceci peut être accompli grâce à des licences Copyfair, qui permettent le partage complet des connaissances, mais demandent la réciprocité en échange du droit de commercialisation.

Bauwens estime que les licences Copyfair constituent un des éléments qui permettront de jeter un pont entre l’approche par les Communs et le mouvement coopératif, en renouvelant ce dernier sous la forme d’un « Coopérativisme Ouvert » (Open Cooperativism).

Le problème, c’est que ces propositions sont sur la table depuis plusieurs années à présent, mais elles tardent à produire des effets concrets, car si de nombreux prototypes ont été imaginés, aucune ces nouvelles licences n’a pour l’instant connu d’adoption à une échelle significative et on peine même à citer des exemples concrets de projets qui mettraient en oeuvre de tels principes.

J’avoue que cette situation de « blocage » a pu me conduire à penser qu’une « erreur de conception » avait été commise et j’ai exprimé des doutes sérieux à propos des licences à réciprocité (doutes qui, à vrai dire, ne m’ont pas encore complètement quitté…). Néanmoins ce retard a aussi pour origine la grande difficulté à saisir juridiquement la notion de « réciprocité » qui peut revêtir plusieurs sens différents, pas toujours compatibles les uns avec les autres.

Les choses en étaient là jusqu’à ce que je croise l’an dernier la route de l’association La Coop des Communs, qui s’est précisément donnée pour but de « créer des alliances entre les Communs et l’Économie Sociale et Solidaire ». Elle rassemble chercheurs, acteurs de l’ESS et militants des Communs, en favorisant un intéressant brassage entre ces différentes cultures.

Or la Coop des Communs a elle-même rapidement été confrontée au choix d’une licence pour ses propres productions. Il est apparu que cela pouvait constituer un excellent terrain d’expérimentation pour tenter de mettre en oeuvre juridiquement l’idée de « réciprocité pour les Communs », en faisant un pont avec l’ESS. Ces réflexions ont donné lieu à l’élaboration d’une proposition – à laquelle j’ai participé -, qui a été baptisée Coopyright (jeu de mots sur l’idée d’un « copyright coopératif »).

Une présentation figure sur le site de la Coop des Communs, mais je vais prendre un moment pour expliquer quelles sont les spécificités de cette proposition et ce qu’elle est susceptible d’apporter.

Une synthèse pour dépasser les blocages précédents

Le Coopyright s’inspire fortement de propositions précédentes (Everything Is a Remix!), en essayant de dépasser leurs faiblesses respectives.

La source principale d’inspiration reste la Peer Production Licence de Dmitry Kleiner, qui a été imaginée à partir de la licence Creative Commons CC-BY-NC-SA. Son idée était de « préciser » l’option NC (Pas d’usage commercial) en indiquant que peuvent utiliser la ressource les entités ayant une stricte forme coopérative. Plus exactement la Peer Production Licence formule ainsi sa « clause de réciprocité » :

c. Vous pouvez exercer les droits qui vous sont conférés à des fins commerciales seulement si :

i. Vous êtes une entreprise ou une coopérative dont la propriété appartient aux travailleurs (workerowned) ; et

ii. Tous les gains financiers, surplus, profits et bénéfices générés par la société ou la coopérative sont redistribués aux travailleurs.

d. Tout usage par une société dont la propriété et la gouvernance sont privées et dont le but est de générer du profit  à partir du travail d’employés rémunérés sous forme de salaires est interdit par cette licence.

On est donc dans une vision « organique » de la réciprocité, où le but est de pouvoir discriminer entre des entités commerciales de nature différente, en laissant un usage libre aux « coopératives » tout gardant la possibilité de soumettre à autorisation et à redevance les entreprises « capitalistes » classiques. Le problème, c’est que cette clause est rédigée de manière très restrictive et qu’en l’état, seul un petit nombre de coopératives peuvent satisfaire ces critères. C’est ce qu’explique bien la juriste Carine Bernault dans un article consacré aux licences à réciprocité :

Le critère organique adopté (« une entreprise appartenant à ses salariés ou une coopérative ») réduit considérablement les possibilités d’exploitation à des fins commerciales. En outre la notion de coopérative n’est pas définie par la licence. Or, si l’on prend l’exemple français des sociétés coopératives de production ou SCOP, elles se caractérisent notamment par une répartition des « excédents de gestion » qui doit bénéficier, à hauteur d’au moins 25%, à l’ensemble des salariés. Rien ne garantit donc qu’une SCOP remplisse les conditions posées par la licence pour se livrer à une exploitation commerciale de l’œuvre.

Pour ces raisons, la Peer Production Licence constitue à mes yeux davantage une « preuve de concept » qu’un outil réellement utilisable, car si l’idée générale d’un critère « organique » est intéressante, le périmètre d’application de la licence est trop étroit. Il ne couvre même pas tout le champ des coopératives et il laisse aussi dans l’ombre la multitude des autres formes institutionnelles que peut prendre l’ESS (associations, mutuelles, ESUS, etc.).

La seconde source d’inspiration est celle de la Commons Reciprocity Licenceimaginée par Miguel Said Viera et Primavera de Filippi. Dans cette proposition, l’idée est de s’éloigner d’une conception « organique » de la réciprocité pour favoriser une réciprocité « en acte ». Peu importe dans cette vision le statut des acteurs, il s’agit de permettre l’usage libre et gratuit des Communs pour ceux qui contribuent en retour aux Communs. On aboutit alors à un résultat plus souple et moins discriminant, puisque n’importe quelle entreprise peut se voir ouvert l’accès à la ressource, du moment qu’elle participe à l’entretien des Communs. Mais ce type de proposition a aussi des faiblesses (et sans doute même plus graves encore que celles de la Peer Production Licence) : car comment déterminer exactement ce qu’est un Commun ? Et qu’est-ce qui constitue une « constribution aux Communs » ? Faut-il quantifier et évaluer ces contributions et si oui, comment ? Dans leur proposition, Miguel Said Viera et Primavera de Filippi suggèrent d’utiliser la BlockChain pour résoudre ces difficultés, mais personnellement, je me méfie terriblement que de ce Deus Ex Machina si commode que constitue trop souvent en ce moment la BlockChain. Ce type de vision rompt aussi le lien entre licence à réciprocité et ESS, même s’il a le mérite d’introduire l’intéressant concept de « réciprocité en acte ».

Une troisième source d’inspiration a été le projet FairShares porté par l’association du même nom, qui développe de son côté une vision qu’on pourrait dire « institutionnelle » de la réciprocité. Dans leur proposition, il n’est en outre pas besoin d’inventer une nouvelle licence, car leur système fonctionne comme un « aiguillage » entre deux licences Creative Commons. Pour les personnes qui adhèrent à l’association et qui participent à son activité, les ressources produites sont mises à disposition sous licence CC-BY-SA (donc avec possibilité d’usage commercial). Pour les personnes et entités « extérieures », les ressources sont sous licence CC-BY-NC-ND et l’usage commercial est soumis à redevance. Ce qui est intéressant ici, c’est d’abord l’économie de moyens et la possibilité de se raccrocher aux Creative Commons, qui constituent les licences les plus connues au Monde. On trouve aussi une dimension de « réciprocité interne » mise en oeuvre au sein d’une même communauté productive. Mais on perd encore une fois le lien avec l’ESS qui faisait de son côté la force de la Peer Production Licence.

Toutes ces propositions présente des aspects intéressants, mais aucune ne paraissait vraiment satisfaisante. Pour élaborer le Coopyright, l’idée a donc consisté à essayer de réaliser une synthèse articulant les différents aspects de la réciprocité qu’on voit apparaître dans toutes ces licences et qui chacun présente leur intérêt : réciprocité organique / réciprocité en acte / réciprocité institutionnelle, /réciprocité interne-externe.

Organiser une réciprocité interne autour de deux licences Creative Commons

Le premier besoin pour la Coop des Communs était de déterminer le statut de ses propres productions, sachant que l’association est organisée en groupes de travail dédiés à des thèmes donnés.

Pour donner corps à l’idée d’une réciprocité d’une première façon, il a été décidé que les participants aux groupes de travail pourraient bénéficier des productions de ces groupes sous la licence CC-BY-SA (donc avec possibilité de modification et d’usage commercial, avec obligation de partage à l’identique), tandis que ces mêmes productions seraient mises à disposition vis-à-vis des tiers à l’association sous licence CC-BY-NC-ND.

Cette solution reprend l’idée de base du projet FairShares consistant à s’appuyer sur les licences éprouvées que sont les Creative Commons, afin de ne pas aggraver le phénomène de « prolifération des licences ». Je suis personnellement assez dubitatif sur la possibilité pour une nouvelle licence de percer dans un paysage déjà saturé de propositions, au sein duquel certaines outils, comme les Creative Commons, ont acquis la force de « standards ». Mieux vaut se servir des licences déjà existantes pour construire un « système de réciprocité » plutôt que se repartir de zéro.

Par ailleurs, cette vision des choses a le mérite d’articuler la « réciprocité en acte » et la « réciprocité institutionnelle » et je pense que c’est la seule manière sûre de procéder. Il est trop difficile de définir dans l’abstrait ce qu’est une « contribution aux Communs », car les Communs sont eux-mêmes trop différents les uns des autres. Seul chaque Commun pris individuellement est à même d’apprécier à son niveau ce que peut être une contribution significative à son fonctionnement. Dans le cas de la Coop des Communs, une personne qui veut bénéficier largement des ressources que l’association produit est invitée à venir contribuer à son fonctionnement en participant à un de ses groupes de travail. Peut-être que d’autres Communs auraient une autre manière de définir la « réciprocité en acte », mais il me semble qu’on ne pourra jamais échapper à une définition « institutionnelle » de la contribution, définie Commun par Commun.

Faire le pont avec la sphère de l’ESS par le biais du critère de la « lucrativité limitée »

Si la Coop des Communs en était restée à ce stade, elle aurait retenu une solution identique au projet FairShares, qui n’aurait pas fait le lien avec l’ESS. Or c’était une volonté forte de l’association de garder au centre cette préoccupation, mais en dépassant les limites du critère organique trop étroit utilisé par la Peer Production Licence.

Les ressources de la Coop des Communs sont par défaut mises à disposition sous licence CC-BY-NC-ND, mais il a été décidé que les entités extérieures seront exonérées d’autorisation préalable et de redevances si elles exercent une activité non-lucrative ou à lucrativité limitée.

Le concept de lucrativité limitée fait partie du riche héritage juridique de l’ESS et comme critère, il présente plusieurs intérêts. Il permet déjà de dépasser certaines des limites du critère NC (Pas d’usage commercial) des Creative Commons. Ce dernier, qui a toujours fait l’objet d’interminables débats dans les communautés du Libre, est souvent accusé d’être trop flou. Mais en réalité, ce n’est pas le cas : il est plutôt extrêmement large, puisqu’il se déclenche dès que l’usage d’une ressource entraîne une compensation monétaire ou la recherche d’un « avantage commercial ». C’est donc un pur critère de « commercialité » qui ne prend pas en compte la finalité de l’usage et son contexte, ce qui fait que des administrations ou des associations peuvent tout à fait y être soumis.

La critère de la non-lucrativité ou de la lucrativité limitée présente de ce point de vue l’avantage de réintroduire une logique « organique » dans l’appréciation de l’usage. En effet juridiquement, ce sont des entités qui vont se voir reconnaître un but lucratif ou de lucrativité limitée. Or la sphère de la lucrativité limitée recoupe aussi celle de l’ESS : cela concerne par exemple les associations œuvrant dans le champ de l’économie solidaire ou bien des structures comme les SCOP, les SCIC et les entreprises ESUS.

En outre, les entités peuvent savoir avec un bon niveau de certitude si elles sont ou non dans la sphère de la lucrativité limitée. Il s’agit en effet à l’origine d’un critère utilisé par l’administration fiscale pour accorder des déductions d’impôts et les associations savent si elles sont dans la lucrativité limitée par rapport au régime fiscal qui leur est appliqué. Pour les entités comme les SCOP, SCIC et entreprises ESUS, c’est encore plus simple, car elles sont considérées comme s’inscrivant intrinsèquement dans la sphère de la lucrativité limitée, du fait de leurs principes de fonctionnement (c’est ce qui ressort notamment de la définition de l’ESS retenue dans la loi Hamon). Et on peut ajouter que ce critère a aussi une dimension internationale, car si la définition de la lucrativité limitée peut varier selon les pays, on la retrouve dans la plupart des législations. On aboutit donc à un résultat comparable au droit d’auteur dans les licences Creative Commons : certaines notions « pivots » sur lesquelles les licences sont construites (originalité, reproduction, représentation, droit moral, gestion collective, etc.) peuvent varier selon les pays, mais cela affecte simplement l’interprétation des licences et non leur validité.

Le recours au critère de la non-lucrativité ou de la lucrativité limitée me paraît donc très intéressant à tester, car c’est peut-être par là que l’on pourra dépasser la rigidité excessive dont faisait preuve la Peer Production Licence. C’est même peut-être par ce biais que l’on pourra juridiquement opérer le rapprochement entre Communs et ESS qui permettra au « Coopérativisme Ouvert » de prendre corps.

Quelques limites encore, mais un potentiel à explorer

Le Coopyright n’est sans doute pas une proposition parfaite, mais il me semble qu’il a le potentiel pour relancer la discussion autour des licences à réciprocité sur de meilleures bases que celles sur lesquelles elle s’était engagée jusqu’à présent. Et il y a urgence à mon sens à reprendre ce débat, car de plus en plus d’acteurs de l’ESS et des Communs se retrouvent autour de cette question majeure de la « réciprocité renforcée », mais sans disposer pour l’instant d’outils juridiques efficaces pour la mettre en oeuvre.

Le Coopyright peut sans doute apporter sa contribution à ce processus et il va à présent être testé par la Coop des Communs, notamment dans le cadre de son projet « Plateformes en Communs » (un ensemble de plateformes coopératives qui se reconnaissent dans le notion de Communs et qui comprend un groupe de travail sur les questions juridiques dont je suis chargé de l’animation). Notez également que le texte même de la proposition Coopyright  a été déposé sur GitLab pour faire l’objet d’un appel à commentaires.

Pour l’instant, la principale limite du Coopyright va sans doute résider dans le champ des objets auxquels il peut s’appliquer. Etant construit sur une combinaison de licence Creative Commons, il n’est par exemple pas adapté pour les logiciels, car les licence Creative Commons ont été conçues pour les oeuvres de l’esprit, type musiques, films, textes, photos, etc. et la fondation Creative Commons elle-même recommande de ne pas les utiliser pour les logiciels. Il ne devrait néanmoins pas être difficile d’adapter des licences dédiées aux logiciels pour implémenter les mêmes principes, mais ce travail reste à faire. Par ailleurs, les licences Creative Commons rencontrent aussi des limites lorsqu’on les appliquent à des objets matériels (j’en ai déjà parlé sur ce blog) et le Coopyright ne permet pas en lui-même de dépasser cette limite.

Une autre restriction est que, pour l’instant, le Coopyright a été élaboré pour répondre aux besoins spécifiques de la Coop des Communs et cela rejaillit directement sur la manière dont la « réciprocité interne » est exprimée dans le texte (droits élargis en retour à la participation à ses groupes de travail). Mais il est assez simple pour d’autres entités qui voudraient utiliser cet outil de modifier le texte de base pour exprimer autrement ce qui constitue à leurs yeux une « contribution significative à leur activité », ouvrant le bénéfice à davantage de droits de réutilisation que la licence par défaut. Le texte du Coopyright a été lui-même placé sous licence CC-BY-SA et chacun est donc libre de procéder à des adaptations selon ses besoins.

Enfin, il me semble qu’une autre « couche » pourrait être ajoutée pour que la « réciprocité en acte » puisse être reconnue au sein d’un réseau d’entités se reconnaissant dans les mêmes valeurs. Pour l’instant, cette « réciprocité en acte » est appréciée par rapport à la contribution à un Commun donné (ici en l’occurence, la Coop des Communs). Mais imaginons qu’un groupe d’entités décident d’utiliser chacune le Coopyright pour leurs ressources : elles pourraient ensuite vouloir « faire coalition » et, dans un esprit de solidarité, considérer que la contribution à l’un des membres du réseau ouvrent des droits d’usage sur les ressources des autres membres. On aboutirait alors à la formation d’une sorte de « pot commun » de ressources, avec une appréciation « en réseau » de ce que serait la « réciprocité en acte », sur la base d’appréciations institutionnelles croisées.

***

Bref, il y a sans doute bien des choses à imaginer à partir de ces premières idées et n’hésitez pas à partager les vôtres sous ce billet ou à aller le faire sur GitLab.

PS : Une dernière chose, mais pas complètement anodine. Une licence a besoin d’un logo pour se signaler et se faire connaître. Si quelqu’un est capable d’imaginer un logo qui exprimerait les valeurs et les principes de fonctionnement du Coopyright sous une forme graphique, qu’il/elle n’hésite pas également à se faire connaître dans les commentaires !

Le moment Galiléen des réseaux. Vous ne pouvez pas comprendre…

Ceux qui disent « Le Numérique », « L’Intelligence Artificielle », « Le Machine Learning », etc. Ceux qui imaginent que le monde est définitivement unifié et stabilisé autour des GAFAM et des BATX. Ceux qui voient l’éthique comme une sorte de rustine s’adaptant au gré du marché et des événements – événements qui n’en sont pas vraiment puisque c’est toujours plus de la même chose -. Ceux-là ne peuvent pas comprendre..

Dans l’histoire des réseaux, il y a eu plusieurs « moments Galiléens » que l’on a refusé de considérer. C’est le cas de l’expérimentation du « Mbone » dans le milieu des années 90 en même temps que l’irruption du web. Une toute autre topologie de l’Internet aurait pu l’emporter. Dans ce cas, ni Google, ni Facebook, ni les autres n’auraient existé sous la forme qu’on leur connaît.

Le « Mbone » ou « Multicast Backbone » est un réseau doté d’un protocole symétrique pair à pair de bout en bout.

Pourquoi cela ne s’est pas développé ? Bien parce que les opérateurs Telecom n’y ont pas vu leur intérêt. Le protocole a été jugé « not scalable », ce qui veut dire en clair que les opérateurs ne savaient pas où mettre leur tiroirs-caisses et les gouvernements ne savaient pas où placer leur boites noires.

Et pourtant elle tourne !

J’ai l’impression d’être l’un des derniers à me souvenir que ce réseau fonctionnait parfaitement ; qu’il était capable de relier les gens instantanément, sans aucun intermédiaire, et pour faire tout ce qu’ils ont envie de faire !

Ensuite d’autres réseaux expérimentaux ont vu le jour, rendant le Mbone soi-disant obsolète. Or ces nouveaux réseaux ne se sont intéressés qu’aux performances de débit, plus du tout à la symétrie du protocole..

Bref, « Le Numérique » m’apparaît comme un monde enfermé dans son géocentrisme. Plus précisément, nous ne connaissons que la première des « perspectives anoptiques » : la « perspective temporelle » qui trouve comme points de fuite les hubs du réseau. Si l’on reste coincé dans ce monde, il ne reste qu’à évaluer les puissances de calcul des hubs en question., bref à compter les points, ou à distribuer les bons et mauvais points comme s’apprête à le faire le GDRP pour tenter désespérément de contrer l’obscurantisme des plateformes et le posthumanisme des gurus.

Or comme le Mbone l’a montré, il existe une deuxième « perspective anoptique » : la « perspective numérique » qui décrit le fonctionnement des réseaux distribués pair à pair. Dans ce cas, il n’y a plus de « points de fuite » mais des « codes de fuite » : les codes sous couvert desquels les agents échangent et forment des assemblées. Sur un tel réseau, les phénomènes émergent d’une toute autre manière, sans doute suivant un processus similaire à une « conversation »…

Mais bon, vous ne pouvez pas comprendre…

Un article d’Olivier Auber, initialement publié sur Facebook et reproduit avec son aimable autorisation.

Sources d’inspiration :

Photo : The Opte Project Creative Commons Attribution 2.5 Generic

Michel Bauwens : des solutions pour un avenir post-capitaliste

Notre collègue Michel Bauwens, fondateur de la P2P Foundation, a récemment été interviewé à Chiang Mai, sa ville de résidence, par Pim Kemasingki. Cet article a été publié à l’origine dans City life Chiang Mai.

Pim Kemasingki : Ces deux dernières années ont été plutôt troublantes pour beaucoup d’entre nous qui regardons un monde que nous ne reconnaissons guère et dans lequel nous n’avons pas confiance – destruction de l’environnement, inégalité sociale béante, cupidité et matérialisme superficiel, monopole des entreprises, toxicité culturelle et atrophie politique. Ce n’est pas une jolie image, et si l’avenir est une continuation dans cette voie, il n’est pas très prometteur. Heureusement, il existe des solutions; la clé est maintenant de savoir comment injecter ces solutions initialement inconfortables dans un courant dominant résistant.

En 2012, j’ai interviewé Michel Bauwens, résident de Chiang Mai et entrepreneur social belge [May 2012: When Capitalism Ends and P2P Markets Prosprive], qui figure sur la liste (en)richie, aux côtés du Mahatma Ghandi et du Dalaï Lama, comme l’une des personnes dont la « richesse » n’est pas définie par leurs soldes bancaires, mais par ce qu’ils peuvent offrir à l’humanité. Il a parlé de sa croyance que la fin est proche pour le capitalisme et a préconisé une solution dans la formation des biens communs par le partage du savoir, de la technologie et des richesses. Il a averti que les ressources de la terre étaient limitées et que l’engloutissement de nos ressources par la propulsion du capitalisme n’était tout simplement plus viable ou soutenable. Michel Bauwens est co-fondateur de la P2P Foundation, qui fait des recherches sur la production par les pairs, la gouvernance, la propriété et les modes ouverts et libres de coopération humaine.

J’ai donc pensé qu’il était temps de retrouver Michel Bauwens pour voir à quel point il a progressé dans sa recherche et sa mise en œuvre de solutions aux défis actuels de l’humanité.

Si vous êtes un agriculteur qui utilise des pesticides sur vos terres, vous appauvrissez la terre chaque année, donc après une certaine quantité de récoltes, votre terre est morte. Si vous êtes un agriculteur biologique, chaque année, votre terre est de meilleure qualité. On peut tout simplement appliquer les mêmes principes aux gens « , explique M. Bauwens. Chaque année, Airbnb et Uber sont actifs, plus ils créent de problèmes sociaux. Par exemple, à Barcelone, Airbnb chasse tous les habitants pauvres de leur quartier et pensez aux conducteurs d’Uber qui n’ont ni pension, ni assurance. Saviez-vous que les pigistes sont la catégorie sociale qui s’appauvrit le plus vite en Europe? »

Michel Bauwens est le conseiller stratégique de SMart, une entreprise sociale fondée en Belgique et qui compte aujourd’hui plus de 250 000 membres dans neuf pays européens. Les membres sont principalement des pigistes qui versent environ 6,5% de leur salaire au collectif. En contrepartie, SMart met à disposition des ressources partagées telles que les systèmes informatiques, les comptables et les conseillers d’affaires tout en aidant à la collecte des factures et au paiement des membres dès la semaine suivant la facturation, ainsi qu’ à la couverture des indemnités de chômage, des impôts, des retraites et de l’assurance maladie. SMart a connu une croissance de 17 % l’an dernier.

Les plates-formes privées sont conçues pour rendre la main-d’œuvre aussi bon marché que possible en permettant aux travailleurs et aux fournisseurs individuels de se faire concurrence pour obtenir les prix les plus bas, en exploitant les ressources et la main-d’œuvre pour satisfaire les actionnaires, tandis que les plates-formes coopératives garantissent les salaires et créent des écosystèmes. M. Bauwens a expliqué qu’il travaille actuellement sur un écosystème entre Berlin, Bruxelles et Barcelone, boycottant le marasme de la politique nationaliste pour créer une alliance de villes en tant que forme transnationale de gouvernance où le développement des coopératives et des syndicats financera des alternatives dans des domaines tels que le logement, la terre, l’énergie et la communication. Le logement est tellement cher en Europe que des villes progressistes comme Gand ont décidé de louer pendant 99 ans 15% des nouvelles zones de développement en tant que fiducie foncière communautaire. Cela signifie que la terre devient commune et est gérée par un groupe de personnes par le biais d’une fiducie. C’est une façon idéale de protéger les ressources afin que les membres des coopératives d’habitation puissent bénéficier de prix de location garantis à vie, peuvent même léguer la propriété à leurs enfants, même s’ils ne sont pas autorisés à la vendre. A Gand, ils pratiquent également le covoiturage collectif et à but non lucratif. Ces nouveaux projets s’adressent à des ensemble de quartiers afin qu’un quartier puisse déterminer les besoins de transport de ses membres, mettre en commun les ressources et acheter des voitures à partager. Il a été prouvé qu’une voiture commune peut remplacer 12 à 14 voitures, et après tout, selon les recherches d’Uber, la plupart des voitures sont inactives 96% du temps. En Allemagne, 40 % de l’énergie est maintenant renouvelable et 60 % des marchés sont entre les mains de coopératives d’énergie appartenant à des consommateurs. Tout a commencé avec des coopératives de 50 à 60 personnes qui ont décidé d’investir collectivement dans des panneaux solaires, vendant leurs surplus à des voisins qui peuvent également se joindre aux coopératives pour aussi peu que 250 euros. Une fois que ce système a commencé à fonctionner et que de plus en plus de coopératives ont été formées, la minorité est devenue la majorité. En 2006, il y avait 50 projets similaires de biens communs urbains à Gand, en 2016, il y en avait 500. Certaines études montrent une croissance exponentielle de ce type d’initiatives en Europe. Je soutiens qu’ à travers la mutualisation, nous pouvons réduire notre empreinte de 80%. »

Cela ne signifie pas que de tels systèmes ne peuvent pas être transnationaux, en fait, ce que je propose est intrinsèquement transnational, mais non international, c’est-à-dire la coopération des citoyens et des organisations plutôt qu’une collaboration entre les États nations.

M. Bauwens croit également au travail politique, bien qu’il affirme que les États-nations sont actuellement trop faibles par rapport à des entités telles que les sociétés internationales pour être efficaces dans la conduite du changement. Au lieu de cela, il se concentre sur la création d’infrastructures parallèles, en travaillant principalement avec les villes et les collectifs qui peuvent se réunir, en boycottant les intérêts des entreprises et le bourbier de la politique nationale, pour créer une vague de fond pour un avenir plus durable.

« Cela ne signifie pas que de tels systèmes ne peuvent pas être transnationaux, en fait, ce que je propose est intrinsèquement transnational, mais non international, c’est-à-dire la coopération des citoyens et des organisations plutôt qu’une collaboration entre les États nations « , précise-t-il. Je travaille à la création d’infrastructures transnationales pour les coalitions entrepreneuriales afin de contrer lentement la situation monopolistique actuelle. Regardez Uber, il est puissant non seulement à cause de son logiciel de covoiturage, mais aussi à cause de l’intelligence artificielle qui apprend du comportement des gens, générant des données précieuses qu’ils vendent ensuite. Vous avez besoin de capitaux massifs pour faire cela et les petits groupes ne peuvent pas rivaliser, c’est pourquoi vous devez mutualiser. »

Prenant l’exemple des 25 000 membres des différents groupes nomades numériques de Chiang Mai, M. Bauwens explique que ces 21-35 ans sont ce qu’il appelle l’aristocratie ouvrière ou la classe cognitive; bien payés, voyageant et connectés aux opportunités. C’est là que les choses se passent bien, explique-t-il, mais le revers de la médaille est qu’ils ne sont pas du tout protégés, il n’ y a pas d’assurance maladie, pas de pension, ils ne possèdent rien de tangible. La question est de savoir comment créer un mécanisme de solidarité transnationale pour les protéger lorsque les États ne veulent pas ou ne peuvent pas le faire. Actuellement, nous pensons à des nations virtuelles, et bien qu’il y ait certainement des infrastructures mondiales émergentes de soutien, ce serait formidable si nous pouvions créer un filet de sécurité pour ces jeunes esprits brillants afin qu’ils puissent avoir un certain niveau de sécurité. »

L’idée générale est que les États nations fuient à la fois du sommet et du bas et, bien qu’ils en soient conscients, ils sont incapables de changer, d’où la réponse exponentielle des idées et des initiatives de leurs pairs. D’une part, la technologie prend l’initiative dans de nombreux domaines du changement. Voyez Bitcoin et Blockchain, une monnaie révolutionnaire exempte d’activité humaine et de gouvernement, qui promet d’uniformiser les règles du jeu. Pourtant, avec toutes les avancées technologiques, elle vient avec ses avantages et ses menaces. Alors que nous pouvons tous, en théorie, exploiter et profiter de ces monnaies, le coût d’un ordinateur pour exploiter des mines est en théorie prohibitif pour l’homme moyen et même si les arguments font encore rage quant au chiffre exact, il a été rapporté que Bitcoin consomme autant d’énergie que la République d’Irlande, et c’est sans parler du marché noir et de tous les malheurs sociaux qu’il englobe.

Pour moi, c’est la gouvernance, et non la technologie, qui est la question clé « , dit M. Bauwens. C’est ma plus grande critique de Bitcoin et Blockchain où la pensée dominante est que la machine est la solution. En raison du déséquilibre actuel du pouvoir de ceux qui contrôlent la technologie, transformant le pouvoir des Etats en entreprises – surveillance, collecte de données sur nos activités, gestion et contrôle des réseaux sociaux – l’anarcho-capitalisme est né. L’anarcho-capitalisme ne fait pas confiance aux faiblesses humaines et croit qu’on peut créer des codes pour tout gérer. Mais cette vision signifie que tout se réduit aux transactions et aux contrats du marché. Avez-vous déjà joué au Monopoly ? Nous commençons tous sur un pied d’égalité, mais parce que nous sommes en concurrence pour des ressources limitées, il y aura toujours un gagnant et des perdants. Je suis totalement contre l’argent qui nous gouverne. Je crois que c’est le dialogue entre les citoyens et la gouvernance des systèmes qui devrait déterminer le marché. Le marché devrait être au service des gens et vous devriez avoir des marchés qui leur imposent des freins et des contrepoids afin qu’ils ne détruisent pas l’environnement, ne créent pas de tensions sociales ou n’accroissent pas les inégalités. Parce que sinon vous avez le fascisme… et Trump. »

Nous sommes à court de possibilités de croissance, et historiquement, c’est à ce moment-là que les révolutions se produisent.

M. Bauwens reconnaît que l’avidité humaine fait partie intégrante du problème, mais soutient qu’en dépit de ce que beaucoup pensent, ce n’est pas notre seule nature ou force motrice. « Nous sommes des êtres mixtes et notre système actuel stimule cette partie avide de nous-même « , explique-t-il, « mais si nous avons un système pour contrôler notre avidité aux fins du collectif, et un système qui aide à stimuler d’autres caractéristiques humaines, alors je pense que nous pouvons avoir un avenir meilleur. Cela n’a pas toujours été le cas. A l’époque nomade, les résultats des activités n’étaient pas vendus, mais partagés avec la famille, les petites communautés mettant leurs ressources en commun. Lorsque la révolution agricole a eu lieu, l’économie du don est apparue avec des gens qui préservaient la paix en donnant des choses comme l’excédent alimentaire ou la main-d’œuvre, plus vous donniez, plus les gens se sentaient obligés de redonner. Ce n’est qu’Adam Smith, au XVIIIe siècle, qui a vu l’émergence du marché libre et la croyance que l’enrichissement personnel était une bonne chose. Je pense que nous pouvons tous voir maintenant que ce n’est pas le cas et qu’il est temps d’adopter une nouvelle façon de penser. Ce que je propose, ce n’est pas d’abolir complètement la cupidité et les marchés, mais plutôt de les réintégrer dans la société. Les marchés et les États devraient servir la société, pas l’inverse. »

Regardez Chiang Mai, les coopératives et les collectifs comme Pun Pun Pun ou les espaces de travail partagés », souligne M. Bauwens, « Ils sont là, ils travaillent et ils sont efficaces. Ensuite, examinez l’Europe où ces coopératives forment des réseaux plus vastes et acquièrent une influence sociale et politique. Une fois que vous avez le pouvoir de négocier, vous pouvez aller voir le gouvernement et exiger des changements, comme des subventions pour les énergies renouvelables. Il est évident et flagrant que nous devons lutter contre la croissance exponentielle des ressources, alors quelles sont les solutions ? L’un d’entre eux est bien sûr la technologie, et il y a de grands pas en avant pour trouver des sources d’énergie de remplacement ainsi que des moyens de réduire notre consommation. Mais avec l’explosion de la population et les menaces à grande échelle telles que les changements climatiques qui se profilent à l’horizon, la technologie risque de ne pas être suffisamment efficiente et efficace pour assurer la survie des sept milliards d’entre nous. C’est pourquoi je propose un changement de logique. Si nous avons des entreprises à but précis où il y a un mur entre la direction et les investisseurs, où il y a une limite au nombre d’années de rendement et où les bailleurs de fonds, les fondateurs, les travailleurs et les utilisateurs sont tous bénéficiaires de l’entreprise, alors l’objectif devient collectif. Toute la façon de penser passe naturellement au bien commun. »

M. Bauwens prend British Petroleum, où il travaillait, comme exemple d’une entreprise qui a dépensé des millions de dollars pour acheter des entreprises d’énergie renouvelable et mettre de côté leurs brevets, ce qui a menacé leur monopole, retardant ainsi l’évolution des énergies renouvelables au Royaume-Uni pendant trois décennies. « Ça a bien marché pour les actionnaires de BP, mais c’était un désastre pour tout le monde. »

Lorsque l’Internet est devenu accessible au public, ce qui est si passionnant, c’est que nous avons soudainement eu la capacité d’unir nos cerveaux, ce rassemblement de notre intelligence collective était semblable ou même plus grand que la révolution intellectuelle du XVe siècle qui a suivi l’invention de l’imprimerie, qui a soudainement produit et partagé des informations et des idées dans toute l’Europe. Le défi est maintenant que nous pouvons soit régresser, ce qui s’est produit à maintes reprises au cours de l’histoire (il suffit de regarder l’empire romain, par exemple, lorsque l’épuisement excessif des ressources a entraîné son effondrement), soit réformer et passer à une complexité plus grande, à un niveau d’intégration plus élevé. La seule façon pour le capitalisme de survivre est de croître parce qu’il a besoin d’accumuler du capital et d’augmenter les profits pour fonctionner. Nous sommes à court de possibilités de croissance, et historiquement, c’est à ce moment-là que les révolutions se produisent. Pour éviter cela, nous devons agir maintenant. »

« Je vais faire une affirmation audacieuse, » a conclu M. Bauwens, « nous pouvons déjà voir la structure sous-jacente de la société à venir. Lorsque la plus grande crise arrivera, et ce sera le cas, alors nous pourrons choisir une solution malsaine ou, si nous avons déjà de bonnes bases, la voie naturelle sera la solution saine. Nous devons changer l’idée que l’homme n’est motivé que par un comportement égoïste. Je crois que nous sommes plus complexes que cela et que les gens font les choses pour plus d’une raison, alors donnons-leur une raison et un chemin pour être plus qu’ils ne le pensent. »

Si la cupidité n’est pas notre moteur principal, si la nature humaine contient des caractéristiques plus complexes que la satisfaction de l’ego, si nous sommes capables d’être satisfaits, non pas avec moins, mais avec assez, si nous en tirons satisfaction et plaisir en contribuant à l’ensemble et au futur, si ces idées peuvent devenir notre propulsion et notre credo, si nous pouvons dépasser les limites que nous avons fixées sur nos capacités et nos ambitions, alors nous sommes capables et devons aspirer à plus…

Pour en savoir plus sur Michel Bauwens et ses travaux, voir aussi : commonstransition.org et p2pfoundation.net.

Transition Together : Symposium international sur la nécessité des transitions sociétales et du changement au niveau des systèmes

Jeudi 21 juin 2018 – 18 heures au samedi 23 juin 2018 – 13 heures
Le 4e Symposium international sur la conception de la transition
18h00 Jeudi 21 juin – 13h00, samedi 23 juin 2018
Dartington Hall, Totnes, Devon

Le « Transition Design Symposium » de 2018 réunira, pour la première fois, des représentants de mouvements et d’initiatives majeurs pour discuter du besoin urgent de transitions sociétales durables et de changements au niveau des systèmes, et amorcera les connexions qui rendront possible une transition rapide.

Conférenciers : Rob Hopkins, co-fondateur de Transition Town Totnes et du Transition Network, le professeur Terry Irwin, directeur de l’École de design de l’Université Carnegie Mellon, Michel Bauwens, P2P Network et Commons Transitions; John Thackara, auteur de How to Thrive in the Next Economy: Designing Tomorrow’s World Today; le futuriste Stuart Candy et Cameron Tonkinwise, professeur de design à l’Université de Nouvelle-Galles du Sud, Australie.

Panélistes : Laura Winn, directrice de la School for System Change, Forum for the Future, Sarah McAdam, directrice de la prestation, Transition Network, Andrew Simms, cofondateur, The New Weather Institute (Transition Economics), professeur Terry Irwin, directeur de la School of Design, Carnegie Mellon University, Peter Newell, STE

À propos du symposium

Organisé sur le domaine de Dartington, où se déroulent des expériences pionnières dans les domaines de l’éducation, des arts et de l’artisanat et du développement rural, et qui entre dans une nouvelle phase passionnante où il redonne vie à sa position de laboratoire du changement social, le Symposium réunira des personnalités de premier plan des mouvements mondiaux de transition vers la durabilité et de changement de système, des concepteurs, des éducateurs et des militants afin d’explorer les possibilités de collaboration accrue et la possibilité d’une transition rapide plus généralisée.

Les panélistes invités, représentant chacun un domaine différent d’activités liées à la transition ou au changement de système, présenteront leur point de vue sur la transformation sociétale qui éclairera et guidera les deux discussions de la première journée. Les participants seront invités à prendre part à ces discussions et à se joindre à un réseau mondial croissant de personnes engagées dans des projets, des initiatives et des recherches liés à la transition. Le deuxième jour du Symposium, une séance de visionnement, dirigée par la célèbre futuriste Stuart Candy, présentera aux panélistes et aux participants le rôle que jouent les visions futures dans les transitions sociétales et la valeur du processus de prospective pour catalyser le changement au niveau des systèmes.

Le Symposium débutera jeudi soir, par une réception de bienvenue et un dîner sur le magnifique domaine Dartington qui offrira aux panélistes et aux participants l’occasion de se rencontrer et d’entamer des conversations. Vendredi sera composé de tables rondes qui examineront les similitudes, les différences et les objectifs communs entre les différentes approches de la transition sociétale et du changement des systèmes et discuteront de la possibilité d’une plus grande collaboration. Le vendredi soir, les participants auront plus de temps pour une conversation détendue autour du repas du soir collectif. Samedi, Stuart Candy animera un atelier de prospective composé de groupes de travail et de panélistes. Cameron Tonkinwise propose des remarques de clôture et des réflexions juste avant le déjeuner.

Les communications et les actes du Symposium seront publiés par l’Université Carnegie Mellon et le Schumacher College dans les mois qui suivront l’événement.

Source et inscriptions

Photo : Schumacher College

L’entreprise comme commun

Au-delà de la RSE

Swann Bommier, Cécile Renouard

Editions Charles Leopold Mayer, 2018

En 2011, la Commission européenne donne une nouvelle définition de la Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) : la maîtrise par une entreprise de ses impacts. C’est un véritable changement de paradigme vis-à-vis de la conception encore prédominante selon laquelle l’entreprise contribuerait à la société par la maximisation du profit, par le respect des règles et par des actions philanthropiques volontaires.

Mais pour être effective, cette nouvelle perspective implique – paradoxalement – d’en finir avec la RSE : celle-ci continue, en effet, à être envisagée de façon instrumentale et de manière séparée de la stratégie.

Maîtriser ses impacts sur des territoires et au long de chaînes de valeur aujourd’hui mondiales suppose de définir et d’évaluer l’entreprise comme un commun : par la démocratisation de sa gouvernance et par sa capacité à préserver les biens communs mondiaux tant immatériels (la légitimité démocratique, le lien social, la souveraineté populaire) que matériels (le climat, la biodiversité, les ressources naturelles). Tout en s’appuyant sur une lecture historique, cet ouvrage analyse les avancées actuelles, engagées par des mouvements sociaux aussi bien que par des entreprises et des pouvoirs publics de différents pays, pour faire évoluer les mentalités, les normes et les pratiques.

Biographie des auteurs

Swann Bommier est docteur en science politique, docteur associé au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po, et enseignant à l’Université Paris-I Panthéon Sorbonne.

Cécile Renouard est professeur de philosophie et d’éthique sociale au Centre Sèvres-Facultés jésuites de Paris, elle dirige le programme de recherche « CODEV – entreprises et développement » à l’ESSEC et enseigne à l’ESSEC, à l’École des Mines de Paris et à Sciences Po. Elle est auteure de plusieurs ouvrages dont 20 Propositions pour réformer le capitalisme (co-dirigé avec Gaël Giraud, Champs-Flammarion, 2012), Éthique et entreprise (L’Atelier, 2015).

Plaidoyer pour une société des communs

Un article de Chrystèle Bazin publié dans le magazine Socialter #24

Dans leur nouvel essai, « Manifeste pour une véritable économie collaborative », Michel Bauwens et Vasilis Kostakis, membres la P2P Foundation, détaillent leur stratégie d’infiltration puis de sabordage du capitalisme afin de faire advenir une société des communs à même, selon eux, de résoudre la crise écologique et sociale que nous traversons.

La production entre pairs

Tout a commencé avec les plateformes de partage de fichiers en pair-à-pair comme Napster, qui permettait, au début des années 2000, de télécharger des morceaux de musique directement sur les ordinateurs des internautes. « Avec le pair-à-pair, explique Michel Bauwens, les individus ont acquis une capacité inédite de s’auto-organiser et de créer de la valeur sans demander la permission à quelques structures centralisées que ce soit ». Avec ce mode d’organisation, nous pourrions évoluer à nouveau dans des petites échelles, plus conviviales, comme celle d’une famille, d’un groupe d’amis et ne plus être noyés dans d’immenses structures impersonnelles.

En outre, la mise en réseau des savoirs et des compétences à grande échelle permet de réaliser des projets et de trouver des solutions qui restaient jusqu’à présent inaccessibles et économiquement irréalisables, avance-t-il. Des entreprises comme Google ou Amazon, l’ont bien compris, leur réussite repose sur l’exploitation de ce que le sociologue Antonio Casilli nomme le « Digital Labor », qui couvre aussi bien la production de logiciels libres que de données personnelles ou encore les micro-tâches du crowdsourcing, etc.

Lire la suite… (PDF)

Noesia : une nouvelle revue dédiée au Knowledge Management

Article de Fabrice MOLINARO initialement publié sur les-infostrateges.com sous Licence Creative Commons CC BY-NC-ND 2.0 FR

Qu’est-ce qui distingue l’information de la connaissance ? C’est principalement que cette dernière est intimement liée aux gens, aux êtres humains avec leurs expériences, leurs émotions et leurs spécificités. C’est ce qui fait de sa gestion quelque chose de difficile, de complexe, voire de sensible.

Tous les professionnels du « knowledge management » vous le diront : développer la gestion des connaissances dans une organisation, c’est d’abord une histoire de rencontres. Comprendre les besoins, identifier les expertises, cerner les enjeux, … Autant de défis qui ne peuvent être relevés que de manière collective.

Ces débats génèrent souvent eux-mêmes des connaissances de grande valeur pour ces mêmes professionnels. Il était donc logique de partager. C’est l’objet du premier numéro de Noesia, une nouvelle revue dédiée au Knowledge Management.

Le premier numéro daté de septembre 2017 est disponible en ligne et en accès libre.

Voici quelques éléments du sommaire :

  • Trop d’outils tuent le partage !
  • Dossier – Et si le partage des connaissances était considéré comme un jeu ? Illustrations avec un cas de tutorat
  • La capitalisation des connaissances en intelligence économique
  • Le schéma cognitif ou comment l’information transforme votre organisation
  • Entretien avec Michel Bauwens, P2P Foundation
  • Une boussole pour s’orienter et ajuster le cap des Communautés de pratique (CoP)
  • Expert et/ou manager ?
  • Knoco 2017 Global Survey of Knowledge Management

Plus d’infos : www.noesia.be

Entretien avec Michel BAUWENS, P2P Foundation

publié dans le premier numéro de la revue Noésia

Qu’est-ce que l’initiative P2P dont vous êtes à l’origine ?
Depuis une vingtaine d’années, j’ai vu qu’Internet a créé des opportunités en matière de partage des connaissances grâce à des outils qui permettent de créer un commun et de le formaliser sur des blogs, wikis et autres outils. Des grandes communautés productives partagent désormais leurs connaissances. Le « pair à pair » est la dynamique qui permet à une communauté de pairs pour partager cette connaissance. La Foundation P2P observatoire de l’émergence de ces dynamiques dans tous les domaines de la vie : business, politique, logistique, éducation ou même spirituel. On peut prendre aujourd’hui n’importe quel mot et mettre « open » ou « P2P » devant et constater qu’il y a quelqu’un dans le monde qui s’en occupe. Le pair-à-pair, c’est faire les choses en commun, coproduire une ressource qui est à la disposition de tout le monde.

Quand on parle « économie collaborative », on pense souvent à Uber ou Airbnb, mais est-ce la même démarche ?
Quand on emploie le vocable « économie du partage », ça veut dire qu’il y a du partage. Or avec Uber et Airbnb, il n’y a pas de partage. Le chauffeur ne partage pas sa voiture pour rien. Même chose pour le propriétaire d’un appartement qui le met à disposition sur Airbnb. C’est un marché pair-à-pair avec une plate-forme au milieu mais ce n’est pas une économie de partage. Finalement, ces sociétés font très peu de choses mais arrivent à extraire beaucoup d’argent des produits et échanges que nous produisons sans eux. En exagérant un peu, on pourrait même dire que c’est une forme de parasitisme car ils ne produisent pas eux-mêmes. Avant, on bâtissait un hôtel et puis on faisait venir les gens, mais on avait bâti quelque chose. Alors que maintenant, ce sont les gens qui bâtissent et qui louent et ces entreprises jouent un rôle d’intermédiaire. Elles ne produisent plus. Google ne produit pas des documents. Uber ne produit pas des transports. Airbnb ne produit pas des appartements. Ce qu’ils font c’est permettre et exploiter le pair-à-pair.
Néanmoins le commun peut être la plate-forme elle-même. On parle d’ailleurs de « coopérativisme de plate-forme ». Par exemple, des chauffeurs de taxi vont se mettre ensemble pour créer une application pour réserver leurs véhicules. Des consommateurs peuvent faire la même chose et il existe déjà de nombreuses plateformes de ce genre. Mon propre rêve, c’est des plateformes multipartenaires, soutenues par les alliances de ville qui ont besoin de ce type d’infrastructure physique.

Comment comprendre l’Open Knowledge ?
Ce qu’il faut comprendre, c’est que le commun est devenu un aspect compétitif, même pour le capitalisme contemporain. Une firme décide de payer une cinquantaine de chercheurs et de protéger leurs connaissances. Personne d’autre ne peut les utiliser. A côté de cela, il y a des sociétés qui laissent ces connaissances ouvertes et ont ainsi accès à 5.000 chercheurs. Donc même d’un point de vue compétitif aujourd’hui, ça a du sens de mutualiser le développement ou la connaissance. Par exemple, IBM s’est ainsi lancé sur Linux et aujourd’hui fait pratiquement tout en logiciel libre. Ils paient 2.000 développeurs qui font du Linux, mais ce logiciel est développé par disons 25.000 personnes dont 75% sont payés par leurs concurrents. Certains travaillent gratuitement parce qu’ils ont envie de solutionner leurs problèmes, ce qu’ils ne pourraient pas faire avec du logiciel propriétaire. Mon hypothèse est donc que la connaissance ouverte est donc beaucoup plus compétitive et innovante par rapport à la connaissance propriétaire. Cela explique par exemple le développement de l’impression 3D depuis une douzaine d’années lorsque … les brevets sont tombés. C’était une niche industrielle, des monopoles et il y avait très peu d’innovations. Il y a maintenant des dizaines de milliers de gens qui développent des imprimantes 3D en open source et cela a ainsi explosé.

On voit que la courbe innovative est bien moindre quand il y a des brevets qui servent surtout à récupérer des investissements. Le discours officiel est pourtant qu’on a besoin des brevets pour innover.
L’autre argument pour l’open knowledge, c’est le critère éthique comme en témoigne les initiatives en matière d’énergie renouvelable. Aujourd’hui en Allemagne, 60 % des énergies renouvelables sont des communs via des coopératives qui mutualisent les achats. On est dans un état d’urgence pour la planète et il ne serait donc pas éthique de garder des innovations pour soi.

Que faire pour lutter contre l’idée que « l’information, c’est le pouvoir » lorsqu’on incite au partage des connaissances ?
C’est toujours une réalité. Quand on crée une rareté, les gens qui contrôlent cette ressource rare ont plus de pouvoir que les autres. C’est peut-être bon pour eux, mais c’est négatif pour l’intérêt de l’entreprise. C’est d’abord une question de culture. Les entreprises qui réussissent à avoir une culture collaborative sont des entreprises qui sont plus compétitives, plus innovatrices, où les gens aiment travailler, … Des féodalités où chacun se tire dans les pattes, c’est rarement des endroits où les gens ont envie de travailler. C’est donc sur la culture qu’il convient d’agir en priorité.

Pourrait-on imaginer une revue comme celle-ci élaborée de manière partagée ?
A mon avis, il faut avoir deux niveaux. Par exemple, en ce qui concerne les logiciels libres, on essaye que ce soit le plus ouvert possible. Le problème, c’est que tout le monde ne produit pas la même qualité. Or en matière de logiciel, ça doit marcher. Il y a donc toujours une deuxième couche qui est une couche de contrôle de la qualité. La différence, c’est que ce n’est pas un patron qui dit ce qu’il faut faire, par contre c’est la couche des « maintainers », dans les communautés libres, ou des rédacteurs dans le wikipedia qui décide si la contribution a une qualité suffisante pour être incluse dans le logiciel. Il veille à l’intégrité du système.
C’est la même chose pour une revue. Il faut être le plus ouvert possible, mais il faut en même temps des mécanismes de sélection et d’amélioration. La différence, c’est qu’avant le rédacteur en chef décidait de qui allait écrire quoi. Le nouveau système marche parfois très bien, mais pas toujours. Il y a par exemple des très bons articles dans le Huffington Post, parfois des mauvais. Il y a aussi des sites de ce type pas très intéressants. Il faut rester vigilants et assurer une certaine qualité.
C’est un peu mon activité. Je suis un curateur digital. Je vois énormément de choses et je fais une sélection du meilleur. Tout le monde peut contribuer à mon wiki, mais je vérifie tous les jours. Je protège la qualité. Il faut qu’il y ait une logique dans les arguments et que les faits soient empiriquement vérifiables.

Quelle est l’évolution du Knowledge Management ?
Le plus gros changement, c’est justement le pair-à-pair. Il y a beaucoup plus d’horizontal et beaucoup moins de vertical. Le problème a changé : on n’avait pas assez d’information, maintenant on en a trop. On est aussi passé d’une logique de stock à une logique de flux. Les missions du knowledge management sont donc désormais de reconnaître ce qui est important dans le flux, de dynamiser les échanges entre pairs, d’établir la confiance et d’assurer l’équilibre entre les flux et l’augmentation des flux. Le rôle de curateur est donc essentiel dans cette démarche.

Quel sera un des principaux enjeux ces prochaines années ?
Le monde de l’éducation a un rôle important à jouer dans cette démarche. Il y a un trop grand décalage entre les institutions officielles et la réalité. Il y a une république d’internet qui émerge comme avant la république des lettres. A l’époque de cette dernière, au 18 ième siècle, la vraie connaissance n’était pas dans les institutions. Quand je lis aujourd’hui un article scientifique, je me dis souvent que c’est ce que je faisais il y a cinq ans. Le problème que je vois, c’est comment faire l’intersection entre les deux, c’est-à-dire entre le monde de la connaissance validée et plus « verticale » et formelle, et le monde de la co-création d’entendement dans les communautés pair-à-pair. On apprend ainsi plus à coder en-dehors des institutions éducatives qu’en-dedans.
En Equateur, par exemple, il y a peut-être 400 développeurs dans le pays. La plupart sont partis à l’étranger car ils gagnent beaucoup plus. Mais il y a 3 à 4.000 développeurs qui n’ont pas été à l’université, qui ont appris Linux, Java, sur des sites internet, avec leurs amis, … mais on ne peut pas les engager parce qu’ils n’ont pas de diplôme. C’est pour moi un véritable problème. Comment faire le pont entre les deux ? Comment les institutions peuvent-elles valider des connaissances créées en-dehors de celles-ci ? C’est un véritable conflit culturel.
C’est un conflit de paradigmes, entre le « credentialisme » de la modernité et les nouvelles pratiques « anti-credentialistes ». Comme on a besoin des deux, il faut construire des ponts.
Einstein a dit : « je n’ai convaincu aucun de mes collègues de la validité de ma théorie, mais ils sont tous morts ». C’est leurs élèves qui ont repris la théorie de la relativité. C’est un peu pessimiste mais souvent vrai…
Pour conclure néanmoins avec un petit mot optimiste, il faut reconnaître qu’Internet est aussi un accélérateur. Avant on allait une fois par an dans un congrès retrouver ses collègues.
Aujourd’hui, ça circule sur les mailing lists, les forums, … Cela va donc beaucoup plus vite.
L’apprentissage n’est plus comme avant. Il est beaucoup plus rapide pour le monde à venir, avec ses crises systémiques. Cela veut dire qu’il y aura beaucoup de problèmes à résoudre, mais aussi beaucoup plus d’intelligence collective, et d’apprentissage plus rapide, pour les solutionner.

Colporteur de la Révolution du Sourire

Source : ce texte a été initialement publié à l’adresse https://cheznous.coop/colporteur-de-revolution-sourire/ selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.

En cette fin d’année je prends mon habit de colporteur de La Révolution du Sourire ? C’est une sacrée aventure et je suis en joie de la partager. Sur la route, je croise de gens merveilleux qui se disent que c’est possible et qui entre dans le jeu. Merci la Vie.

Avec 36 Photos pour la Révolution du Sourire, ChezNous déploie une offre concrète visant au développement de territoires apprenants et symbiotiques au service de la qualité de Vie. Nous allons organiser régulièrement des visio conférence collaborative pour suivre le développement de l’aventure.

Cette offre est animée par un Jeu de territoire, un serious game dans la vraie vie. Un jeu où tous les habitants sont invités à s’enrichir en développant les communs.

J’ai lancé l’idée, avec quelques dizaines de co-auteurs nous avons construit les bases. Aujourd’hui nous recrutons 2000 co-bâtisseurs pour rendre l’offre capable de s’adresser au plus grand nombre et se déployer massivement de proche en proche et de pair à pair ?

2000 personnes qui ont l’intuition que c’est possible et qui se disent qu’il y a assez de faisceau de confiance pour prendre le risque de cette aventure.

Le recrutement se fait via un l’abonnement à prix libre à notre jeu « La Révolution du Sourire ». L’abonnement est une sorte de crowdfunding variable et permanent venant soutenir les développement des missions du Jeu.

Tout n’est pas encore parfait et d’ailleurs ne le sera jamais. Mais le mouvement est lancé sur des bases solides et nous allons affiner chaque jours le propos et la démarche sur les principes de la permaculture.

Vous aussi vous pouvez rejoindre l’aventure et même colporter l’idée autour de vous.

Merci <3

Mathieu 

« Dans la vie il n’y pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer et les solutions suivent ». Antoine de Saint-Exupéry

« Ne doutez jamais qu’un petit groupe d’individus conscients et engagés puisse changer le monde. C’est même de cette façon que cela s’est toujours produit ». – Margaret Mead

Entreprise et bien commun – La performance et la vertu

Pierre-Etienne Franc, Michel Calef

Editions du Palio, novembre 2017

Les tensions économiques et sociales qui pèsent sur notre monde s’exacerbent de contradictions nouvelles. D’un côté, la prise en compte des aspirations individuelles immédiates semble être la source privilégiée du développement économique. De l’autre, des enjeux vitaux majeurs de long terme sont devant nous : la pression démographique, la finitude des ressources disponibles, le rappel climatique, l’exaspération sociale des inégalités, etc.
Pression renforcée par la transparence digitale, omniprésente. Or c’est la résolution collective de ces situations critiques qui conditionne désormais la survie de nos sociétés. Car l’interdépendance est telle que ces deux mondes, économique et politique, ne trouveront pas de ressorts de développements durables sans s’accorder sur leurs véritables rôles respectifs, dorénavant impératifs. La performance des entreprises n’est plus indépendante de son rapport au bien commun.
La capacité des Etats à sauvegarder notre bien commun n’est plus indépendante de leur habileté à mobiliser les entreprises pour y contribuer. Cet essai se propose d’analyser les bases culturelles, structurelles et organisationnelles de nouvelles pratiques désormais urgentes. C’est à ces conditions que la performance et la vertu pourront tisser ensemble les fils d’une société qui offre un futur d’espérance pour chacun.

Roumics 2017 : Vivre des communs, avec Michel Bauwens (Roubaix – 17&18 nov.)

En partenariat avec le collectif Catalyst et la Condition Publique, l’association ANIS organise en Novembre 2017 un nouvel événement ROUMICS, « Les Rencontres OUvertes du Multimédia et de l’Internet Citoyen et Solidaire » devenues incontournables au fil des ans en région Hauts de France pour tous les acteurs intéressés par le numérique et ses usages.

Cette 13ème édition des ROUMICS portera sur le thème « Vivre des Communs » et aura lieu les 17 et 18 Novembre 2017 à la Condition Publique (Roubaix – 59).

Cette année, autour du thème « Vivre des Communs », les ROUMICS laisseront une large place à des communautés locales liées au numérique et à l’innovation : Tiers Lieux, monnaies libres, médiation numérique, économie contributive, innovation publique … et bien sûr les fameux Communs !

Michel Bauwens participe à l’événement. Retrouvez-le le 17/11 à 9h15 pour une conférence « Vivre des communs, comment ? » et à 14h pour une présentation « Gand : ville des communs de l’avenir »

>>> Inscrivez vous ici

>>> Téléchargez le programme (PDF)

L’Entraide – L’autre loi de la jungle

Gauthier Chapelle
Pablo Servigne

Editions Les liens qui libèrent. Octobre 2017

Dans cette arène impitoyable qu’est la vie, nous sommes tous soumis à la « loi du plus fort », la loi de la jungle. Cette mythologie a fait émerger une société devenue toxique pour notre génération et pour notre planète.

Aujourd’hui, les lignes bougent. Un nombre croissant de nouveaux mouvements, auteurs ou modes d’organisation battent en brèche cette vision biaisée du monde et font revivre des mots jugés désuets comme « altruisme », « coopération », « solidarité » ou « bonté ». Notre époque redécouvre avec émerveillement que dans cette fameuse jungle il flotte aussi un entêtant parfum d’entraide…

Un examen attentif de l’éventail du vivant révèle que, de tout temps, les humains, les animaux, les plantes, les champignons et les micro-organismes – et même les économistes ! – ont pratiqué l’entraide. Qui plus est, ceux qui survivent le mieux aux conditions difficiles ne sont pas forcément les plus forts, mais ceux qui s’entraident le plus.

Pourquoi avons-nous du mal à y croire ? Qu’en est-il de notre ten­dance spontanée à l’entraide ? Comment cela se passe-t-il chez les autres espèces ? Par quels mécanismes les personnes d’un groupe peuvent-elles se mettre à collaborer ? Est-il possible de coopérer à l’échelle internatio­nale pour ralentir le réchauffement climatique ?

À travers un état des lieux transdisciplinaire, de l’éthologie à l’anthro­pologie en passant par l’économie, la psychologie et les neurosciences, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle nous proposent d’explorer un im­mense continent oublié, à la découverte des mécanismes de cette « autre loi de la jungle ».

Shifting Economy : une boîte à outils pratique pour entrer dans les prochaines économies

Un document en anglais réalisé par Emmanuel Mossay et Michel de Kemmeter qui propose d’explorer :

  • Les 10 espaces économiques en croissance
  • 20 schémas pratiques pour visualiser le chemin de la transition
  • Les 14 étapes de la transition économique
  • 20 clefs pour réussir les processus d’inclusion
  • La description de 48 futurs métiers

Traduction de la préface :

L’Homo sapiens est en train d’évoluer vers la post-économie. La nouvelle économie doit gérer la rareté et la richesse, un double problème qui n’est pas intégré dans les principales théories économiques classiques. Il y aura
un choc important entre l’opulence, décrit par l’économiste John Kenneth Galbraith dans The Affluent Society, et la rareté sur la planète Terre. La seule planète que nous ayons. Il n’ y a pas de planète B.
L’Occident s’est fortement développé surtout au début de l’industrialisation, grâce au dualisme, un vieux paradigme provenant de Platon. Cette logique de contradictions, a été très utile parce qu’elle a forcé les Occidentaux de faire des choix entre « l’un ou l’autre », entre les solutions de rechange, entre le bien et le mal afin de le progrès et d’agir. La machine à vapeur en est un bon exemple, inventée trois siècles plus tôt en Chine comme divertissement, mais installée seulement au XVIIIe siècle au cœur de l’industrie dans le domaine de l’énergie par l’Europe et les Occidentaux. Le dualisme platonique est au cœur de la créativité mais a été et est toujours à l’origine de de nombreux conflits et même des guerres qui ont fait du XXe siècle le plus sanglant de l’histoire humaine.

La sagesse asiatique nous enseigne cependant un autre paradigme de base différent : le principe du Yin et du Yang, la complémentarité des oppositions doubles qui se fondent en une synthèse. De plus, dans l’écriture chinoise, il y a est un idéogramme unique pour les mots « crise » et « opportunité ».

Ce concept s’harmonise parfaitement avec la découverte de la physique quantique selon laquelle la lumière est à la fois une onde et un faisceau de particules, les photons. Niels Bohr, l’un des pères fondateurs de la physique quantique, a résumé cette intuition par l’expression latine « Contraria complementa sunt », qui remplace l’ancienne logique de l' »un ou l’autre » par le principe révolutionnaire « et / ou », qui ouvre la voie à des solutions coopératives.

Cette prise de conscience s’accentue progressivement dans la pensée occidentale et aura des conséquences de grande portée. Il nous conduira à une nouvelle approche holistique, explorant les énergies cachées de la diversité, des divergences, des oppositions et promouvant la synthèse et toutes sortes de compromis créatifs, dans un monde d’interdépendance, où les gouvernements nationaux sont trop petits pour les grands problèmes et trop grands pour les petits. La praxis économique a déjà adopté ce que l’on appelle la « Coopétition », quand la concurrence et la coopération ne sont plus exclusifs selon les principes darwiniens mais complémentaires, voire inclusifs selon les règles de la mécanique quantique.

La montée en puissance de cette approche inclusive et globale est un défi pour les dirigeants politiques et économiques qui font face aux défis locaux du populisme émergeant des craintes et de l’incompréhension de ce qui se passe dans le monde global d’aujourd’hui et le village mondial de demain. La définition nationaliste du terme « peuple » est devenue obsolète. Dans la plupart des pays, les « personnes » sont devenues une « population » à caractère multiculturel. Le nationalisme et le populisme sont parfaitement compréhensibles, mais ils sont devenus contre-productifs parce que plus orientés vers l’avenir. Le protectionnisme est la traduction économique et culturelle du nationalisme. Un certain protectionnisme existait déjà avant l’économie et la politique, même avant les êtres humains : les premières membranes protégeant les cellules vivantes, stressées dans notre corps. Ce vitalisme égoïste est toujours attirant mais suicidaire dans un monde changé dès que les nationalistes égoïstes proposent de construire des murs au lieu de ponts.

En ces temps de complexité croissante, la démocratie est prise entre toile et araignée. Certains citoyens disent
« Nous avons un vote, mais nous n’avons pas de voix ». C’est un sérieux avertissement adressé aux politiciens. Les problèmes sociétaux sont extrêmement complexes et le processus de prise de décision est très opaque. Les gouvernements, les autorités décident, « ils » règnent, légifèrent, imposent…

Il y a une « théification » de la politique qui va très loin, ce qui rend la gouvernance impersonnelle, abstraite et
ressemblant à une peinture non figurative. Nous devons réinventer la démocratie en introduisant des éléments de
la prise de décision participative, en informant et expliquant et en remplaçant les démagogues par des pédagogues.

Le plus important est de modifier les systèmes de vote démocratique. Un modèle pourrait être la promotion de
le « vote par points », un système électoral par lequel chaque électeur obtiendrait un nombre de voix pluriel, par exemple dix voix, qu’il pourrait librement exprimer et répartir sur différents partis et candidats selon des critères suivants l’intensité de ses préférences. Cela permettrait d’affiner les choix des électeurs. De même, au niveau micro-économique des entreprises et des sociétés, la coopération démocratique entre toutes les parties prenantes, transcendant leurs intérêts exclusifs, est en jeu dans l’ère post-économique. Encore plus herculéen est le gouvernement.

A une échelle beaucoup plus large, les institutions européennes souffrent également de plusieurs problèmes fonctionnels et ont à faire face à de grands défis. Une Communauté fiscale européenne devrait être créée conformément au principe « pas de représentation sans taxation ».
Aujourd’hui, le Parlement européen n’ a pas de pouvoir d’imposition, il lui est donc difficile de mettre en œuvre de nouvelles stratégies et de nouvelles lois. Nous devons également simplifier et clarifier les systèmes fiscaux. Dépenses budgétaires en matière de défense, de sécurité, d’énergie, de politique de développement, intégration des immigrés, recherche, communication numérique… doivent être euro-européens. Pour une Europe forte, un
budget public est nécessaire. Le budget des institutions de l’UE s’élève à 1% contre 27% aux Etats-Unis pour le budget des dépenses fédérales.

La zone euro, pour faire face aux distorsions de concurrence entre les Etats membres, doit imposer
des mesures sévères d’austérité impliquant la réduction des dépenses publiques, des salaires, de toutes sortes d’allocations.
La gestion des taux de change par pays n’est plus possible au sein d’une zone de monnaie unique.
Les mesures d’austérité considérées comme une « dévaluation interne » font que l’Union européenne est
impopulaire et peut mener à la déflation économique. Seule une politique budgétaire efficace menée par l’UE pourrait stabiliser la zone euro.
L’Europe doit s’unir face aux révolutions scientifiques et technologiques en cours.
L’histoire de l’humanité a en effet été guidée par les découvertes et les innovations scientifiques, à commencer par la découverte du feu, il y a 300 000 ans.
Aujourd’hui, les inventions scientifiques sont écrasantes dans tous les domaines. L’acronyme B. I. N. C. C. est utile pour résumer les révolutions scientifiques en cours :

  • Biogénétique, fabuleux progrès de la médecine, durée de vie moyenne de 100, 150, 200 ans ??
  • Technologies de l’information (applications informatiques, IA, réalité virtuelle et robots physiques, impression 3D). Emergence du « robot sapiens ».
  • Nanotechnologie. Demain, nous pourrons parler à chaque citoyen de la terre dans notre langue,
    et comprendre toutes les langues du monde grâce aux nano-ordinateurs (sans fil ou implantés dans notre propre corps)
  • Sciences cognitives, recherche et manipulation du cerveau humain.

Les conséquences socio-économiques du tsunami des innovations scientifiques et technologiques seront écrasantes et dramatiques pour la communauté mondiale et les membres de l’humanité.
La numérisation et la robotisation réduiront considérablement le temps de travail, les salariés seront remplacés par des salariés indépendants, l’existence des marchés mondiaux ira de pair avec le travail à domicile, les multinationales seront en concurrence mais aussi coopéreront dans de nombreux domaines, la propriété intellectuelle ne sera plus protégée, l’interconnectivité éliminera tout type d’intermédiaires sur les marchés, le commerce électronique prendra le relais du shopping. AIRBNB, Uberisation, économie circulaire, mise en commun, fabrication personnelle, cours en ligne ouverts, les universités du monde entier se répandront, les paiements en espèces disparaîtront. Le développement de l’énergie solaire et de la fusion nucléaire va bouleverser l’équilibre économique et politique mondial. La richesse se transformera en bien-être et la recherche du bonheur deviendra un objectif sociétal.

Une ère post-économique apparaîtra, mais il faudra néanmoins faire face à beaucoup d’ombres de progrès: démographie, vieillissement, climat, alimentation… la rareté, la RAM (résistance antimicrobienne), les armes de destruction massive, la difficulté de transformer le multiculturalisme en interculturalité….

Il va sans dire que le tsunami actuel d’innovations scientifiques et technologiques révolutionnera la communauté mondiale pour le meilleur et pour le pire. Par conséquent, la question ultime sera et est déjà la question de l’éthique. Comment transformer tous ces changements en progrès humain ? Comment gérer l’éthique en politique, en économie, dans les affaires? Et quelle est la « bonne éthique »? Qui peut décider de ces valeurs ? Quelles sont les règles applicables à tous ? On s’en tient au plus petit dénominateur commun ?

Bouddha, Jésus-Christ, Kant et d’autres dirigeants moraux ont dit : »Ne faites pas aux autres ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse ». Mais cette règle est-elle suffisante pour améliorer la vie humaine sur terre ?

La ligne directrice de SHIFTING ECONOMY est la quête du but dans l’économie, la quête de l’éthique dans les affaires – avec des outils utilisables sur le terrain. C’est aussi une invitation à tous les décideurs à imaginer
et réaliser de nouveaux rêves pour relier les êtres humains, et transformer le chagrin du village planétaire en bonheur humain.

Mark Eyskens
Professeur émérite d’économie et ancien Premier ministre de Belgique

Télécharger le document complet en anglais (format PDF) 

 

Photo : Andres Musta (CC BY-NC-ND 2.0)