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Commons Josaphat : de l’idée à la réalité d’un commun urbain

Entretien avec Geert De Pauw, à Bruxelles

Se rencontrer

Le projet Commons Josaphat a démarré en 2012 à Bruxelles. Quelques associations travaillaient alors dans des domaines variés (logiciels libres, états généraux des eaux, community land trust, festival des libertés,…), chacune un peu dans son coin, et sans forcément avoir conscience que ces domaines pouvaient être liés à la question des biens communs. Une dizaine de personnes ont commencé à se réunir pour que les collectifs puissent apprendre les uns des autres, et pour tenter de comprendre ce qui les fédérait à travers la notion de biens communs.

Des rencontres thématiques (logiciel, terre, logement,…) ont d’abord été organisées et furent l’occasion d’inviter des personnes et des associations pour faire des liens entre toutes ces initiatives et échanger des connaissances, mais aussi pour montrer l’existence de ces dynamiques et pour introduire cette notion auprès des bruxellois.. La même trame a été suivie pour chacune de ces rencontres (gouvernance, propriété, etc…).

Choisir un lieu

Puis, plutôt que de rester dans une réflexion théorique, il a rapidement été question d’appliquer les concepts sur le terrain. La question s’est posée en ces termes : “Si nous devions développer la ville avec tous ceux qui sont autour de la table, comment faire, et comment le faire autrement ?”. C’est ainsi que l’idée a émergé de choisir un “morceau de ville” pour voir ce qui pourrait y être fait. Les participants ont pensé qu’il serait plus facile d’expérimenter cette construction sur un terrain entièrement vide.

Le site choisi, Josaphat, est un ancien terrain de chemin de fer qui n’est plus utilisé depuis longtemps. Il appartient à la région bruxelloise, ce qui permet de s’adresser aux pouvoirs publics plutôt qu’à un promoteur immobilier. Et c’est à partir de ce choix concret que le collectif a commencé à travailler à la rédaction du projet “Commons Josaphat”.

Ouvrir la réflexion

Pour ouvrir la réflexion, un appel à idées adressé à toute la population bruxelloise a été lancé. Cet appel étant très large, il a donné lieu à beaucoup de réactions, depuis de tous petits projets parfois peu aboutis jusqu’à des projets très ambitieux pour ce site de 24 hectares. Ces propositions ont fait l’objet d’une exposition, puis des groupes de travail thématiques ont travaillé à la rédaction d’un projet détaillé.

Cette étape, qui a duré deux ans, a débouché sur un matériel intéressant qui a été publié sous la forme du texte “Josaphat en Commun : d’une réserve foncière à un quartier en bien commun”. Dans cette proposition citoyenne de 68 pages sont expliqués les principes, les recommandations (en terme d’écologie, de mobilité, de logement, de gouvernance, de plus-value,…), et toutes les questions qui se posent quand on projette de développer un quartier.

Convaincre

À compter de ce moment, le collectif a pensé qu’il était temps d’essayer de convaincre les pouvoirs publics afin de mettre en oeuvre le projet. Un débat politique a été organisé au moment des élections avec tous les partisans du projet, et un dialogue a été engagé avec la région bruxelloise qui avait déjà un projet de vente de ce terrain à des interlocuteurs privés.

Ce dialogue avec l’institution n’est pas toujours facile, mais il a tout de même permis de déboucher sur l’installation sur le terrain de plusieurs expérimentations qui y sont tolérées tandis que des négociations sont en cours pour les officialiser : un jardin collectif, un projet de récupération alimentaire, un projet artistique, etc…

Pour montrer que leurs proposition est réaliste et réalisable, le collectif Commons josaphat travaille maintenant sur une proposition pour un îlot modèle dans lequel les idées sont développées beaucoup plus en détail pour obtenir une proposition la plus aboutie possible. Cet îlot serait composé d’environ 100 logements articulés avec d’autres fonctions (community land trust, habitat groupé, logement social coopératif, épicerie coopérative,…) visant à montrer qu’il y a moyen de mettre en oeuvre concrètement les idées et même que cela fonctionne mieux que l’existant.

Le travail de réflexion et de rédaction s’oriente donc vers des études précises sur les aspects d’architecture, les aspects financiers, les questions liées au bâti, au foncier, à la gouvernance,… Cette étude est fondée sur le principe d’un développement de la ville qui ne compterait pas sur la spéculation immobilière pour faire avancer le projet. L’objectif est d’obtenir une proposition aboutie début 2017 afin de démontrer que le projet est réalisable et de convaincre la région d’inclure dans l’appel d’offre de vente du terrain qu’une partie soit réservée à cette expérimentation alternative.

À Bruxelles, beaucoup de choses ont évolué sur les questions d’écologie. Par exemple, tout ce qui est construit aujourd’hui doit être “passif”. Mais ça reste assez limité aux aspects techniques des bâtiments. Le projet Commons Josaphat voudrait démontrer que l’ensemble du développement de la ville peut être pensé et mis en oeuvre autrement, qu’il existe une alternative possible.

Espérer et concrétiser

Il y a encore beaucoup de méfiance de la part des pouvoirs publics, mais en créant le débat, Commons Josaphat participe à l’évolution des mentalités, et certains interlocuteurs commencent à comprendre de quoi il s’agit et quel intérêt il pourrait y avoir à tenter cette expérience. Par exemple, jusqu’à maintenant, la région vendait ses terrains à des promoteurs privés, mais ce dialogue ouvre une possibilité réelle pour qu’elle ne le fasse plus. De plus en plus de personnes impliquées de près ou de loin dans la politique urbaine comprennent et soutiennent les idées nouvelles du collectif.

La région bruxelloise devrait lancer son appel d’offre en juin 2017 qui sera donc une étape importante pour savoir si le projet du collectif pourra se concrétiser à cet endroit, ne fut ce que pour une petite partie du terrain. Une fois cette étape franchie, le collectif, qui est encore un petit groupe, devra faire en sorte de stimuler les candidatures de personnes et entreprises, nouveaux “promoteurs de biens communs” prêts à se lancer dans l’aventure…

Propos recueillis par Maïa Dereva

Photo : © Paula Bouffioux

Michel Bauwens : la société des communs

Les échanges en peer-to-peer au début des années 2000 ont alerté le penseur belge, entrepreneur dans le numérique à cette époque-là. Par la suite, ses recherches historiques sur les changements de civilisation, de l’Empire romain à l’avènement du capitalisme, et ses observations des communautés open source et des communs numériques l’ont finalement convaincu : nous sommes en train de vivre un changement de société. Et ce sont les artisans du pair-à-pair qui nous montreraient le chemin de la transition.

Je prétends que ce modèle qui est en train de naître au sein de ces nouvelles communautés nomades est aussi un modèle de société. Je fais l’hypothèse que la mise en réseau et le passage à grande échelle de ces micro-économies constitueront le cœur d’un nouveau système, celui d’une société post-capitaliste.

Lire l’article de Chrystèle Bazin sur CultureMobile.net

Lire l’entretien complet en PDF…

Ecouter l’entretien complet avec Michel Bauwens :

Communs et transformations sociales : expériences européennes sous un regard pluriel

A partir de la rentrée 2015, la chaire d’économie sociale et solidaire (ESS) de l’université Paris Est Marne-laVallée (UPEM) a mis en place un programme de recherche autour des communs sur la base de l’hypothèse de travail suivante : est-il possible de concevoir certaines des réalités de l’économie sociale et solidaire comme des modèles de commun en se référant à la définition générique qu’en propose Coriat (2015) à la suite d’Ostrom (1990).

Plus précisément, sur la base de cette définition, les réalités de l’ESS visées dans ce programme, tels les pôles territoriaux de coopération économique, les monnaies locales complémentaires, les communautés alternatives ou, encore, les territoires zéro chômeur de longue durée, dessinent-elles une nouvelle catégorie de communs. A côté des communs traditionnels autour des ressources naturelles et des communs numériques autour de communautés de connaissance, ces réalités pourraient être qualifiées de communs ESS ou de communs sociaux ?

L’enjeu de ce programme de recherche dépasse la seule question de la délimitation d’une nouvelle catégorie de communs dont l’ESS serait le lieu. Il est aussi d’ouvrir une réflexion sur la possibilité pour l’ESS de trouver dans le modèle des communs sociaux la voie théorique et pratique d’une alternative en tant que mode de développement durable et solidaire (cf. Defalvard, 2015).

Pour marquer une première étape dans ce travail, la chaire ESS-UPEM a souhaité se rapprocher des travaux sur les communs menés dans une perspective juridique en Italie. En effet, l’UPEM est déjà associée à l’université de Pise dans le cadre de la thèse de doctorat de Benedetta Celati portant sur les aspects juridiques du financement des communs, sous la double tutelle de Michela Passalacqua (Sciences juridiques à Pise) et d’Hervé Defalvard (Sciences économique à l’UPEM).

Afin d’organiser ces échanges sur les communs aussi bien dans une dimension pluridisciplinaire qu’internationale, un workshop a été organisé à l’UPEM le lundi 16 mai 2016, réunissant des contributions qui forment les six premiers articles de ce numéro spécial des Cahiers de la Chaire ESS-UPEM « Communs et transformations sociales : expériences européennes sous un regard pluriel » dont le titre reprend celui du Workshop.

Cliquez ici pour lire ce numéro spécial des Cahiers de la Chaire ESS-UPEM… (PDF – 148 pages)

L’expert Michel Bauwens fait des recherches sur Gand comme « ville des Communs de l’avenir »

Un plan de transition des Communs décrira le rôle et les possibilités de la Ville pour renforcer les initiatives citoyennes.

A partir du 15 mars 2017, l’expert peer-to-peer Michel Bauwens mènera un projet de recherche et de participation de trois mois à Gand sur la «ville de l’avenir en commun». La recherche devrait aboutir à un plan de transition des Communs, décrivant les possibilités et le rôle de la Ville de Gand (en tant qu’autorité locale) dans le renforcement des initiatives citoyennes. Avec cela, la Ville souhaite donner une nouvelle dimension à une économie durable et éthique à Gand.

Michel Bauwens (58 ans) travaille depuis plus de dix ans sur le thème de l’économie et de la société des biens communs. Il est sollicité dans le monde entier comme conférencier ou pour donner des ateliers, et il est l’auteur du best-seller «Sauver le monde : vers une société postcapitaliste avec le P2P». Bauwens a dirigé un projet similaire de recherche et de transition en Équateur. Le grand journal français, Libération, se réfère à lui comme le théoricien de premier plan sur le thème de l’économie de la coopération, à la suite de l’édition française du livre.

Le terme « commun » ou «bien commun» désigne les biens qui sont gérés par la communauté des producteurs, des utilisateurs et des citoyens qui en sont affectés ou qui en bénéficient. Les Communs comme une nouvelle forme d’organisation est illustrée par une variété d’initiatives autour de la production et la consommation avec l’idée de parvenir à une société plus durable. Il peut s’agir, par exemple, de la mise en place de coopératives énergétiques ou d’espaces de travail partagés pour le co-working. Les exemples à Gand sont EnerGent, LikeBirds, Voedselteams, Wijdelen, etc.

Toutes ces initiatives montrent que «les commus urbains» sont vivants et s’installent aujourd’hui dans la ville.

Le processus de recherche et de participation mettra en évidence les initiatives de communs à Gand ainsi que leur potentiel pour la société et l’économie. Les entrepreneurs de l’économie de partage seront également impliqués dans cette recherche. Ils seront interrogés sur les problèmes qu’ils rencontrent d’un point de vue structurel et sur leurs souhaits d’appui et de coopération en relation avec la ville de Gand en tant qu’autorité locale.

Le processus aboutira à un plan de transition des Communs qui décrit les options pour des interventions publiques optimales. Il devrait offrir le cadre pour la réglementation et le soutien des initiatives dans l’économie du partage. Un certain nombre de villes étrangères ont été utilisées comme point de repère (comme Barcelone, Bologne, Séoul), qui ont déjà ouvert la voie à la reconnaissance et à la promotion des pratiques de communs.

Source : Stad.gent

La loi et les communs

Cet article est une synthèse de la publication et contribution de Valérie Peugeot au colloque de Cerisy qui a eu lieu en Septembre 2016.

Le titre de l’article initial est : FACILITATRICE, PROTECTRICE, INSTITUANTE, CONTRIBUTRICE : LA LOI ET LES COMMUNS

L’article est dense et suppose une première approche des communs. Il montre comment « des initiatives législatives récentes montrent qu’une reconnaissance explicite des communs est possible« .

Pour cela, l’auteure analyse comment la notion de communs est entrée dans la loi, sans que pour cela le mot soit nommé, par le biais de 5 articles, même si les 2 derniers sont surtout un mélange de faux espoirs et de petites avancées :

  1. la loi ALUR, loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi Duflot II, adoptée le 26 mars 2014. Elle rend possible la mise en place d’organismes fonciers solidaires grâce à 4 innovations juridiques qui créent un faisceau de droits :
    1. dissociation de la propriété et du bâti et du foncier
    2. bail rechargeable (donc de facto perpétuel)
    3. conditions de cession fixées en amont
    4. gestion sur un mode collectif (gouvernementalité tri-partite familles / voisins / pouvoirs publics)

    Pour l’auteure, « nous sommes ici dans un cas de commun relativement pur« .
    La loi crée également  2 statuts qui vont sécuriser juridiquement les personnes qui s’engagent dans l’habitat participatif : la société d’attribution et d’autopromotion et la coopérative d’habitants (le second ramenant aux communs).

  2. loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (ESS), dite loi Hamon. Dans cette loi, 5 éléments participent à la mise en avant des communs :
    1. la définition de l’ESS est sortie d’une approche statutaire (réservée à certaines structures seulement) pour aller vers une définition par les finalités (un but autre que le seul partage des bénéfices), ce qui permet ainsi à des structures porteuses de communs (y compris des entreprises commerciales) de s’en emparer pour aménager leur statut.
    2. l’ancrage juridique du concept d’innovation sociale : ce constat d’impuissance du marché et de l’action publique inscrit dans la loi ouvre l’espace pour légitimer les communs.
    3. l’encouragement du secteur coopératif qui est un des statuts les plus intéressants pour les communs qui ont besoin de s’institutionnaliser
    4. l’encouragement aux coopératives d’activités et d’emplois (CAE) : c’est un début de réponse à la situation d’une économie qui tend à atomiser et isoler le travailleur en repensant le travail comme un commun.
    5. l’encouragement des monnaies locales qui étaient jusqu’ici tolérées.
      .
  3. loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV) du 17 août 2015 + ordonnance du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité (financement participatif, autoconsommation collective : les énergies renouvelables produites et / où consommées en commun). On voit se construire une approche polycentrique et ascendante. Des communautés se mettent en action de manière distribuée. Des petits fragments de cette loi participent à l’émergence des communs de la transition énergétique  :
    1. l’encouragement au financement participatif de la production d’énergie renouvelable : l’auteure considère que le fait que des communautés d’acteurs puissent se mobiliser en amont pour de la production distribuée est un début de gouvernance en commun, même si c’est un balbutiement.
    2. l’autoconsommation est instituée par cette loi qui promeut l’autoconsommation individuelle mais aussi collective. Des collectifs d’acteurs producteurs d’énergie peuvent re-consommer l’énergie produite en circuit court. Il s’agit d’un commun en production et en consommation.
      .
  4. loi dite de reconquête de la biodiversité du 20 juillet 2016 : elle limite les pratiques de brevetage du vivant, plus spécifiquement pour les semences. « Indirectement, la loi renforce le domaine public puisqu’elle institue de l' »inappropriable«  et en protégeant les droits d’usage associés« . Cela ouvre ouvre la voie à des communs environnementaux volontaires.
    .
  5. loi pour une république numérique, dite loi Lemaire, du 20 juillet 2016. 7 avancées sont repérées :
    1. ouverture par défaut des données publiques, ce qui nourrit les communs informationnels
    2. encouragement à l’utilisation des logiciels libres et systèmes ouverts par l’administration
    3. introduction du concept de « données d’intérêt général » transmissibles dans un format ouvert et librement réutilisable, ce qui ressemble à une mise en commun de données de source privée. 
    4. inscription dans la loi de l’open access (même s’il n’est pas obligatoire)
    5. text and data mining : faculté qu’ont les chercheurs d’effectuer des recherches dans des textes qui sont encore sous droits d’auteur
    6. liberté de panorama partielle : les photographies ne peuvent être qu’à usage non commercial.
    7. principe de neutralité du Net consacré juridiquement

Malgré toutes cas avancées plus ou moins concrètes, le terme de « commun » reste interdit d’énonciation explicite dans la loi pour le moment. Mais on peut s’en passer. Il suffit de considérer combien d’initiatives font déjà du commun sans le savoir…

Ecouter Valérie Peugeot (Source : Coop des communs) :

 

Photo d’illustration : darius norvilas sur Flickr, CC BY-NC 2.0

Pierre Thomé : quel avenir pour les communs ?

Entretien avec Pierre Thomé, auteur de l’ouvrage (Biens) Communs : quel avenir ? Un enjeu stratégique pour l’ESS

Maïa (P2P Foundation) : pouvez-vous nous dire par quel parcours vous êtes passé pour aboutir à la rédaction de ce livre ?

Pierre : Je suis retraité depuis 2003 et je dispose ainsi de pas mal de temps libre et d’un « revenu de base » suffisant. J’ai passé toute ma carrière dans le domaine de l’action sociale, en particulier la protection de l’enfance, en commençant comme éducateur spécialisé et en finissant comme chercheur auprès du Conseil général du Rhône.

Une fois en retraite, ma réflexion s’est orientée vers des thèmes qui m’étaient chers dans les années 1970, et notamment celui de l’autogestion qui s’est développé en France et en Europe à cette époque. Après mai 68, je me suis investi dans la mouvance autogestionnaire. C’était le début de la désindustrialisation en France, l’affaire de l’usine horlogère Lip à Besançon est sans doute la première grande lutte contre cet état de fait, elle en est devenue un symbole. A cette époque, la tentative de redémarrage de l’usine a représenté une menace pour le pouvoir politique qui a tout fait pour empêcher cette relance.

C’est aussi l’époque du projet d’extension d’un camp militaire sur le plateau du Larzac dans les Cévennes. L’armée avait commencé à s’emparer de pâturages et 103 paysans ont créé ce que je qualifierais aujourd’hui de « commun » (ça ne portait pas ce nom là à l’époque). Cette décision fut accompagnée par un vaste mouvement populaire qui a généré de grands rassemblements sur le plateau allant jusqu’à plus de 100 000 personnes. Cette lutte a abouti en mai 1981 à la décision de François Mitterrand, fraîchement élu président de la République, de stopper le projet. 6 000 hectares ayant déjà été réquisitionnés, de longues discussions avec le Ministère de l’Armée et celui de l’Agriculture ont permis de signer un bail emphytéotique de 99 ans et de créer le premier office foncier agricole en France : la Société civile des terres du Larzac. Les terres sont gérées depuis de manière collective et des locations sont proposées à des agriculteurs. José Bové, qui possède une exploitation sur place, fut une des figures emblématiques de cet épisode. Selon lui :

Il n’y a pas besoin d’être propriétaire du foncier pour aimer la terre et bien la cultiver.

C’est à cette époque que j’ai rejoint le Parti Socialiste Unifié (PSU) dans lequel se trouvait par exemple Michel Rocard (jusqu’en 1974). Pour la gauche socialiste, le PSU était un laboratoire d’idées s’appuyant sur des actions collectives locales (loyers, charges locatives, équipements socio-culturels…) dans de grands ensembles en plein développement (Sarcelles, Grenoble, Villejean à Rennes…). J’ai été très investi dans des projets touchant à la vie de la cité (école, achats collectifs, centres sociaux…).

Une fois en retraite, j’ai retrouvé d’anciennes relations de ce parti. Nous nous sommes demandés pourquoi l’idée d’autogestion avait pratiquement disparu des écrans politiques de la gauche de gouvernance. Nous avons alors décidé de chercher s’il en restait quelques traces, ce qui nous a rapidement conduits vers l’Économie Sociale et Solidaire fondée sur : la vie associative et la vie coopérative, le fonctionnement démocratique avec le moins de hiérarchie possible et la volonté de travailler autrement.

C’est ainsi que, par exemple, j’ai découvert Ardelaine en Ardèche, une aventure démarrée dans les années 1980 par cinq personnes qui ont racheté une filature à moitié en ruine et qui ont recréé toute la chaîne de la laine, de la tonte à la fabrication de vêtements et de literie. Aujourd’hui cette coopérative compte 50 salariés (plus de la moitié sont coopérateurs) et a relancé l’économie et la vie sociale d’un village de 500 habitants avec des ateliers de fabrication, un musée de la laine (20 000 visiteurs par an), un café-librairie et un restaurant, en quelque sorte une multiplication de communs !

Tout cela a conduit à l’écriture de Créateurs d’utopies. Démocratie, autogestion, économie sociale et solidaire (éditions Yves Michel) livre à la fois historique et d’actualité car illustré par de nombreux exemples d’associations et de Scop dont certaines se réfèrent encore à l’autogestion.

Ce n’est qu’un peu plus tard que j’ai découvert la notion de « communs », grâce à Elinor Ostrom lorsqu’elle a reçu le Prix Nobel d’économie en 2009, et j’ai lu le seul livre traduit en français de cette économiste américaine : La gouvernance des biens communs. En lisant cet ouvrage, Michel Rocard a d’ailleurs déclaré :

le prix Nobel pour l’autogestion ! Vous avez bien lu… 
(Libération 20/10/2009)

Je me suis donc mis passionnément à étudier la question… et je viens de publier (Biens) Communs : quel avenir ? Un enjeu stratégique pour l’économie sociale et solidaire (éd. Yves Michel)

Maïa : quels sont les objectifs de ce nouvel ouvrage ?

Pierre : à titre personnel, je suis investi comme sociétaire dans différentes coopératives (Enercoop, Terre de Liens, Ardelaine, la NEF,…). J’agis dans ce cadre pour faire de la sensibilisation et soutenir le développement de ces formes d’organisations. C’est un travail de longue haleine dont je ne verrai sans doute pas le bout, à supposer qu’il y en ait un ! Mon livre s’inscrit dans cette démarche.

Lors du récent Festival du livre à Mouans-Sartoux, j’ai constaté que le concept « (bien) commun » est encore assez étranger. J’ai notamment participé à une table ronde avec Cyril Dion, réalisateur du film “Demain, qui évoque beaucoup d’expériences alternatives sans jamais prononcer le mot « commun ». Des pratiques existent mais ne sont pas encore assez associées à ce concept, alors qu’il s’agirait de les relier pour en dégager du sens, y compris politique.

Lorsque je définis les communs, j’écarte le mot « bien » pour éviter toute confusion avec une idéologie. Par exemple, l’eau est souvent considérée comme un « bien commun universel » mais il s’agit d’une déclaration de principe très loin de la réalité tant l’eau peut faire l’objet d’un manque pour un grand nombre d’habitants de la planète et de conflits y compris militaires. Ce qui m’intéresse, c’est comment les gens peuvent s’organiser pour s’emparer de ces questions. Pour moi, un commun est une construction sociale et non un bien naturel qui irait de soi. Ce sont des personnes qui se réunissent autour d’une ressource et qui cherchent à en déterminer des droits collectifs (accès, usages, protection…) qui peuvent être contraignants et en tenant compte bien sûr des aspects réglementaires venant des acteurs publics (État et collectivités territoriales). Pour s’instituer, ces communs, la plupart du temps, se rapprochent de l’Économie Sociale et Solidaire, associations et coopératives. Et il n’est pas nécessaire de toujours rechercher des exemples extraordinaires pour les découvrir. Ainsi dans le livre, je présente les droits d’usage d’un pâturage communal situé en Savoie qui illustre très bien la notion de « consortage » (un mot utilisé en Suisse pour évoquer le fait de « partager le même sort »). Pour moi, ce mot est une excellente définition des communs :

c’est la nécessité qui fait se réunir des personnes autour d’une ressource à utiliser en commun tout en la préservant.

Dans le cas présent, il s’agissait de sauver la vie économique d’un village alors que les fermes ne trouvaient plus de repreneurs. Les huit fondateurs sont tous des fils de paysans du village qui ne se destinaient pas forcément à l’élevage. Ils évitent d’ailleurs soigneusement les questions idéologiques qui pourraient créer des conflits. Ce qui les rassemble, c’est le sauvetage du pastoralisme en montagne et ils ne voient pas d’autre solution que de “consorter”, c’est-à-dire créer des communs. Leur action est ainsi à l’origine de quatre coopératives, une association et une petite mutuelle (caisse de solidarité en cas de perte accidentelle d’une vache). Toute leur production de lait sert directement à la fabrication sur place du fruit commun : l’excellent fromage de Beaufort.

Un autre aspect important de cette expérience, c’est l’ancrage local, avec une forte territorialisation des actions. L’exemple alpin pourrait ainsi se multiplier dans tous les endroits qui ne sont pas encore trop atteints par les enclosures des fermes usines. L’un des enjeux a été de remédier à la dispersion des terres en herbage par un remembrement volontaire. Dans le village c’est un Groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC), qui est apparu comme la structure juridique la plus adaptée à cette mise en commun ; elle regroupe actuellement huit paysans-éleveurs pour un troupeau de 120 vaches laitières. L’alpage d’été reçoit aussi d’autres éleveurs et c’est un Groupement pastoral (coopérative) qui en assure la gouvernance.

Mon livre a donc pour principal objectif de faire connaître ces exemples au grand public afin de le sensibiliser à cette question des communs – ce qui est loin d’être acquis ! – avec le projet de créer une société plus juste, plus égalitaire et plus responsable de son environnement. Bien sûr, ce projet n’est pas nouveau et a déjà échoué à plusieurs reprises au cours des siècles précédents. Ma réserve se situe sans doute là : est-ce que l’on rêve ? Pourtant à l’âge “canonique” qui est le mien, je souhaite encore de tout cœur un changement politique radical et je crois qu’il est possible, à partir de l’enseignement des communs, de construire un nouveau système économique, sociale et écologique, c’est certainement un travail de longue haleine, mais je pense que l’on a bien besoin d’un récit politique capable de proposer autre chose qu’une économie financière dominant le monde en le détruisant. (Cf. Communs et ESS peuvent-ils faire système ?)

En route vers une assemblée européenne des communs : l’unité et la politique autour du paradigme des communs

Le 26 Septembre, un groupe d’organismes sans but lucratif, de fondations et d’autres organisations de la société civile ont  publié conjointement un « Appel à une Assemblée européenne des communs« . Le document rédigé collectivement, qui continue de recueillir les signatures de groupes et d’individus à travers l’Europe, est la déclaration d’intention d’un réseau distribué de «commoners».

L’Assemblée cherche à unir les citoyens par une solidarité trans-locale et trans-européenne pour faire face aux défis actuels de l’Europe, afin de surmonter et relancer le processus politique pour le 21e siècle. Les communs peuvent être compris comme un paradigme de transition qui met l’accent sur la coopération dans la gestion des ressources, des connaissances, des outils et des espaces aussi divers que l’eau, Wikipedia, un crowdfunding, ou un jardin communautaire. Leur appel décrit le « faire en commun » comme :

…des initiatives ascendantes basées sur la coopération en réseau, déjà mises en pratique par des millions de personnes en Europe et dans le monde.
Ces initiatives créent des systèmes autogérés qui répondent à des besoins vitaux. Elles opèrent souvent en dehors de l’économie de marché dominante et des politiques publiques étatiques, tout en expérimentant de nouvelles structures hybrides.

L’Assemblée a émergé en mai via une communauté pilote diversifiée, respectant la parité, de 28 militants et militantes de 15 pays européens, travaillant dans différents domaines des communs. De nouvelles personnes se joignent à l’Assemblée chaque semaine, et la CEA est inclusive et ouverte à l’arrivée d’autres contributeurs, de sorte qu’un large mouvement européen résilient puisse émerger. Elle cherche à donner de la visibilité aux actes de mise en commun par les citoyens pour les citoyens, tout en favorisant l’interaction avec les politiques et les institutions aux niveaux national et européen.

La partie d’un mouvement plus large

L’adoption rapide des communs comme vision du monde holistique, alternative, durable et sociale est en partie l’expression d’un malaise avec le système économique actuel, injuste et démocratiquement carencé. Le mouvement des communs a explosé ces dernières années, suite à l’attribution du prix Nobel d’économie à Elinor Ostrom en 2009 pour son travail sur la gestion des ressources communes. Il a également vu la rencontre avec d’autres mouvements, comme la solidarité et l’économie du partage, les mouvements sociaux, la décroissance et la production pair à pair.

Michel Bauwens, membre de la CEA et figure de premier plan du mouvement peer-to-peer, explique :

Partout dans le monde, un nouveau mouvement social émerge, qui remet en cause les l’économie politique «extractive» dominante et qui co-construit les germes d’une société durable et solidaire. Commoners obtenez également une voix, par exemple, par les assemblées des communs qui émergent dans les villes françaises et ailleurs. Le temps est venu pour un renouvellement du monde politique, à travers une Assemblée européenne des communs.

L’appel comprend une invitation ouverte à Bruxelles du 15 au 17 Novembre 2016 pour trois jours d’activités et de réflexion partagées sur la façon de protéger et de promouvoir les  communs. Elle comprendra une session officielle au Parlement européen, organisée par l’Intergroupe sur les biens communs et services publics, le 16 Novembre (capacité limitée).

Vous pouvez lire et signer le texte intégral de l’appel, disponible en anglais, en français, en espagnol, et bientôt d’autres langues européennes, sur le site Web de la CEA. Il y a une option pour signer en tant qu’individu ou organisation.

Pour plus d’informations, visitez le site http://europeancommonsassembly.eu/ ou suivez le compte Twitter @CommonsAssembly pour des nouvelles régulières.

Contact Media : Nicole Leonard contact@europeancommonsassembly.eu

Article original en anglais

 

Photo : Till Gentzsch European Alternatives

Communs et économie : quelle cohabitation dans une perspective de transition ?

« On parle de (bien) commun chaque fois qu’une communauté de personnes est animée par le même désir de prendre en charge une ressource (dont elle hérite ou qu’elle crée) et qu’elle s’auto-organise de manière démocratique, conviviale et responsable pour en assurer l’accès, l’usage et la pérennité dans l’intérêt général et le souci du ‘bien vivre’ ensemble ainsi que du bien vivre des générations à venir. »

Proposée par Alain Ambrosi et rappelée par Lionel Maurel, dans un texte lumineux qui analyse (au travers du prisme méthodologique élaboré par Elinor Ostrom) l’expérience « #BiblioDebout », cette définition claire et synthétique permet de se représenter la diversité des ressources (naturelles, matérielles et immatérielles) que nous pourrions appréhender comme des communs.

Pour autant le développement et/ou la préservation de ces communs (par exemple un projet citoyen d’énergie renouvelable, des jardins partagés, un tiers-lieu open-source, du mobilier urbain pour échanger/donner des livres/des objets disposés dans l’espace public, un logiciel libre, des plans open-source d’une machine agricole, des savoirs communs et partagés, un réseau d’accès associatif à Internet, etc.), impliquent que certains usagers-contributeurs y passent du temps et y engagent leur compétence, tandis que d’autres, y compris des acteurs marchands, se contentent d’utiliser les ressources communes, voire d’en tirer un profit personnel.

 

L’idée défendue par Michel Bauwens, de constituer à différentes échelles territoriales, des binômes « chambres des communs » (instances de type consulaire capables de faire le lien entre les contributeurs bénévoles et les utilisateurs marchands des ressources communes) / « assemblées des communs » (capables notamment d’identifier et de documenter le fonctionnement de ces communautés gestionnaires de ressources partagées), permet d’imaginer des solutions de cohabitation coopérative entre communs et économie marchande.

Une telle articulation peut-elle s’avérer pérenne ou bien ne constituer qu’une phase de transition dans la perspective d’un changement irréversible de nos relations à la propriété ?

Trois enjeux méritent d’être explorés pour répondre à cette question :

 

Le premier enjeu est celui de la protection des ressources communes contre les enclosures ainsi que de leurs contributeurs et contributrices contre le risque de dépossession de leur œuvre.

L’étude historique du mouvement des enclosures (qui comme le rappelle Lionel Maurel, « s’est produit en plusieurs vagues, du 12ème au 18ème siècle, démantelant progressivement les droits d’usages collectifs en distribuant des droits de propriété privée au bénéfice de certains grands propriétaires terriens »), nous permet aujourd’hui de mieux analyser les risques que font courir aux communs la privatisation, tout comme « l’étatisation », d’une ressource naturelle ou matérielle, initialement gérée de manière collective pas ses usagers.

Mais le processus de confiscation devient encore plus flagrant, dès lors qu’il s’agit d’une ressource immatérielle et « non-rivale » comme la connaissance universitaire, la création artistique ou littéraire ou encore le génome d’une plante, que des entreprises purement capitalistes privatisent au nom de la propriété intellectuelle ou industrielle.

Quant aux contributeurs/contributrices aux communs, qui investissent bénévolement du temps et du talent à les créer, les maintenir et les développer, le premier enjeu (on évoquera plus loin la question de la réciprocité) est de pallier au risque de dépossession intellectuelle de leur travail.

Ainsi une contribution libre à un commun dont les droits de partage ne seraient pas juridiquement protégés, peut à tout moment être appropriée par une personne ou un entreprise, susceptibles de revendiquer des droits de propriété intellectuelle sur les produits de cette contribution.

Pour pallier à ces risques d’enclosure et de dépossession, il existe au moins deux catégories de solutions : la dissociation juridique entre la propriété et l’usage d’une part,  les licences libres d’autre part.

Le droit de propriété bénéficie d’une protection particulière en droit français puisqu’il est visé dans la déclaration des droits de l’homme, qui a valeur constitutionnelle. Il apparaît donc difficile de le remettre en question, même s’agissant d’une ressource considérée comme un commun. Il existe cependant différentes façons de dissocier juridiquement la propriété de l’usage, susceptibles de protéger les usagers d’un « commun » (les commoners) du risque de détournement ou de confiscation de cette ressource par la personne morale ou physique qui en est légalement le propriétaire.

Ainsi le droit coopératif permet de distinguer clairement la coopérativepropriétaire par exemple d’un bien immobilier (coopérative d’habitants), d’une entreprise (SCOP ou SCIC), ou de matériel agricole (CUMA) – et les coopérateurs/trices, sociétaires de la coopérative et usagers de ses ressources, mais également associés démocratiquement (une personne = une voix) à la gouvernance de leur « bien commun ».

Dans un autre registre, les baux emphytéotiques permettent à un propriétaire immobilier de louer son bien à des usagers pour une longue durée (18 à 99 ans), charge à ceux-ci de l’entretenir et de le préserver tandis que « les foncières » comme Terres de Lien (ou encore  les « Community Land Trust ») permettent d’acquérir des terres ou des biens immobiliers pour en assurer, sur le long terme, une gestion sociale et écologique conforme à une charte.

Le droit anglo-saxon dispose quant à lui d’un concept intéressant dont les commoners pourraient se saisir, il s’agit du « trustee » qui désigne une personne ou une structure qui se voit confier un mandat de gestion très précis pour le compte des bénéficiaires d’une ressource. La récente création à Lille d’une association baptisée LSC1 (pour « Legal Service for Commons ») en constitue une déclinaison expérimentale. Son objet est de « protéger  de soutenir des communautés produisant des ressources ouvertes et partagées, appelées  communs libres » et sa gouvernance est constituée d’un « collège » de personnes de confiance qui veillent à ce que les ressources produites par les « contributeurs » soient protégées et le cas échéant rémunérées.

Concernant la protection des contributeurs/trices, la création des licences libres « creative commons » qui « proposent une solution alternative légale aux personnes souhaitant libérer leurs œuvres des droits de propriété intellectuelle standard de leur pays, jugés trop restrictifs », ont permis (depuis 2004 en France) aux auteurs souhaitant contribuer aux communs, de définir et de protéger juridiquement les conditions du  partage et de la réutilisation de leurs productions.

Il en va de même avec les nombreuses licences « open-source » développées par le monde du logiciel libre et répertoriées par l’OSI, tandis que se pose la question de leur déclinaison pour tout ce qui concerne le « hardware » et les inventions mécaniques qui ne reposent pas directement sur un code logiciel.

Ces différents dispositifs bien qu’encore très imparfaits (cette liste n’étant certainement pas exhaustive), permettent d’ores et déjà aux commoners de concevoir des mécanismes de prévention des risques d’enclosure des communs et de confiscation du produit de leurs contributions.

Cependant les assemblées et les chambres des communs pourraient se donner comme objectif de les améliorer, en documentant les expérimentations existantes et en mobilisant des collectifs de juristes pour les rendre transférables et adaptables.

 

Le second enjeu est celui de la réciprocité et/ou de la rétribution des contributions

Cela peut tout d’abord paraître contradictoire de parler de rétribuer des contributions apportées à un commun et pourtant cette question nous concerne tous, dès lors que nous nous connectons à Internet ou nous utilisons notre smartphone.

En effet chaque clic effectué sur un moteur de recherche ou sur un réseau social fait de nous un « digital worker » qui contribue bénévolement à générer une gigantesque masse de données (Big Data), exploitée à des fins marchandes et confiscatoires par les plateformes qui mettent « gratuitement » ces services à notre disposition.

D’un autre côté, la majeure partie des lignes de codes écrites pour le logiciel libre, le sont par des salariés de groupes informatiques privés qui autorisent explicitement leurs employés à contribuer « bénévolement » à un commun dont le développement alimente leur modèle économique.

Mais pour les personnes qui souhaiteraient contribuer plus activement à créer, développer et préserver des ressources en communs, la nécessité de « gagner sa vie » limite fortement le temps qu’elles voudraient pouvoir y consacrer.

Ce n’est pas par hasard que les périodes de chômage (contraintes ou choisies) ou de départ à la retraite permettent à certains de s’investir dans des activités porteuses de sens et de (re)découvrir que « travailler » n’est pas nécessairement synonyme d’emploi salarié.

Si l’on admet avec Frédéric Sultan que « les transitions auxquelles nous sommes confrontés nous invitent   à inventer d’autres approches que le système bipolaire État/marché, à construire de nouvelles alliances dans lesquelles les communs permettent de renouveler l’imaginaire politique pour adapter l’action publique aux enjeux du 21ème siècle » il apparaît évident qu’inventer des formes de rétribution (au moins partielles) pour les contributeurs et contributrices aux communs permettrait de « passer à l’échelle » et d’accélérer l’indispensable engagement d’un processus de transition durable.

Deux voies peuvent être envisagées pour répondre à ce besoin de rétribution, la première et la plus immédiatement opérationnelle, décline les différentes possibilités de « donner » aux contributeurs afin de rémunérer (partiellement) leur temps de travail. La seconde plus ambitieuse consisterait à organiser un système pérenne de réciprocité entre contributeurs et bénéficiaires de ressources « communes », sans pour cela d’ailleurs que ces rôles soient figés.

Plusieurs plateformes numériques permettent ainsi aux commoners de faire appel au don pour soutenir leur travail de contribution, que ça soit pour un projet particulier via une campagne de crowdfunding (très nombreuses plateformes), ou bien plus pointu, sous la forme de dons récurrents visant à établir une relation de financement « durable » comme le résume dans son blog Philippe Scoffoni.

Une plateforme comme « Liberapay » permet ainsi à un auteur ou un projet de bénéficier d’un revenu à peu près stable dans le temps. Les participants s’engagent à verser une somme donnée toutes les semaines. Il incombe en effet aux utilisateurs de la plateforme de financer son fonctionnement et les contributions peuvent s’effectuer au profit de personnes ou d’équipes. Dans ce dernier cas, ce sont les membres de l’équipe qui définissent les règles de répartition des sommes perçues.

Cependant le don peut aussi prendre la forme du mécénat classique pratiqué par une personne, une entreprise ou une fondation, ou bien encore d’une subvention accordée sans contrepartie par l’État ou une collectivité publique au titre de « l’intérêt général », ces types de contribution privées ou publiques pouvant également prendre la forme d’un apport financier ou en nature (mise à disposition d’un terrain, d’un bâtiment ou d’un équipement, d’une compétence…).

Mais il en va différemment du concept de réciprocité car il s’agit ici d’imaginer un système pérenne où contributeurs et bénéficiaires de communs pourraient, dans l’idéal, « équilibrer » leurs apports.

La première piste étudiée a été celle des licences réciproques qui, comme le résume Pierre-Carl Langlais « visent à restaurer une relation de réciprocité entre le secteur commercial et le mouvement des Communs en établissant un mécanisme de réversion dès lors qu’une organisation capitalistique fait usage d’un bien commun ». Cependant cette idée se heurte encore à un certain nombre de difficultés concernant notamment le choix de l’unité de compte et l’éthique des protagonistes.

La seconde piste fait l’objet d’un très ancien débat redevenu fortement d’actualité, il s’agit du revenu universel ou Revenu de Base Inconditionnel et de ses alternatives comme le revenu contributif prôné par Bernard Stiegler ou encore la salaire à vie défendu par Bernard Friot. Dans ce cas c’est la société qui décide de rémunérer globalement et indistinctement le temps de la contribution de ses membres au bien commun par un système public de redistribution. Mais là aussi les différentes approches idéologiques qui sous-tendent ce concept (du libertarisme californien au coopérativisme proudhonien) tout comme les énormes réticences morales que soulève l’idée « d’être payé à ne rien faire » laissent augurer d’encore bien des obstacles avant qu’un tel système voit le jour.

Cependant une troisième piste mériterait sans doute d’être approfondie, celle qui consisterait à recourir au système des « chambres de compensation », un système économique ou chacun est invité à payer ses dettes avec ses créances. L’avantage principal d’une chambre de compensation, est qu’elle transforme les dettes et les créances bilatérales en dettes et en créances multilatérales. Le commoner ou l’entreprise A, qui a une créance envers le commoner ou l’entreprise B, suite à une contribution ou à une utilisation d’un commun, peut immédiatement dépenser cette créance avec un commoner ou une entreprise C.

De façon symétrique, un commoner ou une entreprise D qui a une dette avec l’entreprise E règlera sa dette en contribuant aux communs utilisés par l’entreprise F ou A.

Le système repose sur une unité de compte (une monnaie complémentaire) dont la multilatéralité va permettre d’amplifier l’activité économique et la production de communs, chacun des adhérents ayant la capacité à trouver dans le réseau de nouveaux partenaires qui sont autant de nouveaux contributeurs.

La technologie des blockchain qui connaît un développement spectaculaire, pourrait ici être mise au service du bien commun.

 

Et de fait, le troisième enjeu apparaît bien comme celui de la mise en place de ces binômes assemblée/chambre des communs qui permettraient d’expérimenter localement ces différentes formes de cohabitation entre communs et économie.

Constituées à l’échelle locale des « porteurs de communs » (que sont par exemple les tiers-lieux, les jardins partagés, les projets d’habitat coopératif, une foncière comme « Terre de Liens », des monnaies complémentaires, les producteurs et diffuseurs d’œuvres du domaine public, les développeurs de logiciels libres, une épicerie coopérative, un fournisseur d’accès à Internet associatif et citoyen, une régie de quartier, une conciergerie solidaire, un dispensaire social, une université populaire…), les assemblées des communs pourraient se donner comme objectif de coordonner et populariser l’accès, la défense contre les enclosures et le développement des communs sur leur territoire, en élaborant puis en faisant vivre démocratiquement une charte sociale des communs.

Susceptibles de proposer aux pouvoirs publics d’assumer la gestion citoyenne et responsable de certains communs (espaces publics, agriculture dans la ville, tiers-lieux publics, salles associatives, espaces de gratuité…), de proposer aux entreprises une relation coopérative gagnant – gagnant, grâce à la création d’une « chambre des communs » (permettant à celles-ci de participer à la rémunération des communs, en contrepartie de leur utilisation des ressources et savoirs partagés issus des communs…) elles pourraient s’imposer comme une véritable alternative au dialogue devenu stérile entre l’État et le Marché, en permettant aux citoyens de s’impliquer localement dans la gestion des ressources du vivre ensemble, sans remettre en cause directement l’utilité de des élus et des entreprises, favorisant ainsi l’amorce d’un processus de transition soutenable.

Plus spécifiquement les chambres des communs pourraient organiser les activités économiques autour des communs, en demandant aux acteurs économiques de participer à leur rémunération (en contrepartie de l’utilisation des ressources et savoirs partagés issus des communs) afin d’établir ainsi une relation coopérative gagnant – gagnant entre communs et économie.

Elles pourraient également tenter de sensibiliser l’acteur public à la réforme des marchés en privilégiant la production directe de communs ou le développement de services autour de commun (par exemple plutôt que de développer au niveau de chaque collectivité un logiciel « propriétaire » de gestion des vélos en libre service, plutôt que de le développer en logiciel propriétaire individuellement par, le développement d’un logiciel libre pourrait être mutualisé avec l’ensemble des villes du monde ayant à mettre en place un système de vélo partagé).

Elles pourraient enfin faciliter la collaboration des entreprises qui développent de l’activité économique autour des communs et assurer le dialogue avec l’Assemblée des Communs (le rapport entreprises/société).

 

Photo : Pesée de marchandises, amphore du Peintre de Taléidès, v. 540-530 av. J.-C., Metropolitan Museum of Art • Taléidès comme potier (signature), Peintre de Taléidès • CC BY 2.5 (Source : Wikipedia)

Elinor Ostrom, les communs et l’anti-capitalisme

En 2009, l’économiste politique américaine Elinor Ostrom devint la première femme à recevoir le Prix Nobel d’Economie. Au sens strict, elle n’était pas plus économiste que le prix était un Nobel puisqu’il s’agissait du Prix de la Banque de Suède. Née « pauvre », selon ses propres termes, en Californie, durant l’été 1933, elle a publié « Governing the Commons » [Gouverner les communs, NdT] en 1990 et est décédée d’un cancer en 2012. J’ai eu la chance de la rencontrer en personne et de pouvoir passer ces deux dernières années à faire un travail de recherche détaillé sur ses travaux. Je suis anti-capitaliste, et bien qu’elle n’aurait sans doute pas accepté cette appellation, je soutiendrai ici que ceux qui veulent créer une économie démocratique et écologique qui dépasse le marché et l’état, trouveront une énorme inspiration dans son travail.

L’objectif principal d’Ostrom était d’examiner comment les ressources communes pouvaient être gérées. Elle a expliqué que les ressources communes incluaient les lacs et la pêche parce qu’ils ne pouvaient pas être facilement divisés en propriétés privées, et  qu’ils devaient donc être gérés par une forme de convention collective. Son travail et celui de son mari Vincent Ostrom, a commencé par l’étude des nappes phréatiques autour de Los Angeles. Immortalisé dans le film de Roman Polanski « China Town », différents utilisateurs étaient sur le point de prélever trop d’eau dans le système. Si une quantité trop importante d’eau avait été prélevée, la nappe phréatique aurait tellement baissé que de l’eau salée aurait été aspirée, détruisant le système. Les Ostrom ont constaté que les utilisateurs de l’eau ont formé des associations et que, en dépit de la difficulté du défi, ils ont trouvé des moyens de co-exploitation pour préserver le système.

A la fois à l’écoute de Garret Hardin, qui avait proclamé la Tragédie des Communs et fait valoir que si les Communs n’étaient pas protégés par des enclosures ils s’éroderaient,  Elinor était également ennuyée par son point de vue qui consistait à affirmer que la population devait être réduite par des mesures agressives, ce qui l’a inspirée pour renouveler son précédent travail sur la mise en commun des ressources :

Elinor Ostrom : Hardin a fait un discours sur le campus [de l’Indiana University à Bloomington], auquel je me suis rendue, et il a évoqué les choses de manière générale – mais à ce moment, le fait est qu’il était vraiment inquiet à propos de la population. Il a suggéré que tous les hommes et toutes les femmes devraient être stérilisés après avoir eu un enfant. Il était très sérieux en disant cela.

Margaret Levi : c’était réellement Garret Hardin ?

Elinor Ostrom : oui – et pas Russel [Hardin]. Garret Hardin. Je fus quelque peu surprise : « Ma théorie prouve que nous devrions faire cela », et les gens ont demandé : « Ne pensez-vous pas que c’est un peu violent ? » « Non ! C’est ce que nous devrions faire, sinon nous sommes fichus. » Bon, dans mon esprit, il est donc devenu totalitaire. J’avais ainsi vu un vrai cas où sa théorie ne fonctionnait pas.

Aussi bien Elinor que son mari Vincent s’auto-intitulaient « institutionalistes » parce qu’ils s’intéressaient à comment les institutions fonctionnent, et les étudiaient du point de vue de l’économie politique. Ils se sentaient concernés par deux problèmes essentiels : comment les ressources pouvaient être gérées d’une manière écologiquement durable, et comment un système autonome pouvait être encouragé. Vincent, qui est mort quelques jours seulement après Elinor, également du cancer, était un penseur à part entière fascinant, et a publié de nombreux livres.

Il y a, je pense, deux approches communes de la relation d’Elinor avec la gauche, la pensée radicale et l’anti-capitalisme. La première consiste à penser qu’elle a puisé dans l’économie libérale, en commençant par Adam Smith, était hostile à l’État et était essentiellement hayékienne, et en tant que telle, qu’elle n’a rien à voir avec le socialisme. L’approche opposée est de proclamer les communs comme l’alternative au capitalisme, de noter qu’elle a remporté un prix Nobel pour avoir théorisé sur les communs et, à cet égard, qu’elle était à gauche. Je pense que les deux approches ont tendance à trop simplifier son approche nuancée et inhabituelle : bien que sceptique sur le fait que l’Etat pourrait agir comme un chevalier blanc pour faire face à l’inégalité et à l’oppression, elle n’était cependant pas libertaire. En tant que théoricienne des communs, elle n’était pas une fondamentaliste des communs, comme elle ne les voyait pas comme une panacée pour tous les maux sociaux et écologiques.

Aussi, Ostrom ne s’est jamais identifiée à la gauche traditionnelle. Lorsqu’on lui a demandé si elle  contestait ceux qui accusaient ses théories d’être « implicitement socialiste », elle a répondu : « Oui. Je ne pense pas qu’ils soutiennent que le socialisme est une théorie « top-down ». Beaucoup de gouvernements socialistes sont très « top-down » et je pense que ma théorie affirme que tout gouvernement « top-down », que ce soit à droite ou à gauche, n’est probablement pas en mesure de résoudre la plupart des problèmes de durabilité des ressources dans le monde ». Cependant, elle n’était pas non plus conservatrice comme son amie Amartya Sen, mais était plutôt partisane d’une plus grande égalité sociale, en déclarant carrément à un journal allemand que d’être «né riche est toujours mauvais ».

Les Ostrom étaient certainement au courant de la critique de la planification centrale de Friedrich Hayek, mais ils étaient d’accord pour rejeter l’idée que les marchés étaient spontanément efficients. Ils croyaient que tous les niveaux de la société pouvaient tirer bénéfice d’une conception institutionnelle intelligente et expérimentale. Difficile à classer, avec leur propre approche unique, les Ostrom peuvent sembler déconcertants. Ni anarchistes, ni chantres du marché libre, ni partisans du contrôle « top-down », ils étaient au mieux très inhabituels et, au pire, tout à fait déroutants.

Je crois qu’Elinor Ostrom a fourni une ressource énorme pour tous ceux d’entre nous qui souhaitent voir ce que nous pouvons apprendre d’elle à propos d’une alternative au néo-libéralisme. Sa propre pratique académique était radicale : elle a cherché une économie au-delà du marché et de l’Etat, a préconisé une forme pratique de l’écologie politique, a examiné comment les communs pourraient fonctionner pour la communauté, et a également montré l’importance d’une conception institutionnelle prudente dans le changement social. Elle a également contesté le modèle de « l’homme et la femme économiques rationnels » et se faisait l’avocat des femmes, des minorités, des populations autochtones et des paysans.

Sa pratique académique était radicalement égalitaire et, à cet égard, donne une leçon pratique à toute la gauche. Sa recherche intégrait le respect des autres : elle demandait aux gens comment ils conservaient les communs et renforçait la base de connaissances. La quasi-totalité de son travail était collaboratif. Quand elle a téléphoné à son mari et lui a dit qu’elle avait gagné le prix Nobel, elle a dit : « Chéri, nous avons gagné un prix ». Une grande partie de leur travail est donc attribuable à un « nous » et non à un « je », et ils ont mis en place un atelier innovant qui, encore à ce jour, pratique une approche communautaire du travail scolaire. Elle a demandé aux participants de l’atelier de critiquer son projet de discours pour le Nobel, mis en place une bibliothèque de documents sur les communs en libre accès et libre usage, et était peer-to-peer avant même que l’expression ait été inventée.

Le titre de sa conférence pour le Nobel était « Au-delà des marchés et des États ». Même si elle n’a rejeté ni le marché ni l’État, elle a vu au-delà en reconnaissant qu’il y avait d’autres façons de gouverner l’activité économique humaine. Même à gauche, l’économie au-delà du marché et de l’état semble impossible. La gauche estime qu’il est difficile d’imaginer des alternatives au marché, et le consensus néo-libéral estime que le marché est la réponse à tous nos maux. Depuis le démantèlement du NHS jusqu’aux nouveaux traités commerciaux qui balayent les obstacles au bénéfice des sociétés, les valeurs de marché sont considérées comme une panacée. La recherche prudente et détaillée de Ostrom dans l’économie de non-marché est essentielle dans ce qu’elle suggère qu’il y a une vie au-delà de la panacée supposée du marché.

En particulier, elle a étudié les communs pour montrer que la propriété collective communale était possible dans de nombreuses circonstances. Utilisant un grand éventail de techniques pour étudier la gestion des ressources communes, elle a surtout étudié avec succès les communs avec une technique d’étude de cas historiquement fondée, et la constitution d’une liste de huit caractéristiques de conception des communs durables. Sa liste de huit caractéristiques n’a pas vocation à être normative, mais elle constitue une leçon pour la gauche anti-capitaliste. Créer des alternatives qui fonctionnent bien exige une étude minutieuse des alternatives réussies et de celles qui ont échoué pour concevoir des institutions qui peuvent potentiellement fonctionner. Espérer créer des solutions de rechange est un vain espoir sans recherche rigoureuse.

En tant qu’institutionnaliste, elle a considéré les structures démocratiques et économiques en fonction d’un ensemble de règles. Pour elle, la liberté humaine implique des gens plus conscients des règles qui existent et de leur permettre de comprendre que de nouvelles règles sont possibles. Cela semble une bonne base pour une politique pragmatique de libération. Il est clair aussi que le travail de refonte des règles institutionnelles du néo-libéralime vise à « marketiser » la société de plus en plus. Les alternatives au néolibéralisme, plutôt que d’être purement défensives, peuvent chercher à modifier les règles sociales pour créer une économie démocratique et diversifiée.

Ses recherches ont également porté sur la motivation humaine et la subjectivité. L’idée mise en avant par les économistes selon laquelle nous serions tous des égoïstes rationnels a été contestée par sa recherche minutieuse. Elle a montré que si les gens pouvaient se montrer intéressés et court-termistes, il était possible de promouvoir un comportement humain plus coopératif. Par-dessus tout, elle était très critique vis-à-vis d’une économie qui a simplifié et faussé la vie sociale humaine. Elle et Vincent ont fait valoir que la langue, la culture et l’écologie, devaient être pris en compte lors de l’élaboration d’institutions qui fonctionnent. En effet, il a noté, en rejetant une foi fondamentaliste dans l’économie dominante, que « des doctrines absurdes peuvent répondre aux normes de rigueur logique et à la preuve mathématique, mais donner des conséquences désastreuses quand elles sont utilisées pour agir. Les actions humaines doivent s’inspirer de principes généraux qui peuvent être appliqués à certains moments et lieux selon des exigences qui varient en fonction des circonstances écologiques et culturelles ».

Elinor Ostrom était une écologiste politique très pragmatique qui a fait valoir que nous devrions respecter les sept prochaines générations et défier le consumérisme, en notant : «Nous devons amener les gens loin de l’idée qu’il faut posséder une voiture de luxe et une immense maison… Certaines de nos mentalités à propos de ce que signifie avoir une bonne vie, ne vont pas, je pense, nous aider dans les 50 prochaines années. Nous devons réfléchir à la façon de choisir une vie utile où nous nous aidons les uns les autres d’une manière qui aide vraiment la Terre ». Dans le même temps, elle s’intéressait aux détails qui pourraient faire fonctionner une société plus verte, plutôt que d’émettre simplement des slogans généraux. Les Ostrom et leurs collègues ont montré que les alternatives à une société dominée par quelques individus étaient possibles. Pour ceux d’entre nous qui veulent créer une société démocratique qui va au-delà du profit à court terme, je dirais que leurs idées sont essentielles.

Je me suis profondément nourri de ses idées. Déclarer simplement qu’elle était un défenseur des communs et appliquer bien ou mal ses éléments structurels à des situations différentes est insuffisant, il est utile de lire son travail et de réfléchir. Gouverner les communs est essentiel, bien sûr, mais elle a laissé des centaines de documents, la plupart d’entre eux disponibles gratuitement sur la toile (http://dlc.dlib.indiana.edu/dlc). En tant que penseur sérieux se concentrant sur les questions les plus importantes, son travail est nécessaire si nous voulons développer des systèmes économiques qui respectent l’humanité, soutenir l’écologie et travailler démocratiquement. J’aimerais lui donner le dernier mot. En 1997, elle a résumé son approche qui contraste avec l’avidité affairiste et court-termiste habituelle, et je pense qu’elle est assez claire :

« Notre problème c’est comment élaborer des règles à plusieurs niveaux qui permettent aux humains de s’adapter, d’apprendre et de changer au fil du temps afin que nous maintenions les ressources naturelles de grande valeur dont nous avons hérité pour que nous puissions être en mesure de les transmettre. Je suis profondément reconnaissante aux peuples autochtones des États-Unis qui ont eu l’image des sept générations comme étant le temps opportun pour réfléchir à l’avenir. Je pense que nous devrions tous réintégrer dans notre esprit cette règle des sept générations. Lorsque nous prenons des décisions vraiment importantes, nous devrions nous demander non seulement ce que cela fera pour nous aujourd’hui, mais aussi ce que cela fera pour nos enfants, les enfants de nos enfants, et les enfants de leurs enfants dans l’avenir. »

Article initialement publié en anglais dans STIR magazine n°04, Hiver 2014 par Derek Wall sous licence Creative Commons BY-NC-SA 3.0

Derek Wall est le Coordinateur International du Green Party [Parti Vert] d’Angleterre et du Pays de Galles. Son dernier livre est The Commons in History [Les communs dans l’histoire, NdT] (MIT 2014) et il vient également de publier The Sustainable Economics of Elinor Ostrom: Commons, Contestation and Craft [L’économie durable de Elinor Ostrom : Communs, Contestation et Artisanat, NdT]. Il enseigne l’économie politique au Goldsmiths College, Université de Londres. Ecosocialiste engagé, il écrit aussi pour le Morning Star.

Traduction : Maïa Dereva

 

Wikibuilding : créer des bâtiments adaptés à la ville contributive

Le concept

Le concept générique Wikibuilding a pour objectif de créer des bâtiments adaptés à la ville contributive

C’est un concept ouvert pour faire évoluer l’architecture, l’immobilier et les villes qui s’appuie sur un état d’esprit et des notions liées aux transformations numériques : l’intelligence collective et l’innovation ouverte.

Ouvert sur les individus et les sociétés, le concept Wikibuilding est à la croisée des émergences locales et des visions stratégiques globales. Il est pensé pour fonctionner comme une plateforme d’innovations architecturales et sociales permanentes.

Cette nouvelle façon de faire de l’architecture a pour but de se diffuser rapidement pour accélérer le développement de villes plus contributives et plus résiliantes.

Le concept Wikibuilding trouve ses origines au sein de plusieurs recherches, en particulier « Architecture de la Grande Échelle » lancée par le PUCA en 2006-2008 ainsi que la recherche collaborative « UrbanD » soutenue  par les fonds Feder de la Commission Européenne en 2010 – 2013.

1. Co-construction

Chaque Wikibuilding doit intégrer dans sa méthodologie une collaboration très large et à tous les temps du projet : entre les membres internes de l’équipe de conception (sortir des silos métiers), avec les partenaires du projet (industriels, associations, acteurs innovants), mais aussi avec la société civile (usagers, futurs habitants et occupants). Les décisions sont prises de façon collégiale en favorisant les contributions et les projets ouverts.

2. Communs urbains

Chaque Wikibuilding doit s’efforcer de s’inscrire dans la dynamique des communs. La notion de commun renvoie à des ressources ni privées, ni publiques dont la préservation voire le développement est assuré par une communauté. L’intérêt d’un commun tient dans les capacités d’empowerment qu’il peut apporter à l’environnement dans lequel il s’inscrit. Certains espaces des Wikibuildings, notamment ceux en contact avec les espaces publics, devront donc, dans la mesure du possible, fonctionner comme des communs ouverts à la société civile.

3. Architecture des capabilités

Chaque Wikibuilding doit être symbolique d’une architecture des capabilités, c’est-à-dire en mesure d’accompagner la vie des habitants et des usagers dans le temps. Les espaces doivent ainsi être non seulement modulables, mais l’être rapidement et à moindres coûts : accessibilité des réseaux, flexibilité des surfaces et des fonctions… L’adaptabilité des espaces aux innovations à venir doit aussi être prise en considération.

4. Open source

La dernière exigence est la diffusion des méthodes et des plans des bâtiments en open source. Chaque Wikibuiliding doit s’inscrire dans des logiques apprenantes : les méthodes collaboratives mises en place devront être documentées et partagées pour enrichir et perfectionner les Wikibuildings à venir. De même, au moins une partie des plans devra être en open source pour permettre à d’autres concepteurs de s’en inspirer, de les améliorer, mais aussi faciliter les opérations de maintenance.

Voir le site…

Le texte et la photo sont publiés en licence Creative Commons BY-NC-SA. Vous pouvez donc les partager et les remixer pour des objets non commerciaux et sous réserve de préciser les auteurs originaux : HOST et UFO. Vous devrez alors distribuer vos partages et vos contributions sous la même licence que l’original avec un lien vers la licence CC BY-NC-SA

Ce que change le numérique en communs, réflexions à partir du film Demain

Silvère Mercier, bibliothécaire et membre du collectif SavoirsCom1, livre un double article très fouillé sur les communs à partir de réflexions issue du visionnage du désormais célèbre film « Demain« .

Dans le film Demain, le numérique est quasiment absent des discours, tout se passe comme si les échanges de connaissance sous-jacents à la montée en compétence des communautés locales n’existaient pas. Or ces échanges ne peuvent avoir lieu que parce que la reproduction de l’information numérique à coût marginal nul existe. Sans internet, sans Wikipédia, sans les réseaux d’échanges d’information, les initiatives locales n’auraient aucune chance de faire réseaux. Cette attention au local en vient à s’opposer à une échelle globale trop souvent assimilée aux dérives de la mondialistation. Si je partage l’idée exposée dans le film d’une transformation du monde par la diversité et non par de grands modèles dominants, il me semble assez fâcheux de que la diversité et le local ne soient pas associées au partage des connaissances et à leur circulation… Comment développer l’agriculture urbaine sans en diffuser largement les méthodes? Comment aller au delà d’une académie des maires en Inde qui ne soit qu’un club de gens qui se rencontrent réellement?

Lire l’article 1/2…

Une autre absence me semble significative. A aucun moment du film le mot communs n’est exprimé. Le documentaire s’attarde sur des alternatives qui peuvent pourtant toutes être considérées comme des communs parce qu’elle associent ressources, communauté et gouvernance ouverte. Que ce soit pour se réapproprier la monnaie, repenser l’impact social des services publics ou encore pour co-financer des éoliennes, à chaque fois les communs sont présents et pourtant jamais évoqués.  Quelles questions posent cette absence? Plusieurs hypothèses : le discours des communs est-il inaudible parce que c’est un métadiscours trop abstrait? Le concept est-il tout simplement insuffisant ou trop jeune?

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L’importance de l’empathie et de l’affectif dans nos communautés : Copylove et les communs invisibles

Copylove a débuté en 2011 en tant que réseau informel local pour stocker des recherches à propos de biens communs et de féminisme. Plus tard, il s’est ouvert au public via www.copylove.cc (en espagnol) , sous la responsabilité de Sofía Coca (Zemos98, Séville, Espagne), Txelu Balboa ( COLABORABORA , Pays Basque) et Rubén Martínez ( Fundación de los Comunes , Barcelone). Le site public copylove.cc explore les liens et relations au sein d’une communauté d’agents qui génèrent des communs pour la communauté. Copylove explore plus profondément tous les paramètres qui nous permettent de reproduire les conditions d’une existence désirable : affection, interdépendance, entraide, attirance pour la communauté, empathie, etc. Parler de Copylove, c’est évoquer tout ce que nous faisons et reproduisons pour nous rapprocher du « bien vivre », d’une existence durable, au-delà d’une simple évaluation économique.

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Carte des conditions de coexistence produite collectivement lors des premières « résidences » Copylove (Traduction Rubén Díaz).

L’histoire-derrière : Communs, Amour et Recombinaisons

En janvier 2012, Copylove a lancé le festival de Zemos98 sur la base d’une hypothèse apparemment simple : étudier de quelle façon l’affection et l’empathie (care) permettent de cultiver des relations au sein d’une communauté produisant des biens communs. Prenant ce point de départ, le groupe a organisé des résidences en Février, puis en Mars et Avril 2012 pour que des personnes provenant de plusieurs groupes ayant une expérience communautaire puissent échanger différentes approches sur l’affection, les communs et la communauté.

Nous croyons aux Communs. Comme l’a dit Elionor Ostrom, les Communs sont parfois hors du marché ou des services publics. Les Communs portent sur les contenus que nous partageons tout le temps dans nos réseaux numériques, mais ils n’ont rien de nouveau. Quand on parle de biens communs, nous parlons en fait de concepts déjà anciens. La recette d’un gazpacho typique d’Andalousie est par exemple une recette appartenant aux Communs. Elle n’est pas du domaine privé. Mais pas exactement publique non plus, au sens d’un bien régi par des règles officielles et des institutions. Cette recette construit un code commun. Un langage commun. Vous pouvez choisir une seule recette et créer votre propre version. Mais, si vous partagez votre propre version, tout le monde peut faire la même chose et recomposer votre version parce que la culture est un palimpseste infini. Par conséquent, nous devons bien sûr élargir l’utilité des Communs. Nous devons propager les communs pour nous aider à construire nos communautés.

D’autre part, lorsque nous parlons du marché et le gouvernement, nous nous référons à des qualificatifs comme «intérieur» ou «extérieur» aux communautés, et nous nous référons au système économique officiel. Divisons-le en deux registres: celui de production et celui de la reproduction. Certaines études féministes estiment que nous répondons toujours aux questions sur un registre officiel et productif. Lorsque vous demandez à quelqu’un, «Que faites-vous?», Les gens répondent dans le registre professionnel. Ils ne disent pas: «Je suis une mère» ou «Je fais cuire habituellement du riz avec des légumes». Pourtant, quelle importance a ce genre de tâches au sein de nos communautés? Pourquoi ne pouvons-nous pas en parler? Nous estimons que ces aspects renvoient à cette sphère reproductive. Et vous pouvez imaginer à quel point elle est importante pour notre culture.

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« Nos mères nous ont appris que la vie est un champ de bataille. Le champ de bataille pour rendre possible ce que nous estimons être la Vie « . L’affiche du 14 Zemos98 Festival, dédiée à nos mères.

Communs, amour et recombinaison ont été les trois concepts initiaux, liés les uns aux autres, ils ont ouvert le champ pour commencer à construire collectivement le sens du « copylove ». Nous avons vu plus tôt qu’ils étaient entrelacés se nourrissant les uns des autres : l’affection nourrit les communs et vice versa. Nous devons placer l’affection au centre, comprendre que les communs présupposent l’existence d’une communauté, découvrir que les communautés ont des liens et des valeurs constitutives; mais aussi qu’elles requièrent pour être durables une dimension d’empathie et de soin, une appréciation subjective de chacun élaborée à partir de ses affections.

Les Communs invisibles

Nul doute que l’objectif de la première édition de Copylove était de rendre visible toutes ces manières de faire, et de créer une communauté dont les citoyens seraient au cœur. Pour devenir plus précis à ce sujet, nous avons voulu nous remémorer ces usages quotidiens si ancrés dans notre vie de tous les jours qu’ils passent inaperçus, tant ils sont essentiels pour maintenir notre cohésion vitale. Les communs invisibles sont ces ressources non-monétaires, ces façons de faire auxquelles nous sommes assimilés (en positif comme en négatif), ces processus que nous avons appris ou acquis dans notre vie ensemble et qui rendent la communauté durable. Ces communs sont invisibles quand nous les supposons «naturels», mais la plupart du temps et en particulier pour les communs liés au travail des femmes, le régime développementaliste dans lequel nous vivons les a rendu invisibles. La spécialité de notre modèle environnant est précisément d’ignorer ce qui rend notre vie vivable.

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«Les citoyens-Godzilla », affiche du Festival 15 Zemos98.

Sur la base de ces conclusions, nous avons atteint un tournant dans notre recherche. Nous avons dû structurer ce que nous avions appris et poser de nouvelles questions. Poursuivant notre piste, l’idée de «biens communs invisibles» se révèle une bonne description de ce que nous avions appris jusque-là, et elle nous a permis de continuer à découvrir toutes ces pratiques qui dépassent le registre purement productif évoqué plus haut. Pour mieux comprendre toutes les ressources et les processus communautaires que nous activons simultanément et qui nous sont chers, nous avons commencé à recueillir auprès de groupes et d’associations de Bilbao à Barcelone les questions pour la future résidence de Copylove.

Nous étions toujours à la recherche de ces communs invisibles à parcourant les trois axes du début qui devaient nous aider à aller vers l’étape suivante. Trois grands concepts seraient utiles et fourniraient de nouvelles questions sur « copylove » : la communauté, la mémoire et la vie expliqués par les participants dans cette vidéo (sous – titres anglais) :

Se sont ensuite succédés un autre festival Copylove en avril 2013 et une campagne de crowdfunding (regroupant 7.865 €) pour rassembler tous les essentiels appris dont nous avions intégré la plupart dans nos pratiques quotidiennes et dans notre mode de vie personnelle et professionnelle.

Pour conclure, sans empathie et sans soin, la vie est impossible. La vie ne peut pas être «productive» que dans une économie centrée sur cette attention. Si nous avons été « productifs » dans cette fiction appelée Capitalisme, c’est grâce à notre souci pour les autres, à ce que certains qualifient d’«improductif» : le travail domestique, la reproduction des tâches invisibles. Sans empathie, la vie professionnelle ne pourrait pas exister dans une économie de marché. Ce travail invisible a été fait par les femmes (et ici «femmes» peut également être compris comme des minorités). Ni l’Etat ni le marché n’ont réussi à couvrir ce besoin fondamental : le droit à recevoir de l’attention et du soin.

La démocratie aux champs

Du jardin d’Éden aux jardins partagés, comment l’agriculture cultive les valeurs démocratiques

Joëlle ZASK

Edition La découverte (mars 2016)

la-democratie-aux-champsOn a l’habitude de penser que la démocratie moderne vient des Lumières, de l’usine, du commerce, de la ville. Opposé au citadin et même au citoyen, le paysan serait au mieux primitif et proche de la nature, au pire arriéré et réactionnaire.
À l’opposé de cette vision, ce livre examine ce qui, dans les relations entre les cultivateurs et la terre cultivée, favorise l’essor des valeurs démocratiques et la formation de la citoyenneté. Défi le alors sous nos yeux un cortège étonnant d’expériences agricoles, les unes antiques, les autres actuelles ; du jardin d’Éden qu’Adam doit « cultiver » et aussi « garder » à la « petite république » que fut la ferme pour Jefferson ; des chambrées et foyers médiévaux au lopin de terre russe ; du jardin ouvrier au jardin thérapeutique ; des « guérillas vertes » aux jardins partagés australiens.
Cultiver la terre n’est pas un travail comme un autre. Ce n’est pas suer, souffrir ni arracher, arraisonner. C’est dialoguer, être attentif, prendre une initiative et écouter la réponse, anticiper, sachant qu’on ne peut calculer à coup sûr, et aussi participer, apprendre des autres, coopérer, partager. L’agriculture peut donc, sous certaines conditions, représenter une puissance de changement considérable et un véritable espoir pour l’écologie démocratique.

Lire un extrait en ligne (15 premières pages)…

Valérie Peugeot, l’avenir en communs

Communs, biens communs, domaine commun public, domaine commun informationnel, communs de la connaissance, etc. : ces mots et expressions dessinent l’ébauche d’un modèle de société alternatif au tout Etat et au tout marché. Un modèle en devenir, qui vit aujourd’hui dans le numérique via des sites collaboratifs comme OpenStreetMap, le logiciel libre et bien des communautés du Net. Un modèle venant de loin, au moins des communs historiques du Moyen Âge, et qui pourrait dans les années futures aller plus loin encore, au-delà du monde digital. Un modèle dont nous parle Valérie Peugeot.

Bien plus qu’une idée : une vie en communs

Communs ? Le mot sonne comme une abstraction. Une réponse un peu floue à la recherche éperdue d’une voie rejetant, et la litanie modernisatrice de l’ultra libéralisme, et l’illusion d’un remix de l’hymne des nationalisations. D’un chemin s’opposant, et à la marchandisation de tout et son contraire, et à la mise sous tutelle administrative de notre quotidien. Au mieux, sur un versant plus positif du terme, le quidam pense à l’idée de «mise en commun», donc à cette notion de «partage» qu’ont galvaudées les plateformes de l’économie dite collaborative. Mais peu d’images concrètes lui viennent en tête.

Il suffit pourtant de visiter a posteriori le site du festival Le Temps des communs d’octobre dernier dans sept pays francophones, dont des dizaines de villes françaises, pour constater à quel point les communs vivent désormais de mille feux, digitaux ou non, partout dans le monde, et en particulier dans ce qu’on appelle en France les «territoires».

Lire l’entretien sur le site Culturemobile.net – Lire l’entretien en PDF – Ecouter l’entretien en MP3

Un article d’Ariel Kyrou (@ArielKyrou)

En communs : Une introduction aux communs de la connaissance

Hervé Le Crosnier

C&F Editions (4 novembre 2015)

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Présentation de l’éditeur

Les connaissances sont des ressources sensibles : leur partage permet de réaliser la paix et les autres droits fondamentaux. Au contraire, leur transformation en biens économiques privés dans une « économie de la connaissance » est source d’exclusion, de restriction des savoirs et de limitation de leur circulation. Une longue tradition d’étude des communs matériels existe souligne le rôle des communautés pour la gestion de ressources finies impliquant un usage dit rival. Le numérique introduit quant à lui une opportunité nouvelle par son caractère additif et multipliable. Sensibiliser et assurer la gestion et le partage des connaissances, alerter des risques et méthodes d’enclosure, définir le faisceau de droits adapté, ouvrent de nouvelles perspectives portées par de nombreux mouvements issus des transformations numériques de la société (logiciels libres, creative commons, accès libre aux publications scientifiques, etc.). Dans ce recueil de ses articles publiés au cours de ces dernières années, Hervé Le Crosnier trace les contours d’une approche ouverte et coopérative des savoirs.

Biographie de l’auteur

Hervé Le Crosnier est enseignant chercheur à l’Université de Caen-Normandie. Ses enseignements portent sur les technologies de l’internet et la culture numérique. Ses cours de culture numérique délivrés en amphi sont filmés par le Centre d’Enseignement Multimédia de l’Université de Caen et rendus disponibles comme ressources éducatives libres. Ses recherches en informatique portent sur la notion de documents composites et multilingues. Son travail en sciences de l’information et de la communication s’articule autour de la question des communs de la connaissance.

La mise en commun des connaissances peut tout révolutionner

A l’occasion de la 4ème édition du Positive Economy Forum, Challenges, partenaire média de l’événement vous invite à découvrir celles et ceux qui portent des projets innovants au service d’une économie et d’une société plus positives.  Jacques Attali, Président du Positive Economy Forum, résume ainsi l’objectif de ce Forum: « les grondements croissants du monde, les enjeux du climat, de la violence, du chômage, de l’exclusion, du fanatisme, du désespoir des jeunes, montrent plus que jamais l’urgence d’agir dans l’intérêt des générations suivantes, qui est aussi le nôtre. Pour que notre monde devienne harmonieux. Venez rejoindre au Havre tous ceux, plus nombreux que jamais, qui, à l’invitation de la Fondation Positive Planet, veulent réfléchir et agir ensemble pour imposer ce changement profond, dont dépend la survie de notre civilisation, et de notre liberté ». La ville de demain, l’école en changement,la santé à l’ère du numérique, le changement climatique, la mobilité qui change nos sociétés: durant 4 jours, les débats porteront sur tous les grands enjeux de l’économie. Challenges publie à cette occasion les points de vue des grands experts de ces rencontres qui se déroulent au Havre.

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