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Nouveau Monde : un road-movie écologiste

Pendant 4 ans le réalisateur Yann Richet a parcouru la France à la recherche des personnes et des initiatives locales qui portent l’espoir d’une société plus solidaire.

De l’intelligence collective à l’économie circulaire, des monnaies locales à l’idée d’un revenu de base, ce film nous guide à la découverte de ce Nouveau Monde.

C’est un film sur des alternatives prometteuses, une pensée positive et créative pour une société rééquilibrant l’humain, la nature et l’économie.

La fin du monde annoncée ne serait-elle pas en réalité la fin d’un monde ? Cette enquête explore de l’intérieur la mutation en cours au travers d’initiatives menées en France : de l’émergence de collectifs citoyens informels agissant au niveau local à celle de projets institutionnels à l’échelle de villes ou de régions.

Le film sera projeté en avant première le 19 juin au Publicis Cinémas Champs Élysées et qu’ensuite il sera distribué par Ju Piter Films. Si vous souhaitez savoir ou le film pourra être vu, ou organiser vous même une projection, rendez vous sur : http://www.jupiter-films.com/film-nouveau-monde,61.php

Voir le site du film

 

Osons la fraternité

Manifeste pour un monde ouvert

Yves Michel Editions (7 juin 2016)

osons-la-fraterniteLes attentats de janvier et de novembre 2015 ont fait éclore dans la société civile des initiatives multiples pour vivre concrètement la fraternité et la paix, pour trouver apaisement et consolation à la douleur, pour appeler à l’engagement. Pendant ce temps-là, les libertés individuelles ont continué d’être aveuglément mises en péril par diverses formes de radicalisme  : d’État, de partis politiques, de groupes terroristes.

Face à cette menace persistante pesant sur sur les libertés individuelles, les auteurs lancent un appel à leurs concitoyens pour protéger et faire vivre les valeurs républicaines, et les valeurs pour lesquelles les générations précédentes se sont battues, particulièrement les droits de l’Homme. Ils témoignent individuellement qu’il est possible de se mobiliser ici et maintenant pour la paix, la fraternité, la liberté, la laïcité, le respect des différences, mais aussi l’égalité des droits et des chances pour avoir un avenir et une dignité. Ils souhaitent propager l’espoir et témoigner de la capacité de chacun à incarner un nouveau monde.

Enfants, jeunes, adultes, citoyens, nationaux, binationaux, collectifs, associations trouveront là des témoignages et des idées pour nourrir leur recherche de sens et cultiver leur jardin de paix, de liberté et de fraternité.

Les auteurs :

Edgar MORIN, Patrick VIVERET, Éric JULIEN, Virginie RAISSON, alain michel, Yves MICHEL, Christine MARSAN

et aussi

Boris AUBLIGINE, Martine AUGOYAT, Michel BAUWENS, Christine BEHAIN, Frédéric BOSQUE, Ariane BOULANGER, Thierry BRUGVIN, Ben CRAMER, Emmanuel DELANNOY, Isabelle DELANNOY, Philippe DERUDDER, Anne GHESQUIERE, Jean GIRODON, Hervé GOUIL, Anaïs GOURNAY, Michel HUTT, Françoise KELLER, Marc LUYCKX-GHISI, Nicole MARSAN, Jocelyne MILORADOVIC, Jean-Claude PAYE, Esther Eva PODOLAK, Michel PODOLAK, Arnaud POISSONNIER, Frédérique RENAULT-BOULANGER, Boris SIRBEY, Eva WISSENZ.

Précommander le livre…

« General Political License » : une proposition de pacte démocratique

Lors de la dernière assemblée des communs de Lille, un groupe de députés venus spécialement de Paris a été accueilli. Une balade matinale leur a permis de découvrir de nombreux communs du territoire puis ils ont assisté en tant que « simples citoyens » à l’assemblée mensuelle.

Certains d’entre eux ont ainsi travaillé avec des membres de l’assemblée autour de l’idée d’une General Political License, sorte de GPL adaptée à l’usage politique des communs. Cette licence pourrait permettre aux politiques d’avoir l’appui des communs et des commoners, cet appui étant soumis à des conditions de réciprocité claires, à l’image de la licence à réciprocité ou à limitation commerciale.

Les enjeux d’un tel « pacte démocratique » décliné sous forme de licence seraient :

  • le soutien des collectifs citoyens (comme les assemblées des communs) et la prise en compte de leur avis quand ces derniers arrivent à faire des choix et à trouver des solutions à des sujets politiques ;
  • la débureaucratisation des processus, pour une collaboration plus directe entre les parties prenantes sur un territoire ;
  • le passage à la participation et la collaboration : dans les processus de participation, l’idée soumise aux citoyens provient des élus, alors que la collaboration suppose de donner aux citoyens une place à part entière dans la conception et le portage des projets ;
  • l’inclusion de l’« amateur » (par opposition aux professionnels tels que les ingénieurs territoriaux ou autre) dans la prise de décision. Il s’agirait de donner une place à la voix des citoyens et de co-construire la ville et le territoire autour de la notion de biens communs.

L’exemple de l’Italie

Un règlement de collaboration entre citoyens et collectivités locales a été signé par une quarantaine de villes italiennes pour régénérer et faire vivre les biens communs. La première charte, celle de Bologne, est disponible en anglais : http://www.comune.bologna.it/media/files/bolognaregulation.pdf

Quel processus de travail pour rédiger cette licence ?

L’organisation de temps d’échanges entre les assemblées et les élus permettrait de dialoguer et de co-construire cette licence en tenant compte des besoins des commoners et des besoins des institutions.

Lors de ce premier atelier, les besoins suivants ont par exemple été identifiés :

  • Besoins des institutions
    • Formation des élus et des fonctionnaires
    • Mise en place d’un cadre procédural et juridique
  • Besoins des commoners
    • Rémunération des commoners / des communs
    • Droits sociaux
    • Stabilisation juridique
  • Besoins conjoints
    • Identifier la valeur créée par l’institution
    • Identifier la valeur créée par le commoner

Un des enjeux majeur identifié au cours de ce travail collaboratif serait donc la formation des élus à la logique des communs pour qu’ils puissent s’en approprier la culture. Il a également été évoqué que c’est aussi par l’expérience que la culture viendra, un peu à l’image de l’usage d’une application sous licence libre à laquelle on finit par contribuer et s’en approprier la culture.

Les institutions pourraient s’engager à faire appel à des communautés existantes et à garantir la traçabilité de leurs choix.
La licence serait initiée avec quelques premières propositions à faire signer aux élus souhaitant œuvrer dans ce sens. Elle serait accompagnée de nombreux outils de suivi et de transparence afin d’éviter tout non respect du pacte signé. Les différents engagements seraient affinés de manière permanente. Le texte de la licence serait appropriable et améliorable pour le rendre directement opérationnel.

Ce que ce premier atelier très fructueux n’a pas encore permis d’établir avec clarté ce sont les « conditions de réciprocité » que pourraient obtenir les élus, de la part des commoners, à s’engager dans une telle transition, au-delà d’une visée électoraliste de court terme. Car s’engager sur la voie des communs impliquerait sans doute de repenser complètement la place et le rôle des élus à qui l’on demande donc un double mouvement d’engagement à soutenir les communs et de désengagement de certains aspects de la vie de la cité au profit des commoners…

Photo : tablette sumérienne – Marie-Lan Nguyen – Wikimedia Commons –  Creative Commons Attribution 2.5 Generic

Et si un autre monde était possible et même nécessaire ?

Le ciel nous tombera-t-il finalement sur la tête, comme l’annonce Paul Jorion dans « Le dernier qui s’en va éteint la lumière » ? « On peut prévoir l’effondrement, mais on ne peut en prédire le moment » déclare-t-il sans ciller, lors d’une rencontre organisée, samedi dernier, à l’initiative du philosophe Bernard Stiegler et d’Ars Industrialis en présence également de Frédéric Lordon. La muse de Nuit Debout, qui se méfie tant de ces intellectuels qui voient des événements historiques partout, se laisse lui aussi gagner par un sentiment de bascule : « J’ai l’impression qu’il se passe quelque chose qui brise l’ordinaire des choses ».

Michel Bauwens, le théoricien du pair-à-pair, reclus en ce moment dans le Wisconsin pour mettre à jour son manifeste « P2P and Human Evolution » a eu l’intuition de ce bouleversement il y a déjà dix ans. Il a alors étudié l’histoire des changements de civilisation : la chute de l’empire Romain, le passage de la féodalité au capitalisme, etc.

Lire la suite sur le Digital Society Forum (Orange.com)
Un article de Chrystèle Bazin

Photo : Mad Max Fury Road (2015) de George Miller.

Vous êtes déjà en train d’ensemencer la transformation

[NDLR : les liens de cet article pointent vers des articles anglophones externes au blog]

Nous pouvons tous le ressentir – la maladie mentale du capitalisme à un stade avancé est à l’origine d’une dépression généralisée, d’une épidémie de suicides, de sentiments chroniques de culpabilité et de honte, et d’un sentiment général d’impuissance.

Le manque d’opportunités économiques est palpable. Les principaux medias sont détenus et contrôlés par de puissants intérêts financiers. Les élections dans de nombreuses régions du monde ont été cooptées à un point tel qu’elles n’offrent qu’une simple façade de la démocratie. Et la nature systémique de la corruption politique est devenue indéniable pour la majorité d’entre nous, à l’image de ce j’ai écrit à ce sujet ici et ici et que d’autres ont écrit assez là-dessus pour remplir toute une bibliothèque.

Le monde change rapidement et les gens partout dans le monde ressentent un grand besoin de visualiser la façon dont cela se passe. Si nous pouvons voir notre place dans le processus, nous pouvons consciemment et intentionnellement aider à y arriver plus rapidement. Je voudrais proposer une image mentale pour nous aider à faire cela :

Imaginez la surface d’un lac de montagne en hiver. La température de l’air est tombée en dessous de zéro et l’eau n’a pas encore gelé. Des milliers de «petites îles» de glace se forment comme des petits points de germination – chacun flottant séparément et indépendamment des autres.

Autour de ces îles minuscules se trouve le mélange turbulent de l’eau et de l’air, certaines molécules étant au-dessus de la température de congélation et d’autres un peu en dessous. C’est cette turbulence qui maintient l’état liquide de l’eau, même si l’air est assez froid pour geler la surface. Puis une accélération se produit… un certain nombre de poches de glace s’entrechoquent et commencent à flotter en harmonie les unes avec les autres.

Et en un éclair, les milliers d’îles minuscules se cristallisent ensemble tandis que le crépitement de la glace se propage à travers l’ensemble du lac.

glace

On appelle cela une transition de phase. C’est ainsi que le liquide et le gaz effectuent une belle danse et transforment l’eau de son état fluide à sa phase cristalline. Cela se produit avec énergie comme un modèle de mélange qui se distribue sur l’ensemble du lac. Cela arrive partout à la fois, s’auto-organise dans de nombreux endroits, et cela produit une synchronicité comparable à un modèle émergent au niveau mondial.

Maintenant, imaginez qu’au lieu d’un lac nous voyons le processus physique de changement social dans la culture d’un système économique ou politique. Au lieu de molécules d’eau, imaginez des histoires, des normes sociales et des pratiques standards – comment les gens pensent, donnent du sens, et font les choses.

Dans de minuscules poches de l’humanité, il y a des individus qui vaquent à leur vie. Au début du processus, il n’y a que quelques personnes isolées dont la vie est brisée et qui ne peuvent pas comprendre le monde autour d’eux en écoutant simplement le bon sens des autres.

Travaillez dur et vous aurez un emploi. Continuez à payer vos factures et vous sortirez de la dette. Étudiez dur et vous obtiendrez une bonne école. Obtenez un diplôme et commencez votre carrière. Achetez une maison et installez-vous pour élever une famille.

C’était le mythe de la vie standard dans notre société capitaliste au cours des trois dernières générations. Il a fonctionné pour beaucoup de gens il y a cinquante ans (même si, à l’époque, le succès était restreint la plupart du temps à des occidentaux blancs, mâles, à la démographie privilégiée) et a semblé «faire sens» pendant un certain temps. Mais maintenant cette histoire est complètement dépassée – elle ne correspond pas à notre vie quotidienne et elle est inutile pour guider la façon dont nous envisageons le monde d’aujourd’hui et agissons dans ce monde.

Comme nous sommes de plus en plus nombreux à ressentir le décalage entre la façon dont le monde est «censé être» et la façon dont il est en réalité, nous devenons un point de germination pour de nouvelles histoires. Nous devenons des îles minuscules de possibilités pour le nouveau paradigme.

Et comme nous faisons l’expérience de la turbulence et du chaos de l’incertitude dans ces conditions, nous pouvons facilement nous sentir dépassés. Le pire c’est que l’élite contrôle les médias et les utilise pour nous dire que le monde est composé d’individus, que si vous échouez c’est uniquement de votre faute, et que si vous avez des dettes (quelles que soient les situations aux éthiques discutables qui vous ont menés là) vous êtes moralement responsable de les payer. De cette façon, nous devenons esclaves des systèmes monétaires du capitalisme.

Le manque d’harmonie que nous ressentons à l’intérieur est ce qui arrive quand un système social est en panne. L’inégalité massive nous oppose les uns aux autres dans un jeu impossible à gagner où ceux qui truquent le système (mise en place de paradis fiscaux, achat des résultats politiques, suppression des taxes pour les super-riches, éviscération des programmes sociaux, etc…) sont les seuls gagnants.

Pendant ce temps, les guerres se poursuivent sans relâche, transférant les richesses des populations aux entrepreneurs de la défense, et la générosité de la nature des populations locales aux investisseurs / propriétaires de sociétés multinationales. On nous dit de ne nous en prendre qu’à nous-mêmes. Et les médias utilisent l’art de la redirection et de la distraction pour empêcher que l’on voit les Occupy Wall Streets, les printemps arabes,  les partis politiques anti-austérité, et toutes les autres émergences – les points ne sont pas connectés et nous continuons donc à nous sentir seuls.

Et pourtant, tout comme les petites îles de cristaux de glace sur ce lac en surfusion, nous sommes devenus légion. Il y a maintenant au moins 200.000.000 d’entre nous qui sommes éveillés aux valeurs sociales et aux principes d’organisation d’un nouveau monde. Nous ne continuons à perdre que parce que les «pouvoir» qui partagent l’idéologie de l’esclavage, de la dette et de la thésaurisation de la richesse nous tiennent enfermés dans leurs histoires.

Ils sont bien organisés et coordonnés dans leurs actions. Nous restons décentralisés et ignorons que nous les surpassons de plusieurs ordres de grandeur. La tâche qui nous est dévolue maintenant est de trouver une résonance dans notre expérience vécue et de tisser la tapisserie des sentiments, des pensées et des croyances dans des actions coordonnées. Je parle ici de la guérison, pas de la guerre. Nous allons gagner en touchant le plus profond de nous-mêmes et par la connexion avec notre humanité commune.

Un bref aperçu de l’histoire humaine nous fait paraître comme une espèce belliqueuse- mais c’est seulement l’histoire de la conquête de l’époque impériale des civilisations des 6000 dernières années. Revenez plus loin en arrière et vous verrez que nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ont vécu dans des bandes égalitaires durant cent mille ans ou plus. Notez les études récentes à propos de l’empathie dans les neurosciences, la psychologie et la sociologie et vous verrez que nous sommes câblés pour la coopération et capable d’inspirer beaucoup de compassion à nos frères humains et au reste du monde naturel.

Donc, je vous propose cette image mentale. Soyez une île de cristal d’espoir. Structurez votre histoire qui parle de la vérité de votre expérience vécue. Grâce à ce processus de guérison, vous atteindrez et engagerez vos collègues hommes et femmes dans la lutte. Trouvez votre voix. Exprimez votre vérité. Et vous ferez partie des vagues de transformation qui vont suivre.

En avant, frères humains !

Article original de Joe Brewer traduit par Maïa Dereva

Photo by AlicePopkorn2

Les robots et le chômage selon Jean Zin

Non, les robots ne sont pas la cause du chômage !

Une étrange rumeur se répand : nous serions menacés du grand remplacement par les robots qui nous voleraient nos emplois, alors même que nous connaissons actuellement un chômage de masse sans que les robots n’y soient pour rien, ou si peu ! Décidément, cette peur du remplacement prend toutes les formes. On a peur d’être remplacés par d’autres cultures, d’autres religions, comme on a peur d’être remplacés par des robots ou des transhumains. Cette peur d’un monde dont nous serions expulsés est on ne peut plus originaire, témoignant de la fragilité de notre ex-sistence et du caractère éphémère de la vie – car nous serons remplacés, cela ne fait pas de doute, pas plus que notre condition de mortels dont nous ne serons pas délivrés de sitôt !

L’idée que les progrès techniques feraient disparaître le travail est un classique qu’on retrouve à chaque grande crise où l’effondrement économique détruit les emplois en masse et crée soudain une « surpopulation » d’inemployables. Ce n’est pas du tout la première fois mais, à ne pas vouloir croire aux cycles économiques, on s’imagine à chaque fois que ce serait définitif cette fois, comme Dubouin dans les années 1930 qui parlait alors de « la grande relève par la machine » s’appuyant sur une déjà prétendue fin du travail pour justifier un revenu d’existence (qui se justifie tout autrement, par la non-linéarité du travail immatériel et non sa fin). Ce n’était pourtant un mystère pour personne que les causes de la crise de 1929 étaient bien financières !

Il faudrait quand même prendre conscience de toute la distance entre ces prophéties réitérées et les faits qui ont suivi. On peut rapprocher ces fausses évidences de ceux, pour qui ce sont les immigrés qui nous volent nos emplois mais, au fond, vouloir faire de la réduction du temps de travail un remède à la raréfaction des emplois procède de la même erreur d’analyse sur le fonctionnement économique et la nature du travail dans une société développée, qui n’a plus rien de la couverture de besoins basiques ni d’un ensemble de tâches fixes à partager mais évolue avec la technique et dépend largement de facteurs monétaires.

Ce texte est un extrait de l’article de Jean Zin
publié sur le blog jeanzin.fr le 18/02/2015
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Quel chômage technologique ?

Il est indéniable qu’il serait nécessaire de se préparer aux évolutions futures et pouvoir planifier la transition au lieu de laisser faire et d’en subir violemment la sauvagerie. Seulement, pour cela, il faudrait s’entendre sur notre futur, ce qui est loin d’être le cas. Le problème cognitif est primordial car il conditionne nos capacités de réactions. Il ne suffit pas de courir sur tous les plateaux pour inciter à l’action si on ne porte pas le bon diagnostic, notamment sur ce sujet central, qui agite la société, des transformations du travail.

Comme à chaque grande crise on nous prédit la fin du travail (Keynes, Duboin après 1929), vieille rengaine qui croyait pouvoir s’appuyer sur une étude de chercheurs d’Oxford (Carl Frey et Michael Osborne) concluant que 47% des emplois étaient « à risque » aux Etats-Unis au cours des dix à vingt prochaines années. C’est ce que l’OCDE (pdf) tente de réfuter en montrant que ce n’est pas si simple et ramenant ce taux à 9%, soit quand même 2 millions de chômeurs ! Il n’y a aucune garantie que ce soit l’OCDE qui ait raison, le nombre de créations d’emplois par poste de haute technologie est surévalué (et ce sont souvent des petits boulots) mais ses arguments méritent d’être discutés. Des innovations comme les camions autonomes peuvent affecter gravement toute une profession plus qu’ils ne pensent. Il devrait y avoir un impact social fort qu’il ne faut pas minimiser, pas plus que la tendance à sortir du salariat, mais ce n’est pas la même chose qu’une « fin du travail ». Il est crucial en tout cas de faire les bonnes évaluations.

J’ai déjà rappelé que dans la crise actuelle, « Non, les robots ne sont pas la cause du chômage » et que, de toutes façons, ce n’est pas le travail qui manque, c’est l’argent pour le payer, mais les transformations du travail posent de grands problèmes, exigeant notamment une refondation des protections sociales. Il est intéressant de voir que la nécessité d’un revenu de base est de plus en plus reprise comme moyen de compenser la baisse des revenus (et déjà presque mis en place avec la prime d’activité). Par contre je suis un peu étonné que la réduction du temps de travail soit évoquée, qui me semble ne pouvoir être appliquée qu’à un petit nombre d’emplois salariés. Ce qui est encore plus étonnant, c’est qu’ils supposent qu’une réduction du temps de travail compense les suppressions de poste, ce qui est l’argument de ceux qui voudraient lutter contre le chômage par la RTT et qui s’est avéré faux (sauf éventuellement au niveau d’une entreprise voire d’une branche). Je ne peux qu’encourager la réduction du temps de travail partout où c’est possible, jusqu’au mi-temps lorsqu’il n’y a pas de contrainte de continuité de service (ce qui est rare), mais il y a déjà trop de contrats ultra-courts et je ne comprends pas qu’on puisse croire encore que cela pourrait être efficace globalement, sauf un peu sur le court-terme et sans commune mesure avec les millions de chômeurs (de toutes façons malgré les 35h, les salariés travaillent toujours 39h, quand ils ne continuent pas à la maison avec leur portable). Il est encore plus incompréhensible qu’on s’imagine qu’il y aurait une chance que cela se fasse (en dehors d’un certain nombre d’usines ou de services) ! On est là dans le pur théorique si ce n’est dans la simple posture.

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Ce texte est un extrait de l’article de Jean Zin
publié sur le blog jeanzin.fr le 21/05/2016
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La P2P Foundation a gagné le Nica d’Or du Prix Ars Electronica

Félicitations à mes collègues de la Peer to Peer Foundation, et surtout à son fondateur Michel Bauwens, pour avoir gagné le Nica d’or 2016 pour les communautés numériques du Prix Ars Electronica ! C’est un grand honneur et il est mérité. Cette année, il y avait un total de 3159 candidatures venues de 84 pays pour ce vénérable prix.

Dans la citation du prix, le jury a écrit :

La P2P Foundation est une nouvelle génération de communautés qui aident à bâtir des collectivités. Elle est dédiée à la recherche et au plaidoyer pour les dynamiques peer to peer dans la société. Elle existe depuis dix ans, et est devenue l’un des principaux moteurs de la «transition des communs».

En tant qu’organisation décentralisée et auto-organisée sans but lucratif, la P2P Foundation analyse, documente et favorise des stratégies de peer-to-peer qui semblent être bien adaptée pour faire face aux défis et aux problèmes de notre temps d’une manière qui offre une grande promesse d’avenir. L’accent est mis sur trois traits principaux : la durabilité, l’ouverture et la solidarité. Depuis sa création, la communauté de la P2P Foundation a saisi plus de 30.000 entrées qui documentent l’histoire et le développement du mouvement peer-to-peer. Le Wiki de la P2P Foundation a été consulté plus de 27 millions de fois, et est donc la plateforme qui rassemble la collection de connaissances sur le P2P la plus massive au monde.

Un grand coup de chapeau à l’équipe de base de la P2P Foundation, composée de James Burke, Bill Niaros, Vasilis Kostakis, Ann Marie Utratel et Stacco Troncoso, et bien sûr, Michel – mon cher ami et collègue du groupe « Commons Strategies ». Michel, c’est tellement encourageant de voir tes années de travail, de ténacité et de leadership dans la construction de cette communauté mondiale recevoir cette reconnaissance.

Qu’est-ce exactement que la P2P Foundation ? peuvent se demander les non-initiés. Je considère que c’est une ressource inestimable d’informations archivées sur l’histoire de la production par les pairs et sur les sujets connexes. C’est aussi un forum solide dédié au débat sur les questions frontalières affectant les espaces numériques, et une ligne de front news/blogging qui partage rapidement les nouveaux événements et connaissances. C’est un instigateur incessant de nouvelles collaborations, conversations et actions visant à terme à un changement de système.

Le site a rendu visible et contribué à expliquer le travail de nombreuses communautés et mouvements engagés dans la co-création de la culture et de la connaissance. Celles-ci comprennent le monde du libre et des logiciels open-source, la culture libre, la conception ouverte et le matériel ouvert, l’économie de partage, et les coworkers des hackers/makerspaces et des Fab Labs. Ce que ces mouvements partagent c’est un désir de développer de nouvelles formes de participation démocratique et économique et de bâtir un avenir plus écologique, conscient, égalitaire.

Voici comment la P2P Foundation se présente elle-même :

La P2P Foundation a été conçue il y a dix ans pour accompagner les personnes, les organisations et les gouvernements dans leur transition vers des approches de la société fondées sur les communs par le biais de la co-création d’un patrimoine commun de connaissances ouvertes et la création d’un réseau humain, durable, résilient. Entre les paradigmes du réseau et de l’organisation, la P2P Foundation existe comme un «réseau organisé» qui peut faciliter la création de réseaux, mais sans les diriger. La P2P Foundation se compose d’une fondation enregistrée aux Pays-Bas avec trois pôles opérationnels dédiés à l’organisation, la sensibilisation, la recherche et la création d’un savoir commun; un réseau de militants et de chercheurs travaillant à différents niveaux d’engagement, une petite équipe de base de la stratégie et de la durabilité, et d’innombrables membres coopérant et contribuant à nos biens communs de l’information. Le travail de la P2P Foundation a commencé et, dans une large mesure, est toujours dirigée par le fondateur Michel Bauwens par de la sensibilisation, des conférences, l’écriture, l’édition et la documentation en ligne. La P2P Foundation est l’organisation parapluie sous lequel Commons Transition et le P2P Lab opèrent de manière interdépendante.

La P2P Foundation est une communauté numérique créant un écosystème d’information-communs pour le mouvement croissant du P2P et des Communs. Ce mouvement est préoccupé par le numérique et le tangible, le matériel, les mondes humains, y compris la question de leurs libertés et restrictions, disettes et abondances. Notre communauté est un mouvement décentralisé, auto-organisé dont les intérêts incluent l’environnement politique entourant la société en réseau; le matériel, les réalités sociales et culturelles, le partage et les économies de collaboration, les monnaies alternatives et cryptographiques; la durabilité et les pratiques « pro-sumer », la lutte contre l’obsolescence programmée et la rareté artificielle; et la régénération de la démocratie. En bref, le monde « peer to peer » unit les gens dans un changement culturel vers un avenir durable, juste, et plus humain.

Notre objectif principal est d’être un incubateur et un catalyseur pour l’écosystème émergent, en se concentrant sur les «pièces manquantes», et l’interdépendance qui peut conduire à un mouvement plus large. Le P2P, dans la pratique, est souvent invisible à ceux qui sont impliqués, pour une variété de raisons culturelles. Nous voulons révéler sa présence dans les mouvements discrets afin de les unir dans leur éthique commun. Pour ce faire, une initiative commune est nécessaire, qui rassemble des informations, se connecte et informe les gens mutuellement, aspire à des idées d’intégration des contributions de nombreux sous-domaines, organise des événements pour la réflexion et l’action, et éduque les gens sur les outils critiques et créatifs pour « changer le monde ».

A mes nobles et ingénieux amis et collègues de la P2P Foundation : c’est cela que vous faites, et bien plus encore !

Un article de David Bollier sous Creative Commons Attribution 3.0 License
Traduction Maïa Dereva

Construire des communs dans un contexte marchand privé

Beaucoup d'acteurs économiques utilisent des "communs" pour développer des services ou des produits (par exemple, l’entreprise qui fabrique des objets à partir de plans “libres”).

Types d'activités marchandes privées autour d'un commun

Il existe diverses types d'activités marchandes privées autour d'un commun. Par exemple :

  • Des entreprises proposent d’accompagner l’usage du commun par de la formation ou du conseil (par exemple, on vous forme à fabriquer un objet à partir des plans disponibles). Les gens peuvent alors apprendre à faire par eux-mêmes (‘faites vous aider’)
  • Des entreprises mettent en place la solution (Par exemple, on vend des objets directement fabriqués à partir des plans open source). Ici, c’est plutôt dédié à ceux qui n’ont pas le temps on n’ont pas envie de faire par eux même. (‘on le fait pour vous’)

Dans ces deux cas, il faut que l’organisme de formation, de conseil ou de fabrication trouve un moyen de reverser une partie de ses bénéfices au commun (au bénéfice du plan open source dans le cas de la vente d'un objet produit grâce à ces plans par exemple). Il faut aussi que cet organisme trouve un moyen de coopérer sainement avec la communauté qui protège le commun.

Qu'est ce que l'on peut appeler activité économique privées autour d'un commun ?

Il ne semble pas qu'il y ait de séparation nette entre les acteurs marchands et les communs. Ainsi, une AMAP (Association de maintien de l'agriculture paysanne) se positionne bien dans le domaine marchand en permettant à sa communauté d'acheter des paniers de légumes chaque semaine. Pour autant, en associant les usagers contributeurs à la gestion de ce commun, la valeur de ce qui est produit dans le commun ne se fixe pas par rapport au prix du marché mais se fixe avec la communauté d'usagers contributeurs. Ainsi, il n'est pas rare de voir dans une AMAP la communauté décider d'une augmentation du prix des paniers pour permettre aux producteurs principaux de prendre des vacances, en dehors de toute logique de prix de marché. On ne parle plus dès lors de valeur d'usage ou de valeur d'échange[1] mais plutôt de valeur pratique, qui dépend de la pratique contributive de la communauté. Ainsi, le prix des légumes dans une AMAP pourrait se réduire si la pratique contributive est importante (si la communauté s'implique beaucoup). Chez Wikipédia, la valeur pratique est telle que même si notre usage est très conséquent, nous n'avons pas besoin de payer selon cette valeur d'usage pour que le projet survive financièrement. Une infime partie des usagers contributeurs finance wikipedia par des dons, la valeur pratique étant très forte, il n'y a pas d'importants besoins financiers. C'est sans doute là que l'on peut faire la distinction entre une activité économique de type "commun" et de type "privée/propre". Aujourd'hui, les activités marchandes sont en grande parties dites "privées" et rarement intégrées au sein de "communs". Cela s'explique sans doute par le peu d'outillage mis en place aujourd'hui pour financer et rétribuer un collectif de personnes qui contribuent à un commun.

Privé/Propre

Communs

Fixation du prix

La valeur d'échange ou d'usage permet de définir le prix. Cela se fait en général selon le prix du marché

Le prix dépend de la valeur pratique. Si il y a une pratique contributive forte, le prix pour accéder au commun risque d'être faible par rapport au prix du marché, à prix libre voir nul. Pour autant, une communauté peut aussi avoir des prix supérieurs au marché (c'est l'exemple de l'AMAP ci dessus) voir être sur le prix du marché (cas d'une organisation pensée comme un commun qui vendrait un service ou un produit à une entreprise ou une collectivité)


Comment les logiques marchandes dites privées peuvent fonctionner autour des communs ?

Plusieurs méthodes permettent d'organiser des activités marchandes autour de communs de manière saine

  • Une méthode est proposée pour développer des prestations autour des communs tout en soutenant les communs
  • Des communautés se développent pour aider les acteurs marchands à utiliser les communs, les "Chambres des communs" : http://www.chambredescommuns.org/
  • Des licences sont en cours pour favoriser la réciprocité. Elles sont décrites ici
  • Déjà, des organisations appliquent des modèles de réciprocité. Comme l'explique Silvève Mercier dans cet article, le "commun"MusicBrainz" est adossée à une fondation qui s’appelle MetaBrainz et qui est là pour réguler les usages commerciaux de cette base. Les entités souhaitant faire du commerce à partir ces données sont incités à se déclarer à la fondation qui passe des contrats avec eux (voir la liste ici). Chacun peut utiliser les données de MusicBrainz, mais la "communauté" peut aller chercher les acteurs commerciaux qui font un usage pour les inciter à soutenir MusicBrainz. "There are also organizations that make use of our data that have explicitly declined to support us. There may also be other organizations making use of our data that we don't know about yet. If you know of a company using our data, please contact us." Si ils soutiennent pas, tant pis, mais ils ne seront pas dans la liste mise en avant sur le site, mais ça ne leur empêche pas l'usage commercial . C'est ce qu'a fait Metabrainz que l'on pourrait proposer pour de nombreux autres communs (prototype proche de cette idée ici  : http://encommuns.org/#/economique, à améliorer)
  • Une méthode est en cours de construction pour identifier et analyser les communs auprès des acteurs privés : http://wiki.lafabriquedesmobilites.fr/index.php?title=Rep%C3%A9rer_et_caract%C3%A9riser_les_communs_utiles_%C3%A0_la_Fabrique. Un début de méthode d'animation d'une rencontre entre des acteurs privés et des porteurs de communs peut aider à faire prendre conscience des enjeux du commun par un acteur privé https://docs.google.com/document/d/1sIt-I01hHUEGL53nUjsdIUVNvs_XTnImbaQP9STCiOk/edit.
  • Différentes entreprises donnent anonymement des financements à des communs (par exemple bundler recevait 600$/semaine sur gratipay). L'anonymat permet d'éviter d'avoir l'impression que "le commun" travaille pour un financeur privé particulier.
  • Financement de type "investisseur". Une discussion intéressante du projet liberapay sur comment des acteurs privés (type investisseurs) pourraient intervenir directement sur des communs et imaginer un retour sur investissement.

Exploration

Certains travaillent directement dans des logiques ouvertes pour fournir des réponses à des prestations. A l’image de ce qui est fait par Adrian Hoppel : http://adrianhoppel.com/this-is-what-it-looks-like-when-you-realize-how-toxic-your-job-is-and-you-do-something-about-it/. “Working in the gift does not mean that I work for free, or that I give my work away without care. It means that people trust me to build them a website, and I trust them to support my work as they believe fair.”

Source : Wikibook "Construire des communs" sous licence CC BY-SA 3.0

  1.   Aristote, dit que pour toute chose susceptible d’avoir un prix, il y a deux usages possibles : être utilisée selon son usage propre, par exemple pour des chaussures, d’être portées aux pieds, et utilisée selon son usage dans l’échange, et toujours pour des chaussures, d’être échangées contre autre chose, disons, quelques leçons de guitare. Or ce qui est remarquable pour l’argent, c’est que dans son cas, ces deux usages se confondent. »

Elinor Ostrom, les communs et l’anti-capitalisme

En 2009, l’économiste politique américaine Elinor Ostrom devint la première femme à recevoir le Prix Nobel d’Economie. Au sens strict, elle n’était pas plus économiste que le prix était un Nobel puisqu’il s’agissait du Prix de la Banque de Suède. Née « pauvre », selon ses propres termes, en Californie, durant l’été 1933, elle a publié « Governing the Commons » [Gouverner les communs, NdT] en 1990 et est décédée d’un cancer en 2012. J’ai eu la chance de la rencontrer en personne et de pouvoir passer ces deux dernières années à faire un travail de recherche détaillé sur ses travaux. Je suis anti-capitaliste, et bien qu’elle n’aurait sans doute pas accepté cette appellation, je soutiendrai ici que ceux qui veulent créer une économie démocratique et écologique qui dépasse le marché et l’état, trouveront une énorme inspiration dans son travail.

L’objectif principal d’Ostrom était d’examiner comment les ressources communes pouvaient être gérées. Elle a expliqué que les ressources communes incluaient les lacs et la pêche parce qu’ils ne pouvaient pas être facilement divisés en propriétés privées, et  qu’ils devaient donc être gérés par une forme de convention collective. Son travail et celui de son mari Vincent Ostrom, a commencé par l’étude des nappes phréatiques autour de Los Angeles. Immortalisé dans le film de Roman Polanski « China Town », différents utilisateurs étaient sur le point de prélever trop d’eau dans le système. Si une quantité trop importante d’eau avait été prélevée, la nappe phréatique aurait tellement baissé que de l’eau salée aurait été aspirée, détruisant le système. Les Ostrom ont constaté que les utilisateurs de l’eau ont formé des associations et que, en dépit de la difficulté du défi, ils ont trouvé des moyens de co-exploitation pour préserver le système.

A la fois à l’écoute de Garret Hardin, qui avait proclamé la Tragédie des Communs et fait valoir que si les Communs n’étaient pas protégés par des enclosures ils s’éroderaient,  Elinor était également ennuyée par son point de vue qui consistait à affirmer que la population devait être réduite par des mesures agressives, ce qui l’a inspirée pour renouveler son précédent travail sur la mise en commun des ressources :

Elinor Ostrom : Hardin a fait un discours sur le campus [de l’Indiana University à Bloomington], auquel je me suis rendue, et il a évoqué les choses de manière générale – mais à ce moment, le fait est qu’il était vraiment inquiet à propos de la population. Il a suggéré que tous les hommes et toutes les femmes devraient être stérilisés après avoir eu un enfant. Il était très sérieux en disant cela.

Margaret Levi : c’était réellement Garret Hardin ?

Elinor Ostrom : oui – et pas Russel [Hardin]. Garret Hardin. Je fus quelque peu surprise : « Ma théorie prouve que nous devrions faire cela », et les gens ont demandé : « Ne pensez-vous pas que c’est un peu violent ? » « Non ! C’est ce que nous devrions faire, sinon nous sommes fichus. » Bon, dans mon esprit, il est donc devenu totalitaire. J’avais ainsi vu un vrai cas où sa théorie ne fonctionnait pas.

Aussi bien Elinor que son mari Vincent s’auto-intitulaient « institutionalistes » parce qu’ils s’intéressaient à comment les institutions fonctionnent, et les étudiaient du point de vue de l’économie politique. Ils se sentaient concernés par deux problèmes essentiels : comment les ressources pouvaient être gérées d’une manière écologiquement durable, et comment un système autonome pouvait être encouragé. Vincent, qui est mort quelques jours seulement après Elinor, également du cancer, était un penseur à part entière fascinant, et a publié de nombreux livres.

Il y a, je pense, deux approches communes de la relation d’Elinor avec la gauche, la pensée radicale et l’anti-capitalisme. La première consiste à penser qu’elle a puisé dans l’économie libérale, en commençant par Adam Smith, était hostile à l’État et était essentiellement hayékienne, et en tant que telle, qu’elle n’a rien à voir avec le socialisme. L’approche opposée est de proclamer les communs comme l’alternative au capitalisme, de noter qu’elle a remporté un prix Nobel pour avoir théorisé sur les communs et, à cet égard, qu’elle était à gauche. Je pense que les deux approches ont tendance à trop simplifier son approche nuancée et inhabituelle : bien que sceptique sur le fait que l’Etat pourrait agir comme un chevalier blanc pour faire face à l’inégalité et à l’oppression, elle n’était cependant pas libertaire. En tant que théoricienne des communs, elle n’était pas une fondamentaliste des communs, comme elle ne les voyait pas comme une panacée pour tous les maux sociaux et écologiques.

Aussi, Ostrom ne s’est jamais identifiée à la gauche traditionnelle. Lorsqu’on lui a demandé si elle  contestait ceux qui accusaient ses théories d’être « implicitement socialiste », elle a répondu : « Oui. Je ne pense pas qu’ils soutiennent que le socialisme est une théorie « top-down ». Beaucoup de gouvernements socialistes sont très « top-down » et je pense que ma théorie affirme que tout gouvernement « top-down », que ce soit à droite ou à gauche, n’est probablement pas en mesure de résoudre la plupart des problèmes de durabilité des ressources dans le monde ». Cependant, elle n’était pas non plus conservatrice comme son amie Amartya Sen, mais était plutôt partisane d’une plus grande égalité sociale, en déclarant carrément à un journal allemand que d’être «né riche est toujours mauvais ».

Les Ostrom étaient certainement au courant de la critique de la planification centrale de Friedrich Hayek, mais ils étaient d’accord pour rejeter l’idée que les marchés étaient spontanément efficients. Ils croyaient que tous les niveaux de la société pouvaient tirer bénéfice d’une conception institutionnelle intelligente et expérimentale. Difficile à classer, avec leur propre approche unique, les Ostrom peuvent sembler déconcertants. Ni anarchistes, ni chantres du marché libre, ni partisans du contrôle « top-down », ils étaient au mieux très inhabituels et, au pire, tout à fait déroutants.

Je crois qu’Elinor Ostrom a fourni une ressource énorme pour tous ceux d’entre nous qui souhaitent voir ce que nous pouvons apprendre d’elle à propos d’une alternative au néo-libéralisme. Sa propre pratique académique était radicale : elle a cherché une économie au-delà du marché et de l’Etat, a préconisé une forme pratique de l’écologie politique, a examiné comment les communs pourraient fonctionner pour la communauté, et a également montré l’importance d’une conception institutionnelle prudente dans le changement social. Elle a également contesté le modèle de « l’homme et la femme économiques rationnels » et se faisait l’avocat des femmes, des minorités, des populations autochtones et des paysans.

Sa pratique académique était radicalement égalitaire et, à cet égard, donne une leçon pratique à toute la gauche. Sa recherche intégrait le respect des autres : elle demandait aux gens comment ils conservaient les communs et renforçait la base de connaissances. La quasi-totalité de son travail était collaboratif. Quand elle a téléphoné à son mari et lui a dit qu’elle avait gagné le prix Nobel, elle a dit : « Chéri, nous avons gagné un prix ». Une grande partie de leur travail est donc attribuable à un « nous » et non à un « je », et ils ont mis en place un atelier innovant qui, encore à ce jour, pratique une approche communautaire du travail scolaire. Elle a demandé aux participants de l’atelier de critiquer son projet de discours pour le Nobel, mis en place une bibliothèque de documents sur les communs en libre accès et libre usage, et était peer-to-peer avant même que l’expression ait été inventée.

Le titre de sa conférence pour le Nobel était « Au-delà des marchés et des États ». Même si elle n’a rejeté ni le marché ni l’État, elle a vu au-delà en reconnaissant qu’il y avait d’autres façons de gouverner l’activité économique humaine. Même à gauche, l’économie au-delà du marché et de l’état semble impossible. La gauche estime qu’il est difficile d’imaginer des alternatives au marché, et le consensus néo-libéral estime que le marché est la réponse à tous nos maux. Depuis le démantèlement du NHS jusqu’aux nouveaux traités commerciaux qui balayent les obstacles au bénéfice des sociétés, les valeurs de marché sont considérées comme une panacée. La recherche prudente et détaillée de Ostrom dans l’économie de non-marché est essentielle dans ce qu’elle suggère qu’il y a une vie au-delà de la panacée supposée du marché.

En particulier, elle a étudié les communs pour montrer que la propriété collective communale était possible dans de nombreuses circonstances. Utilisant un grand éventail de techniques pour étudier la gestion des ressources communes, elle a surtout étudié avec succès les communs avec une technique d’étude de cas historiquement fondée, et la constitution d’une liste de huit caractéristiques de conception des communs durables. Sa liste de huit caractéristiques n’a pas vocation à être normative, mais elle constitue une leçon pour la gauche anti-capitaliste. Créer des alternatives qui fonctionnent bien exige une étude minutieuse des alternatives réussies et de celles qui ont échoué pour concevoir des institutions qui peuvent potentiellement fonctionner. Espérer créer des solutions de rechange est un vain espoir sans recherche rigoureuse.

En tant qu’institutionnaliste, elle a considéré les structures démocratiques et économiques en fonction d’un ensemble de règles. Pour elle, la liberté humaine implique des gens plus conscients des règles qui existent et de leur permettre de comprendre que de nouvelles règles sont possibles. Cela semble une bonne base pour une politique pragmatique de libération. Il est clair aussi que le travail de refonte des règles institutionnelles du néo-libéralime vise à « marketiser » la société de plus en plus. Les alternatives au néolibéralisme, plutôt que d’être purement défensives, peuvent chercher à modifier les règles sociales pour créer une économie démocratique et diversifiée.

Ses recherches ont également porté sur la motivation humaine et la subjectivité. L’idée mise en avant par les économistes selon laquelle nous serions tous des égoïstes rationnels a été contestée par sa recherche minutieuse. Elle a montré que si les gens pouvaient se montrer intéressés et court-termistes, il était possible de promouvoir un comportement humain plus coopératif. Par-dessus tout, elle était très critique vis-à-vis d’une économie qui a simplifié et faussé la vie sociale humaine. Elle et Vincent ont fait valoir que la langue, la culture et l’écologie, devaient être pris en compte lors de l’élaboration d’institutions qui fonctionnent. En effet, il a noté, en rejetant une foi fondamentaliste dans l’économie dominante, que « des doctrines absurdes peuvent répondre aux normes de rigueur logique et à la preuve mathématique, mais donner des conséquences désastreuses quand elles sont utilisées pour agir. Les actions humaines doivent s’inspirer de principes généraux qui peuvent être appliqués à certains moments et lieux selon des exigences qui varient en fonction des circonstances écologiques et culturelles ».

Elinor Ostrom était une écologiste politique très pragmatique qui a fait valoir que nous devrions respecter les sept prochaines générations et défier le consumérisme, en notant : «Nous devons amener les gens loin de l’idée qu’il faut posséder une voiture de luxe et une immense maison… Certaines de nos mentalités à propos de ce que signifie avoir une bonne vie, ne vont pas, je pense, nous aider dans les 50 prochaines années. Nous devons réfléchir à la façon de choisir une vie utile où nous nous aidons les uns les autres d’une manière qui aide vraiment la Terre ». Dans le même temps, elle s’intéressait aux détails qui pourraient faire fonctionner une société plus verte, plutôt que d’émettre simplement des slogans généraux. Les Ostrom et leurs collègues ont montré que les alternatives à une société dominée par quelques individus étaient possibles. Pour ceux d’entre nous qui veulent créer une société démocratique qui va au-delà du profit à court terme, je dirais que leurs idées sont essentielles.

Je me suis profondément nourri de ses idées. Déclarer simplement qu’elle était un défenseur des communs et appliquer bien ou mal ses éléments structurels à des situations différentes est insuffisant, il est utile de lire son travail et de réfléchir. Gouverner les communs est essentiel, bien sûr, mais elle a laissé des centaines de documents, la plupart d’entre eux disponibles gratuitement sur la toile (http://dlc.dlib.indiana.edu/dlc). En tant que penseur sérieux se concentrant sur les questions les plus importantes, son travail est nécessaire si nous voulons développer des systèmes économiques qui respectent l’humanité, soutenir l’écologie et travailler démocratiquement. J’aimerais lui donner le dernier mot. En 1997, elle a résumé son approche qui contraste avec l’avidité affairiste et court-termiste habituelle, et je pense qu’elle est assez claire :

« Notre problème c’est comment élaborer des règles à plusieurs niveaux qui permettent aux humains de s’adapter, d’apprendre et de changer au fil du temps afin que nous maintenions les ressources naturelles de grande valeur dont nous avons hérité pour que nous puissions être en mesure de les transmettre. Je suis profondément reconnaissante aux peuples autochtones des États-Unis qui ont eu l’image des sept générations comme étant le temps opportun pour réfléchir à l’avenir. Je pense que nous devrions tous réintégrer dans notre esprit cette règle des sept générations. Lorsque nous prenons des décisions vraiment importantes, nous devrions nous demander non seulement ce que cela fera pour nous aujourd’hui, mais aussi ce que cela fera pour nos enfants, les enfants de nos enfants, et les enfants de leurs enfants dans l’avenir. »

Article initialement publié en anglais dans STIR magazine n°04, Hiver 2014 par Derek Wall sous licence Creative Commons BY-NC-SA 3.0

Derek Wall est le Coordinateur International du Green Party [Parti Vert] d’Angleterre et du Pays de Galles. Son dernier livre est The Commons in History [Les communs dans l’histoire, NdT] (MIT 2014) et il vient également de publier The Sustainable Economics of Elinor Ostrom: Commons, Contestation and Craft [L’économie durable de Elinor Ostrom : Communs, Contestation et Artisanat, NdT]. Il enseigne l’économie politique au Goldsmiths College, Université de Londres. Ecosocialiste engagé, il écrit aussi pour le Morning Star.

Traduction : Maïa Dereva

 

Wikibuilding : créer des bâtiments adaptés à la ville contributive

Le concept

Le concept générique Wikibuilding a pour objectif de créer des bâtiments adaptés à la ville contributive

C’est un concept ouvert pour faire évoluer l’architecture, l’immobilier et les villes qui s’appuie sur un état d’esprit et des notions liées aux transformations numériques : l’intelligence collective et l’innovation ouverte.

Ouvert sur les individus et les sociétés, le concept Wikibuilding est à la croisée des émergences locales et des visions stratégiques globales. Il est pensé pour fonctionner comme une plateforme d’innovations architecturales et sociales permanentes.

Cette nouvelle façon de faire de l’architecture a pour but de se diffuser rapidement pour accélérer le développement de villes plus contributives et plus résiliantes.

Le concept Wikibuilding trouve ses origines au sein de plusieurs recherches, en particulier « Architecture de la Grande Échelle » lancée par le PUCA en 2006-2008 ainsi que la recherche collaborative « UrbanD » soutenue  par les fonds Feder de la Commission Européenne en 2010 – 2013.

1. Co-construction

Chaque Wikibuilding doit intégrer dans sa méthodologie une collaboration très large et à tous les temps du projet : entre les membres internes de l’équipe de conception (sortir des silos métiers), avec les partenaires du projet (industriels, associations, acteurs innovants), mais aussi avec la société civile (usagers, futurs habitants et occupants). Les décisions sont prises de façon collégiale en favorisant les contributions et les projets ouverts.

2. Communs urbains

Chaque Wikibuilding doit s’efforcer de s’inscrire dans la dynamique des communs. La notion de commun renvoie à des ressources ni privées, ni publiques dont la préservation voire le développement est assuré par une communauté. L’intérêt d’un commun tient dans les capacités d’empowerment qu’il peut apporter à l’environnement dans lequel il s’inscrit. Certains espaces des Wikibuildings, notamment ceux en contact avec les espaces publics, devront donc, dans la mesure du possible, fonctionner comme des communs ouverts à la société civile.

3. Architecture des capabilités

Chaque Wikibuilding doit être symbolique d’une architecture des capabilités, c’est-à-dire en mesure d’accompagner la vie des habitants et des usagers dans le temps. Les espaces doivent ainsi être non seulement modulables, mais l’être rapidement et à moindres coûts : accessibilité des réseaux, flexibilité des surfaces et des fonctions… L’adaptabilité des espaces aux innovations à venir doit aussi être prise en considération.

4. Open source

La dernière exigence est la diffusion des méthodes et des plans des bâtiments en open source. Chaque Wikibuiliding doit s’inscrire dans des logiques apprenantes : les méthodes collaboratives mises en place devront être documentées et partagées pour enrichir et perfectionner les Wikibuildings à venir. De même, au moins une partie des plans devra être en open source pour permettre à d’autres concepteurs de s’en inspirer, de les améliorer, mais aussi faciliter les opérations de maintenance.

Voir le site…

Le texte et la photo sont publiés en licence Creative Commons BY-NC-SA. Vous pouvez donc les partager et les remixer pour des objets non commerciaux et sous réserve de préciser les auteurs originaux : HOST et UFO. Vous devrez alors distribuer vos partages et vos contributions sous la même licence que l’original avec un lien vers la licence CC BY-NC-SA

Ce que change le numérique en communs, réflexions à partir du film Demain

Silvère Mercier, bibliothécaire et membre du collectif SavoirsCom1, livre un double article très fouillé sur les communs à partir de réflexions issue du visionnage du désormais célèbre film « Demain« .

Dans le film Demain, le numérique est quasiment absent des discours, tout se passe comme si les échanges de connaissance sous-jacents à la montée en compétence des communautés locales n’existaient pas. Or ces échanges ne peuvent avoir lieu que parce que la reproduction de l’information numérique à coût marginal nul existe. Sans internet, sans Wikipédia, sans les réseaux d’échanges d’information, les initiatives locales n’auraient aucune chance de faire réseaux. Cette attention au local en vient à s’opposer à une échelle globale trop souvent assimilée aux dérives de la mondialistation. Si je partage l’idée exposée dans le film d’une transformation du monde par la diversité et non par de grands modèles dominants, il me semble assez fâcheux de que la diversité et le local ne soient pas associées au partage des connaissances et à leur circulation… Comment développer l’agriculture urbaine sans en diffuser largement les méthodes? Comment aller au delà d’une académie des maires en Inde qui ne soit qu’un club de gens qui se rencontrent réellement?

Lire l’article 1/2…

Une autre absence me semble significative. A aucun moment du film le mot communs n’est exprimé. Le documentaire s’attarde sur des alternatives qui peuvent pourtant toutes être considérées comme des communs parce qu’elle associent ressources, communauté et gouvernance ouverte. Que ce soit pour se réapproprier la monnaie, repenser l’impact social des services publics ou encore pour co-financer des éoliennes, à chaque fois les communs sont présents et pourtant jamais évoqués.  Quelles questions posent cette absence? Plusieurs hypothèses : le discours des communs est-il inaudible parce que c’est un métadiscours trop abstrait? Le concept est-il tout simplement insuffisant ou trop jeune?

Lire l’article 2/2…

Michel Bauwens : « Un rêve technocratique totalitaire »

Comment expliquer un tel engouement autour de la blockchain ?

Michel Bauwens.- Le rêve de la blockchain est celui d’une base de données universelle. Sans banques, sans ONG, sans Etats, les individus peuvent passer des contrats entre eux, créer des organisations autonomes et indépendantes. Pourtant, Internet a déjà contribué à créer un nombre exponentiel d’organisations civiques en dehors du monde commercial et étatique.

D’une certaine manière, l’effet espéré de la blockchain a déjà eu lieu. Les réseaux informels s’organisent via Internet, en dehors des formes hiérarchiques traditionnelles. Le système d’exploitation Linux, ouvert à tous, est un bon exemple de coordination mondiale du travail humain. Au Brésil, la marque Curto Café utilise déjà une chaîne logistique totalement transparente.

Lire la suite sur le LeMonde.fr…

L’importance de l’empathie et de l’affectif dans nos communautés : Copylove et les communs invisibles

Copylove a débuté en 2011 en tant que réseau informel local pour stocker des recherches à propos de biens communs et de féminisme. Plus tard, il s’est ouvert au public via www.copylove.cc (en espagnol) , sous la responsabilité de Sofía Coca (Zemos98, Séville, Espagne), Txelu Balboa ( COLABORABORA , Pays Basque) et Rubén Martínez ( Fundación de los Comunes , Barcelone). Le site public copylove.cc explore les liens et relations au sein d’une communauté d’agents qui génèrent des communs pour la communauté. Copylove explore plus profondément tous les paramètres qui nous permettent de reproduire les conditions d’une existence désirable : affection, interdépendance, entraide, attirance pour la communauté, empathie, etc. Parler de Copylove, c’est évoquer tout ce que nous faisons et reproduisons pour nous rapprocher du « bien vivre », d’une existence durable, au-delà d’une simple évaluation économique.

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Carte des conditions de coexistence produite collectivement lors des premières « résidences » Copylove (Traduction Rubén Díaz).

L’histoire-derrière : Communs, Amour et Recombinaisons

En janvier 2012, Copylove a lancé le festival de Zemos98 sur la base d’une hypothèse apparemment simple : étudier de quelle façon l’affection et l’empathie (care) permettent de cultiver des relations au sein d’une communauté produisant des biens communs. Prenant ce point de départ, le groupe a organisé des résidences en Février, puis en Mars et Avril 2012 pour que des personnes provenant de plusieurs groupes ayant une expérience communautaire puissent échanger différentes approches sur l’affection, les communs et la communauté.

Nous croyons aux Communs. Comme l’a dit Elionor Ostrom, les Communs sont parfois hors du marché ou des services publics. Les Communs portent sur les contenus que nous partageons tout le temps dans nos réseaux numériques, mais ils n’ont rien de nouveau. Quand on parle de biens communs, nous parlons en fait de concepts déjà anciens. La recette d’un gazpacho typique d’Andalousie est par exemple une recette appartenant aux Communs. Elle n’est pas du domaine privé. Mais pas exactement publique non plus, au sens d’un bien régi par des règles officielles et des institutions. Cette recette construit un code commun. Un langage commun. Vous pouvez choisir une seule recette et créer votre propre version. Mais, si vous partagez votre propre version, tout le monde peut faire la même chose et recomposer votre version parce que la culture est un palimpseste infini. Par conséquent, nous devons bien sûr élargir l’utilité des Communs. Nous devons propager les communs pour nous aider à construire nos communautés.

D’autre part, lorsque nous parlons du marché et le gouvernement, nous nous référons à des qualificatifs comme «intérieur» ou «extérieur» aux communautés, et nous nous référons au système économique officiel. Divisons-le en deux registres: celui de production et celui de la reproduction. Certaines études féministes estiment que nous répondons toujours aux questions sur un registre officiel et productif. Lorsque vous demandez à quelqu’un, «Que faites-vous?», Les gens répondent dans le registre professionnel. Ils ne disent pas: «Je suis une mère» ou «Je fais cuire habituellement du riz avec des légumes». Pourtant, quelle importance a ce genre de tâches au sein de nos communautés? Pourquoi ne pouvons-nous pas en parler? Nous estimons que ces aspects renvoient à cette sphère reproductive. Et vous pouvez imaginer à quel point elle est importante pour notre culture.

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« Nos mères nous ont appris que la vie est un champ de bataille. Le champ de bataille pour rendre possible ce que nous estimons être la Vie « . L’affiche du 14 Zemos98 Festival, dédiée à nos mères.

Communs, amour et recombinaison ont été les trois concepts initiaux, liés les uns aux autres, ils ont ouvert le champ pour commencer à construire collectivement le sens du « copylove ». Nous avons vu plus tôt qu’ils étaient entrelacés se nourrissant les uns des autres : l’affection nourrit les communs et vice versa. Nous devons placer l’affection au centre, comprendre que les communs présupposent l’existence d’une communauté, découvrir que les communautés ont des liens et des valeurs constitutives; mais aussi qu’elles requièrent pour être durables une dimension d’empathie et de soin, une appréciation subjective de chacun élaborée à partir de ses affections.

Les Communs invisibles

Nul doute que l’objectif de la première édition de Copylove était de rendre visible toutes ces manières de faire, et de créer une communauté dont les citoyens seraient au cœur. Pour devenir plus précis à ce sujet, nous avons voulu nous remémorer ces usages quotidiens si ancrés dans notre vie de tous les jours qu’ils passent inaperçus, tant ils sont essentiels pour maintenir notre cohésion vitale. Les communs invisibles sont ces ressources non-monétaires, ces façons de faire auxquelles nous sommes assimilés (en positif comme en négatif), ces processus que nous avons appris ou acquis dans notre vie ensemble et qui rendent la communauté durable. Ces communs sont invisibles quand nous les supposons «naturels», mais la plupart du temps et en particulier pour les communs liés au travail des femmes, le régime développementaliste dans lequel nous vivons les a rendu invisibles. La spécialité de notre modèle environnant est précisément d’ignorer ce qui rend notre vie vivable.

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«Les citoyens-Godzilla », affiche du Festival 15 Zemos98.

Sur la base de ces conclusions, nous avons atteint un tournant dans notre recherche. Nous avons dû structurer ce que nous avions appris et poser de nouvelles questions. Poursuivant notre piste, l’idée de «biens communs invisibles» se révèle une bonne description de ce que nous avions appris jusque-là, et elle nous a permis de continuer à découvrir toutes ces pratiques qui dépassent le registre purement productif évoqué plus haut. Pour mieux comprendre toutes les ressources et les processus communautaires que nous activons simultanément et qui nous sont chers, nous avons commencé à recueillir auprès de groupes et d’associations de Bilbao à Barcelone les questions pour la future résidence de Copylove.

Nous étions toujours à la recherche de ces communs invisibles à parcourant les trois axes du début qui devaient nous aider à aller vers l’étape suivante. Trois grands concepts seraient utiles et fourniraient de nouvelles questions sur « copylove » : la communauté, la mémoire et la vie expliqués par les participants dans cette vidéo (sous – titres anglais) :

Se sont ensuite succédés un autre festival Copylove en avril 2013 et une campagne de crowdfunding (regroupant 7.865 €) pour rassembler tous les essentiels appris dont nous avions intégré la plupart dans nos pratiques quotidiennes et dans notre mode de vie personnelle et professionnelle.

Pour conclure, sans empathie et sans soin, la vie est impossible. La vie ne peut pas être «productive» que dans une économie centrée sur cette attention. Si nous avons été « productifs » dans cette fiction appelée Capitalisme, c’est grâce à notre souci pour les autres, à ce que certains qualifient d’«improductif» : le travail domestique, la reproduction des tâches invisibles. Sans empathie, la vie professionnelle ne pourrait pas exister dans une économie de marché. Ce travail invisible a été fait par les femmes (et ici «femmes» peut également être compris comme des minorités). Ni l’Etat ni le marché n’ont réussi à couvrir ce besoin fondamental : le droit à recevoir de l’attention et du soin.

#NuitDebout : la bibliothèque éphémère bascule dans le Peer-To-Peer

Il y avait la présence de CRS, bien sûr, mais aussi la pluie. « Nous avions prévu des bâches pour protéger des livres, mais la pluie, définitivement, c’est notre point faible », plaisante un membre du collectif SavoirsCom1. L’opération #BiblioDebout accompagnait le mouvement #NuitDebout, qui depuis quelque temps maintenant, occupe la Place de la République. Une protestation contre la loi Travail de Myriam El Khomri, qui entraîne une mobilisation partout en France.

[…]

« Nous avons un fonds de 400 ou 500 livres : pour les déplacer, il faut un véhicule, et pour les installer, nous avons besoin d’une structure. Nous allons plutôt opter pour un modèle Peer-to-Peer. » Du téléchargement de livres ? Du tout : « Le P2P, sur internet, c’est l’absence de plateforme qui centralise : les contenus sont stockés par les différents utilisateurs, qui les mettent en partage. Ainsi, nous allons inciter chacun à devenir le véhicule des livres. » (voir sur SavoirsCom1)

Lire l’article complet sur Actualitte.com…

Communecter, pour se connecter à sa commune

Parmi les innombrables communs existants et en cours de création, il en est un qui fait parler de lui sur les réseaux sociaux en ce moment… la plateforme Communecter. Aboutissement de trois ans de travail, c’est un réseau sociétal qui se distingue des réseaux sociaux classiques par sa volonté d’implantation locale, au niveau de chaque commune, là où les décisions citoyennes prennent tout leur sens. Sa particularité réside également dans le mode d’organisation de l’équipe de développeurs (basé sur les pratiques pair-à-pair du logiciel libre) et dans ses choix d’ouverture (open-source, open-data, gratuit).

A la base de ce projet, ce sont quatre informaticiens passionnés du web qui ont fédéré un collectif disséminé dans le monde entier (Réunion, Nouméa, Lille, Toulouse, Paris, Auvergne). “Le projet Communecter c’est d’être connecté à sa commune. On se référence avec un e-mail et un code postal, et on accède à une cartographie pour trouver des informations localement. Chaque citoyen peut indiquer les commerçants et les services qu’il apprécie (garagiste, crèche,…), les associations auxquelles il participe (troupe de théâtre, école de musique, jardins partagés,…), ou les projets qu’il est lui-même en train de créer ou de faire vivre » explique Tibor Katelbach, l’un des porteurs du projet. “Et pour les inquiets, précisons que les données collectées, contrairement à d’autres réseaux sociaux, restent la propriété des citoyens et ne seront jamais utilisées à des fins commerciales” ajoute-t-il avec beaucoup d’implication.

Un contexte global pour une alternative joyeuse et collective

Le projet Communecter s’inscrit dans un contexte plus global. En effet, l’équipe de développement était présente au 104 à Paris dans le cadre de la Zone Action Climat en parallèle de la COP 21 lors d’un évènement nommé “Internet et transitions”.

Communecter se veut une réponse concrète à l’hégémonie des “GAFA” (Google, Apple, Facebook, Amazon). Cette plateforme travaille en synergie avec de nombreux acteurs partenaires à offrir une alternative aux réseaux centralisés afin de permettre une meilleure prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux.

Communecter est donc associé à de nombreux acteurs qui explorent des méthodologies (sociales, technologiques, organisationnelles,…) visant à garantir une transparence favorable à la construction de la confiance nécessaires pour développer la coopération et l’intelligence collective.

La plateforme, qui est open-source (le code logiciel est accessible à tous) et open-data (les données collectées sont considérées comme un bien commun), rejoint aussi pleinement le mouvement des communs.

C’est une alternative positive sous-tendue par une démarche d’intelligence collective démocratique. Il ne s’agit pas d’être “contre” un système vieillissant mais de construire ensemble et joyeusement des réponses concrètes afin de développer la qualité de vie localement.

La campagne de crowdfunding qui se termine le 16 avril prochain vise, entre autres, à financer le développement d’une version mobile de la plateforme. Elle est visible à l’adresse suivante : http://www.kisskissbankbank.com/communecter-se-connecter-a-sa-commune

 

 

La tête dans la toile

Xavier de la Porte

C&F Editions (mars 2016)

la-tete-dans-la-toileL’intégrale des chroniques de Xavier de La Porte Ce qui nous arrive sur la toile de La Matinale 2013-2014 de France Culture.
Ouvrage édité en collaboration avec Radio France (France Culture).
Internet est notre quotidien, on pourrait même dire que nous vivons dedans, tant nos activités sont désormais tissées de numérique. De ce sujet bien sérieux, Xavier de La Porte fait un feuilleton plein de variations et de rebondissements. Par son regard mi-scrutateur, mi-amusé sur ses propres pratiques quotidiennes comme sur les enjeux globaux du réseau, il remet au centre les choix que nous faisons pour vivre dans le nouvel écosystème numérique.
Au travers de ces chroniques diffusées chaque matin sur France Culture entre septembre 2013 et juin 2014, nous découvrons notre reflet dans le miroir de la vie numérique. La publication d’un ouvrage de chroniques destinées à être portées par la voix et la radio nous montre également que le monde ne change pas aussi vite que veulent bien le dire les commentateurs pressés et les tenants de la disruption : les pratiques évoluent, mais les questions fondamentales demeurent. C’est d’elles qu’il est toujours question ici sous le langage agile d’un observateur au regard à la fois doux et acéré.

D’un support l’autre. Ce qui était pensé pour être parlé se retrouve écrit. C’est un exercice curieux. Ce qui était écrit dans une relative urgence pour être consommé, lu, vu, entendu rapidement puis pour passer à autre chose, se retrouve inscrit dans un temps long. Ce qui était écrit pour faire du lien, à l’aide de liens, doit s’abstraire du rebond, de la possibilité de cliquer. Croire que l’on écrit des chroniques isolées, s’apercevoir de la hauteur permise par le livre que l’on a produit un ensemble qui fait sens. C’est un exercice auquel je m’astreins moi-même pour un projet dont je vous reparlerai en temps utile.

Du temps utile d’ailleurs, c’est celui de la lecture de « La tête dans la toile » de Xavier De La Porte, paru chez C&F Editions. Les chroniques radiophoniques de l’auteur regroupées dans un livre. Relire ce livre ce n’est pas refaire l’expérience de l’écoute de ces chroniques. Relire ce livre c’est établir un nouveau parcours. Par touches successives. Le livre commence le 2 septembre 2013 pour s’achever le 3 Juillet 2014. A peu près 200 « chroniques » devenues « chapitres » au seul gré du mois de leur lecture à l’antenne, quelque chose a bougé. Parce que l’idée de (re)lire des chroniques pour la plupart déjà entendues et attentivement écoutées (ben oui, c’est Xavier De La Porte quand même), cette idée qui à nous-même semblait saugrenue (trop d’autres choses à lire), cette idée résiste à l’épreuve des chapitres. Le talent de Xavier y est pour beaucoup. Pour l’essentiel même. La capacité que chacune de ses chroniques, chacun de ses portraits, a de dresser, de pointer, de soulever, d’analyser, de relativiser, de subjectiver aussi, est l’essentiel de la qualité de ce livre. Xavier part du « je », il part de lui, pour nous emmener sur les internets, ces internets chafouins, libertaires, ces internets sécuritaires, morcelés, corsetés, fragmentés, et de nouveau ces internets émancipateurs, libérateurs, accessibles, toujours accessibles.