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Blockchain, une architecture du contrôle

Source : Vidéo Viméo de Louise Drulhe

Cette vidéo très complète, construite sur un rythme lent, n’aborde pas seulement les questions qui se posent autour du sujet de la blockchain mais les met également en perspective avec internet dans son ensemble, des questions de gouvernance, de politique, en utilisant comme support une analogie visuelle fondée sur la topographie.

Les commentaires permettent de saisir à la fois les aspects techniques de la blockchain et les questions philosophiques et éthiques qui se posent.

Dans les commentaires sur Facebook à propos de cette vidéo, il est également question de IOTA, une technologie qui serait plus efficace que la blockchain…

Voici quelques phrases extraites de la vidéo :

« L’architecture d’un espace a des conséquences, elle a une politique. L’architecture activera ou désactivera les règles. » Lawrence Lessig, conférence 11 décembre 2015 Blockchain Workshop.

C’est le consensus de la masse qui fait autorité. La blockchain incarne l’utopie du contrôle et distribué entre chaque individu. Redistribuant le pouvoir de manière égalitaire.

Le contrôle du bas vers le haut réparti entre chacun des noeuds du réseau entraîne un maillage de l’autorité.

L’autorité distribuée à la masse engendre un motif complexe d’interconnexions et d’interdépendance assurant le pérennité du contrôle au fil du temps.

La maillage du contrôle de la blockchain permet de distribuer l’exécution du pouvoir et favorise l’abolition de l’autorité. Cette idée se rapproche de l’idéologie libertaire.

Le risque serait de voir la blockchain réappropriée par le libéralisme. Comment s’assurer que les logiques libérales ne vont pas recréer des architectures autoritaires faisant glisser la blockchain vers le libertarisme, philosophie politique issue du libéralisme ?

Cette technologie censée affaiblir les intermédiaires pourrait être celle qui les renforcera durablement.

Est-ce que le code peut réellement se substituer à la loi ?

La technologie seule n’a pas de programme.

« Nous construisons nos outils et nos technologies et ensuite ce sont elles qui nous construisent« . Marshall McLuhan

Michel Bauwens, portrait d’un activiste sans frontières

À première vue, le théoricien belge du pair-à-pair a tout de l’intellectuel barbant et abscons. Au microscope, son parcours de pensée se révèle tout sauf ordinaire et irrigue en profondeur les bâtisseurs de la société postcapitaliste, celle qui doit « sauver le monde » de sa perte annoncée. Portrait

Enfant, Michel Bauwens vit en Belgique, dans des conditions insalubres qui lui abîment la santé. Des séjours répétés en sanatorium le séparent très tôt de ses parents. À 17 ans, il milite chez les trotskistes, un peu plus tard, il fréquente des communautés gauchistes, spirituelles, puis néo-reichiennes (Wilhelm Reich était un élève de Freud), puis traverse une première crise existentielle qui l’entraîne dans une quête mystique. Il devient tour à tour templier, rosicrucien (membre de l’ordre ésotérique de la Rose-Croix), franc-maçon, avant de suivre les enseignements d’un gourou indien. Il finit par rentrer dans le rang et fait carrière dans les nouvelles technologies. À 42 ans, deuxième crise, plus profonde. Michel Bauwens se confronte à l’état du monde : « Est-ce que je veux faire partie du problème ou de la solution ? »

Article : Chrystèle Bazin. Illustration : Aline Zalko

Lire la suite sur www.lesinrocks.com

Faire en commun : un paradigme social de transformation

Un article de David Bollier initialement publié sur le site anglophone de la P2P Foundation

On m’invite si souvent à écrire un article qui répondrait effectivement à la question « Pourquoi les communs ? ». Et chaque fois que je me la re-pose, je trouve toujours de nouvelles réponses à cette question. Ma dernière tentative est un essai, « Faire en commun : un paradigme social de transformation« , que j’ai écrit pour le Next System Project dans le cadre de sa série de propositions d’alternatives systémiques.

Pour ceux d’entre vous qui ont suivi les communs depuis un certain temps, le contenu de mon essai sera très familier. Mais je suis également parvenu à quelques prises de conscience sur la langue et les communs, et pourquoi un discours dédié aux communs et aux enclosures est important. Je ne vais pas reproduire l’essai complet – vous pouvez le trouver ici en français en téléchargement pdf ou en anglais sous forme de page web sur le site du Next System Project – mais j’en ai extrait ci-dessous les paragraphes d’introduction, le passage sur le discours des communs, et la conclusion.

Introduction

Pour faire face aux nombreuses et profondes crises de notre temps, nous sommes confrontés à une énigme qui n’a pas de solution simple : comment pouvons-nous imaginer et construire un système radicalement différent en vivant dans les limites d’un système en place qui résiste énergiquement au changement transformationnel ? Notre défi est non seulement d’articuler des alternatives séduisantes, mais aussi d’identifier des stratégies crédibles pour les réaliser.

Je crois que les communs – à la fois comme paradigme, discours, éthique, et ensemble de pratiques sociales – sont très prometteurs pour transcender cette énigme. Plus qu’une philosophie politique ou qu’un programme politique, les communs sont un processus vivant actif. Ils sont moins un nom qu’un verbe, car il s’agit principalement des pratiques sociales du faire en commun – les actes de soutien mutuel, les conflits, la négociation, la communication et l’expérimentation qui sont nécessaires pour créer des systèmes de gestion des ressources partagées. Ce processus rassemble la production (auto-approvisionnement), la gouvernance, la culture et les intérêts personnels en un seul système intégré.

Cet essai propose un aperçu rapide des communs, du faire en commun, et de leur grand potentiel pour aider à construire une nouvelle société. J’expliquerai la théorie du changement qui anime de nombreux commoneurs, surtout lorsqu’ils tentent d’apprivoiser les marchés capitalistes, de devenir les intendants des systèmes naturels, et qu’ils mutualisent les avantages des ressources partagées. Les pages suivantes décrivent une critique de l’économie et de la politique néo-libérales basée sur les communs, une vision de la façon dont les communs peuvent permettre une société humaine écologiquement plus durable, les principaux changements économiques et politiques que cherchent les commoneurs, et les principaux moyens de les atteindre.

Finalement, j’envisagerai quelque uns des effets qu’’une société centrée sur les communs pourrait avoir sur l’alliance marché/état qui constitue actuellement « le système ». Comment un monde approvisionné et gouverné par les communs changerait-il la politique ? Comment pourrait-il répondre aux pathologies interconnectées d’une croissance économique implacable, de la concentration du pouvoir des entreprises, du consumérisme, d’une dette insoutenable et d’une destruction écologique en cascade ?

Pourquoi le discours des communs est important

J’ai passé en revue l’histoire moderne du discours des communs parce qu’il nous aide à comprendre la « théorie du changement » que le mouvement des communs cherche à adopter. La langue des communs est, d’abord, un instrument de réorientation de la perception et de la compréhension des gens. Elle aide à nommer et éclairer les réalités des enclosures du marché et la valeur du faire en commun. Sans le langage des communs, ces deux réalités sociales restent culturellement invisibles, ou du moins marginalisées, et donc politiquement sans conséquence.

Le discours des communs fournit un moyen de faire des revendications morales et politiques que le discours politique classique préfère ignorer ou supprimer. Utiliser les concepts et la logique des communs contribue à faire naître une nouvelle cohorte de commoneurs qui peuvent reconnaître leurs affinités mutuelles et leur agenda partagé. Ils peuvent plus facilement faire valoir leurs propres valeurs et priorités souveraines en termes systémiques. Plus qu’une finesse intellectuelle, le récit philosophique cohérent des communs contribue à empêcher le capital de jouer d’un intérêt contre un autre : nature versus travail, les consommateurs versus le travail, les consommateurs versus la communauté. Grâce au langage et aux expériences de pratiques en commun, les gens peuvent commencer à se déplacer au-delà des rôles sociaux restrictifs de « travailleur » et « consommateur », et vivre une vie plus intégrée en tant qu’êtres humains à part entière. Au lieu de succomber à la tactique du diviser pour mieux régner que le capital déploie pour neutraliser les demandes de changement, le langage des communs fournit une vision holistique qui aide les diverses victimes d’abus du marché à reconnaitre leur victimisation commune, développer un nouveau récit, cultiver de nouveaux liens de solidarité et – on peut l’espérer – construire une constellation d’alternatives de travail mues par une logique différente.

Le potentiel du discours des communs pour un changement effectif ne doit pas être sous-estimé. Il suffit de voir le sinistrement brillant contre-exemple du discours analytique coûts-bénéfices, que l’industrie américaine a réussi à faire passer comme la méthode par défaut pour la santé, la réglementation environnementale, et la sécurité dans les années 1980. Cette tactique a neutralisé un ensemble de politiques sociales, éthiques et environnementales en greffant sur elles la langue de l’économie de marché et la quantification. Le discours éclipse efficacement de nombreux éléments du droit statutaire et a changé la perception globale de la réglementation. Je vois le discours des communs comme une sorte d’intervention épistémologique similaire : une façon systémique de récupérer les valeurs sociales, écologiques et éthiques de la gestion de notre richesse commune.

Conclusion

Parce que le mouvement des communs est une pulsation, un réseau vivant de commoneurs à travers le monde, il est difficile d’énoncer un plan clair ou de prédire l’avenir. Le futur paradigme ne peut se produire que par le biais d’une co-création évolutive. Pourtant, nous pouvons déjà voir la puissance expansive de l’autoréplication de l’idée de communs dans la mesure où des groupes très divers se l’approprient : les commoneurs francophones de huit pays, qui ont accueilli un festival des communs de deux semaines en octobre 2015, avec plus de 300 événements; militants urbains qui ont re-conceptualisé la « ville comme un commun » ; les Croates qui défendent leurs espaces publics et des terres côtières contre les enclosures ; les Grecs qui développent un « imaginaire méditerranéen » des communs pour lutter contre les politiques économiques néolibérales ; les peuples autochtones qui défendent leurs traditions ethnobotaniques et bioculturelles ; les militants numériques qui se mobilisent pour concevoir de nouvelles formes de « coopérativisme de plateforme » ; etc. Le langage et un cadre communs contribuent à développer de nouvelles synergies et des solidarités inattendues.

En tant que métadiscours qui a des principes de base, mais des frontières poreuses, les communs ont la capacité de parler à la fois aux mondes de la politique, de la gouvernance, de l’économie et de la culture. Il importe de noter qu’ils peuvent aussi parler de l’aliénation associée à la modernité, et des penchants naturels des populations pour les liens humains et le sens, choses que ni l’État ni le marché, tels qu’ils sont constitués actuellement, ne peuvent faire. Le paradigme des communs offre une critique philosophique profonde de l’économie néolibérale, avec des centaines d’exemples de fonctionnement qui sont de plus en plus convergents. Mais en tant qu’approche orientée vers l’action pour le changement du système, tout dépendra de l’énergie continue et de l’imagination des commoneurs, et des commoneurs potentiels, pour développer ce système de vie en réseau à l’échelle mondiale.

Le « Comité Invisible » anonyme en France a observé qu’« Une insurrection n’est pas comme l’extension d’une peste ou d’un feu de forêt — un processus linéaire, qui s’étendrait de proche à proche, à partir d’une étincelle initiale. C’est plutôt quelque chose qui prend corps comme une musique, et dont les foyers, même dispersés dans le temps et dans l’espace, parviennent à imposer le rythme de leur vibration propre ». Cela décrit l’odyssée en cours du mouvement des communs, dont les rythmes produisent beaucoup de résonance.

Article de David traduit par Maïa Dereva

Télécharger l’essai complet en français (PDF)

Version originale en anglais sur le site de The Next System Project

 

Et si on réinventait le modèle économique des appels à projets ?

Article initialement publié sur le blog wedogood.co sous Licence CC BY SA 3.0

Après avoir été nous-mêmes candidats à plusieurs appels à projets, nous nous sommes rendus compte que bien souvent leurs formats se ressemblent et… très souvent, le fonctionnement des appels à projets nous pousse à nous mettre en concurrence les uns avec les autres en tant que projets innovants, porteurs de changements. Dans l’économie naissante qu’est la notre, de l’impact positif, de la diffusion des nombreuses solutions créatives en émergence, de la collaboration, nous n’avons pas été tout à fait satisfaits de ce système.

Et chez WE DO GOOD, chercher l’innovation, la collaboration là où elle n’est pas encore née, ça nous passionne !

Alors voilà, on s’est penché sur le sujet : Comment créer un appel à projets qui crée de la solidarité, de la coopération entre les projets ? Où les candidats gagnent à tous les coups, avec des prix vraiment utiles et adaptés ? Où le fonds d’amorçage ne provient pas d’acteurs n’agissant pas (encore) pour une économie positive ?

Et enfin comment faire tout cela sans écarter le fait d’impliquer les citoyens à la réussite des lauréats… et ce sur le long terme ?

Alors, en interne et avec d’autres acteurs comme Zero Waste France (acteur clé d’une thématique que nous avions envie d’explorer), nous avons créé un appel à projets d’un nouveau genre : plus agile, plus collaboratif !

Ce mois-ci, le premier Challenge Zéro Déchet est donc lancé ! Voici ce qui le différencie, ses spécificités, comment nous avons choisis de répondre aux enjeux que nous avions perçu concernant les appels à projets.

1er atypisme : tous gagnants

La 1ère innovation de ce challenge c’est de faire en sorte que tous les projets soient “gagnants”. Comment ?

  • Chaque candidat bénéficiera au moins de visibilité et d’une implication financière,soit en devenant investisseur dans le projet lauréat du prix financier, soit en bénéficiant de ce prix (voir le 2ème atypisme pour plus de détails).
  • Nous laissons l’opportunité aux candidats de choisir les prix qui leur correspondent le mieux. Le but est de contribuer au développement des projets, là où ils en ont vraiment besoin et non pas “d’imposer” un prix. Chaque projet choisit donc le type de prix dont il a besoin entre accompagnement, financement et visibilité. De plus, les candidats peuvent sélectionner différents types de prix si leurs besoins sont multiples.

2ème atypisme : un prix financier contributif

Il faut bien le dire, un des leviers clefs pour les porteurs de projets c’est bien les fonds qui leur permettent de se lancer, de se déployer. Alors le prix financier est apparu dès le départ comme un enjeu important à traiter.

L’innovation financière de ce challenge réside donc dans la constitution du prix financier. Le prix financier est constitué de la somme des participations remises à l’inscription par chacun des candidats. Il s’agit d’un montant accessible à tous (50 € par candidature) mais qui, mis bout à bout, peut devenir un réel levier pour les lauréats. Ainsi, plus il y a de candidats, plus le prix financier est important ! Les entrepreneurs/ses sont ainsi incité(e)s à ce qu’il y ait le plus possible de leurs amis-projets dans la boucle. Cela peut faire “peur” à certains, car on pourrait se dire que plus il y a de projets, plus il y a de concurrents, mais ici ce n’est pas la logique.

D’une part, plus il y a de candidats, plus le prix financier sera important. Cela permettra de contribuer significativement au développement d’un projet ayant un réel impact en termes de réduction des déchets. Chaque nouveau candidat a donc intérêt à en motiver d’autres. D’autre part, concernant le risque de “concurrence” : soit mon besoin est clair et le prix adapté à mon besoin, alors je risque assez peu, soit ce n’est pas le cas, et je gagnerai quelque chose d’une autre façon. Comment ?

Avec cette première cagnotte constituée par les participations à l’inscription, l’idée est de pouvoir impliquer chacun des candidats dans la réussite du projet lauréat du prix financier. La clé de cette implication : les royalties ! Le prix financier n’est pas un don mais un investissement d’amorçage dans une future campagne de financement participatif sur WEDOGOOD.co. Ainsi, chaque candidat devient investisseur et directement impliqué à la réussite du projet lauréat. Il n’y a alors plus de perdant, chaque projet recevra ensuite les royalties du lauréat.

Et oui, car pourquoi s’arrêter à une cagnotte en don alors qu’on peut en faire un levier pour une implication plus large des différentes parties prenantes, ainsi que de la société civile !

Avec cette campagne, c’est l’occasion pour le lauréat de travailler sur sa communication, de mobiliser ses futurs clients ou usagers, de toucher le grand public et de l’impliquer dans le projet. Un vrai challenge pour mettre toutes les chances de réussite de son côté pour la suite ! Par ailleurs, il ne sera pas seul dans ce challenge car tous les candidats et partenaires seront déjà impliqués. Une chance d’autant plus grande pour faire une belle levée de fonds.

En somme : une véritable expérimentation collaborative

Le collaboratif et le contributif sont les clés de cette expérimentation ! Plus de quinze partenaires se sont engagés dans le Challenge Zéro Déchet, en offrant de nombreux prix pour le développement des futurs projets lauréats. Chacun participera à le sélection finale en choisissant les projets qu’il souhaite récompenser et avec qui ils souhaitent collaborer.

Alors, qui est prêt à jouer le jeu de la coopération ?

#PourUneSociétéZeroDechet #PourUneEconomieCollaborative

Découvrir le challenge Zéro Déchet

Pensez-y : la réussite de ce Challenge nous permettra de démontrer la pertinence de ce nouveau type d’appels à projets : plus agile, plus collaboratif… et peut-être de réitérer par la suite ?! Alors si vous aussi vous voulez collaborer et agir pour une société #ZeroDechet : partagez, relayez l’information autour de vous, le Challenge Zéro Déchet est lancé !

Article initialement publié sur le blog wedogood.co sous Licence CC BY SA 3.0

Refonder la légitimité. Vers l’aethogénèse

Un article de  initialement publié sur le site « la Revue du Cube« .
Reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

TRADUCTION DE LA CONFÉRENCE PRONONCÉE LORS DE :
« Consciousness Reframed – The Matter of the Immaterial »  / Art & consciousness in the post-biological era / The 18th International Research Conference In The Planetary Collegium’s Series / Shanghai, November 20-22, 2015. English version : noemalab.eu / À paraître en anglais et en chinois dans un numéro spécial de la revue : Technoetic Arts Journal, 2016.


Je ne dirai pas un mot sur la première singularité de l’Univers (le supposé Big Bang). Je ne dirai pas grand chose non plus de la seconde Singularité qui a eu lieu sur la terre et probablement aussi sur beaucoup d’autres planètes : l’explosion de codes appelée « abiogénèse » qui désigne la transition « d’un monde sans biologie vers un monde avec biologie ». La plupart des espèces qui ont émergé au cours de l’abiogénèse ont disparu ou muté, tandis qu’un petit nombre ont proliféré jusqu’à nos jours.

Je m’intéresserai surtout à la troisième Singularité : l’origine du langage humain, et surtout à ce qui pourrait conduire à la quatrième, conséquence de l’émergence possible de deux classes d’espèces vivantes artificielles : les Intelligences Artificielles Générales1)Artificial General Intelligence – AGI et les Multiplexeurs de l’Esprit2)Mindplex(es), selon l’expression de Ben Goertzel (Yudkowsky & Goertzel 2003).

L’origine politique du langage

L’anthropologue évolutionnaire Cadell Last a nommé récemment « atechnogénèse » le passage « d’un monde sans technologie à un monde avec technologie » (Last 2015). Nous vivons ce passage sur la planète Terre et il s’est sans doute produit ailleurs aussi. Selon lui, l’atechnogénèse conduirait à la naissance d’une forme de vie technologique à l’échelle cosmologique.
A la suite de Claude Lévi-Strauss et de André Leroi-Gourhan, nous pouvons facilement imaginer que l’atechnogénèse sur notre planète remonte à l’émergence du genre Homo lui-même, c’est-à-dire, à l’émergence d’un proto-langage chez certains hominidés conjointement à leur invention des premiers outils. Le chercheur en Sciences Cognitives Jean-Louis Dessalles précise ce lien entre langage et technologies : il avance des arguments solides qui suggèrent que l’invention des armes a constitué La Singularité qui a déclenché l’explosion de nos codes symboliques (Dessalles 2014).

Selon sa théorie, l’arme dans sa version la plus préhistorique aurait brutalement rendu obsolète l’ordre social fondé sur la domination physique. Pour la première fois, les armes auraient permis aux hominidés de tuer à moindre risque, non seulement les bêtes sauvages, mais surtout leurs pairs dominants.

« Dès lors que pour une raison quelconque, le meurtre est devenu facile chez nos ancêtres hominidés, le droit absolu du plus fort est instantanément devenu obsolète. »

La crise politique induit par cette menace armée des dominés envers les dominants aurait fait peser une pression énorme sur notre espèce, au point de devenir un facteur de la Sélection Naturelle. Les individus dont le comportement pouvait contribuer à la survie collective auraient été privilégiés, à savoir ceux qui étaient capables d’identifier les signes inattendus de danger pour la tribu, et de les communiquer à leurs pairs, par un geste de la main, un son, puis plus tard par un langage de plus en plus articulé.

Comme analysé par Dessalles, le langage aurait été la Stratégie Evolutivement Stable3)Stratégie évolutivement stable – SES nous ayant permis d’échapper à la crise politique déclenchée par l’invention des armes. Le langage aurait renversé la force brute pour devenir notre principale activité ainsi que le moteur de notre organisation sociale.

La quatrième Singularité ?

Si les armes ont joué le rôle de facteur déclenchant dans l’apparition de notre langage, ces deux éléments ont continué à évoluer conjointement au point de devenir presque inséparables. Nous vivons maintenant dans leur enchevêtrement complexe. Plus raffinée encore que les armes militaires, je crois que la mère de toutes les armes relève du langage lui-même. Elle est invisible, immatérielle et essentiellement d’ordre logique. Il s’agit de la monnaie.

Alors que les armes primordiales auraient permis aux dominés de menacer les dominants, l’arme monétaire est au contraire placée essentiellement entre les mains des dominants (qui ne doivent pas être confondus avec les élites, on le verra). La monnaie n’est pas seulement un code d’interaction sociale favorisant une classe au détriment d’une autre ; en tant que moteur du développement technologique, elle est devenue depuis peu un instrument de domination totale. En effet, le capital – traditionnellement considéré comme l’accumulation des stocks et des moyens de production – s’est récemment dématérialisé sous la forme de valeurs économiques et symboliques complexes, activées par des robots et des intelligences artificielles qui travaillent pour un nombre toujours plus réduit de personnes, à savoir la classe « vectorielle » : celle qui possède les vecteurs de nos interactions (Wark 2004). Entre ses mains, l’arme monétaire est à la fois l’objectif et l’instrument d’une cyberguerre systémique globale.

Qui n’a pas encore remarqué que cette concentration exponentielle laisse autour d’elle de vastes zones désertiques, où la monnaie comme les autres valeurs économiques et symboliques sont maintenues sous perfusion dans le meilleur des cas ? Le code monétaire, basé sur la création de la monnaie par la dette (Graeber 2013), apparaît donc de plus en plus comme un système d’exploitation carnivore qui conduit inévitablement à la destruction. Tout se passe comme si son emballement permettait à une sorte de système quasi vivant d’exercer une prédation systémique sur notre espèce. En d’autres termes, l’arme monétaire peut tuer aveuglément et en toute sécurité nos semblables humains (ainsi que les animaux), quelles que soient leurs aptitudes sociales ou intellectuelles, au point que l’ordre ancien basé sur le langage semble être devenu obsolète.

Ainsi, notre espèce parait être soumise à un nouveau stress politique, semblable à celui qui a conduit à l’invention du langage, mais en sens inverse (dominants > dominés). Que représente donc un phénomène d’une telle amplitude, si ce n’est l’annonce d’une nouvelle Singularité ?

De nombreux chercheurs pensent que la crise économique qui concentre toutes les autres crises, conduit tout droit à une Singularité. Certains envisagent une reconstruction ex-nihilo du système sur la base d’un processus de création monétaire fondé sur l’humain (Laborde 2010). D’autres imaginent se passer de monnaie en mettant en relation l’offre et la demande par d’autres moyens (Heylighen, 2015). On ne compte plus les propositions de Modèles de Monnaies Alternatives4)Alternative Currency Model – ACM : Bitcoin, Ethereum, MaidSafe, Bitnation, OpenUDC, Ucoin, Bitproof, les hypothétiques monnaies de Facebook ou de Google, etc. qui constituent autant de germes d’ordres monétaires possibles. Certains pourraient être salutaires, mais d’autres pourraient aussi opérer une domination pire encore que le système actuel.

Si ces modèles monétaires sont de nouvelles armes, elles devraient être contrôlées a priori dans une certaine perspective. Mais dans la pratique, les Organisations Autonomes Distribuées5)Distributed Autonomous Organization – DAO fondées sur ces modèles monétaires poussent partout comme des générations spontanées d’espèces vivantes artificielles dans une sorte d’écologie de transition. Ces espèces sont en concurrence les unes avec les autres, étant donné qu’elles essaient toutes de proliférer sur le même champ de nos relations économiques. Nous savons qu’elles vont se combiner, muter ou disparaître jusqu’à ce qu’un nouvel écosystème revitalisé émerge.

Parmi les différents scénarios que j’explorerai dans la dernière partie de cet article, se cache la voie de notre Stratégie évolutivement Stable. Comment la détecter ? La sélectionner et la construire? Je soutiendrai que tout est une question de légitimité.

Les Perspectives Anoptiques comme modèle de conscience cognitive

Pour nous aider, nous pouvons tenter d’observer un fait passé relativement inaperçu depuis le début de la révolution industrielle, en particulier depuis l’émergence des télécommunications ; à savoir l’émergence de deux perspectives invisibles structurant la topologie des réseaux. Comme ces perspectives sont invisibles, je propose de les appeler Perspectives Anoptiques (c’est à dire non optique) par analogie à la Perspective Optique de la Renaissance (Auber, 2001).

Filippo Brunelleschi (1377-1315 Avril, 1446) était un ingénieur italien et un personnage clé dans le domaine de l’architecture. Il est célèbre pour son expérience dite de « la tavoletta » illustrant pour la première fois autour de 1413 la géométrie de la Perspective Optique.

Filippo Brunelleschi (1377-1315 Avril, 1446) était un ingénieur italien et un personnage clé dans le domaine de l’architecture.
Il est célèbre pour son expérience dite de « la tavoletta » illustrant pour la première fois autour de 1413 la géométrie de la Perspective Optique.

Tout comme l’expérience de Brunelleschi a montré les principes de construction de la Perspective Optique au début de la Renaissance, l’observation et la pratique d’une expérience d’art en réseau très simple, appelée le Générateur poïétique6)Poietic Generator, peut nous laisser deviner les principes des Perspectives Anoptiques.

Le Générateur poïétique. 1) Première projection urbaine. Bruxelles 2013, 2) Maquette pour une performance collective, Shanghai Institute of Visual Art, 2015.

Le Générateur poïétique. 1) Première projection urbaine. Bruxelles 2013, 2) Maquette pour une performance collective, Shanghai Institute of Visual Art, 2015.

Le Générateur poïétique permet à un grand nombre de personnes d’interagir collectivement en temps réel en réseau. L’expérience peut fonctionner soit sur un réseau centralisé, soit sur un réseau distribué pair-à-pair. Dans les deux cas, le Générateur poïétique crée apparemment le même type d’interaction humaine : une boucle de rétroaction entre les individus et le groupe produit l’émergence de formes imprévisibles qui peuvent être vues et interprétées par tous, et sur lesquelles chacun peut agir.

Le Générateur poïétique peut être considéré comme un modèle générique de multiples systèmes complexes tels que les marchés financiers, les réseaux de type écologique, urbain, informationnel, etc. dans lesquels chacun est impliqué quotidiennement. Mais contrairement à ces réseaux « réels », souvent opaques quant à leurs règles et leurs infrastructures, le Générateur poïétique, lui, est parfaitement transparent : tout y est connu ou connaissable, en particulier le fait qu’il fonctionne de manière centralisée ou bien distribuée. En effet, les réseaux qui déterminent l’ensemble des valeurs économiques et symboliques, peuvent fonctionner selon ces deux architectures. Si dans la plupart des cas, c’est l’architecture centrée qui s’est imposée, c’est pour des raisons que la suite laisse deviner.

Dans le cas d’une architecture de réseau centré, on peut parler d’une Perspective Temporelle (PT). En effet, le centre est le lieu physique où le temps subjectif du réseau émerge à chaque instant via l’interaction entre ses membres. On peut voir ce lieu physique comme un « Point de fuite temporel ». Il peut s’agir, par exemple, d’un serveur.

point-de-fuite

Dans le cas d’une architecture distribuée pair-à-pair, on peut parler d’une Perspective numérique (PN) car c’est un code numérique arbitraire qui garantit l’émergence du temps subjectif du réseau en chacun de ses nœuds. On peut voir ce code comme un « code de fuite ». Il peut s’agir, par exemple, d’une adresse IP de groupe, d’un hashtag, d’un blockchain, et si l’on se place dans le cadre d’un réseau biologique, d’une molécule, d’une séquence d’ADN, etc.

Ces deux nouvelles Perspectives Anoptiques (PT et PN) dévoilées par le Générateur poïétique, partagent de nombreux attributs topologiques et symboliques avec la Perspective Optique.

En particulier, dans les deux architectures de réseau, le point/code de fuite est le symbole de l’infini et de l’inconnaissable. En effet, même si ceux-ci sont parfaitement localisés et définis (le serveur est quelque part, le code source du réseau est accessible et lisible par tous), l’émergence de l’image globale et les phénomènes qui s’y déroulent restent parfaitement imprévisibles.

Le point/code de fuite est également l’homologue d’un certain point de vue, analogue à l’œil du peintre dans la Perspective Optique. Ce point de vue définit l’ensemble des règles du réseau. Dans le cas de l’expérience du Générateur poïétique, il s’agit tout simplement de mon propre point de vue.

Enfin, de la même façon que la Perspective Optique s’appuie sur des règles de construction géométriques, les Perspectives Anoptiques, quant à elles, sont construites sur des principes cognitifs. À cet égard, il est possible de définir des critères de légitimité pour la construction des Perspectives Anoptiques, tout comme les peintres et les architectes de la Renaissance ont défini les règles qui permettent de construire une Perspective Optique légitime.

La légitimité des Perspectives Anoptiques peut être observée dans les conditions qui déterminent la boucle de rétroaction entre les agents locaux et l’émergence globale. En première approximation, on peut considérer que, si la boucle de rétroaction est soigneusement réalisée sans aucune manipulation externe ; c’est à dire si chaque agent du réseau peut observer sa propre action parmi celles de tous les autres, alors il est possible de prétendre que la Perspective Anoptique obtenue est légitime. Dans ce cas, on peut observer cette légitimité dans les patterns qui émergent du point/code de fuite : le réseau global, tel un pur organisme vivant, se comporte alors comme un système autopoïétique doué d’une clôture opérationnelle (Maturana et Varela 1992).

Au contraire, la légitimité de la Perspective Anoptique n’est pas atteinte dans le cas où certaines manipulations externes cassent ou perturbent la boucle de rétroaction en injectant des données étrangères, ou bien en modifiant, cachant ou retenant certaines actions des agents. Dans ce cas, nous pouvons dire que les agents sont «aliénés» (au sens cybernétique défini par Heinz von Foerster) ; c’est-à-dire que ceux-ci ne peuvent observer ou reconnaître leur propre trace dans le tout. On peut observer les marques de ces manipulations dans les patterns émergeant du système, bien que cela reste difficile parce que le réseau se comporte “comme” un organisme vivant; c’est à dire un organisme quasi-vivant qui imite la vie selon un certain modèle de la vie injecté par le ou les auteur(s) de la manipulation, consciemment ou inconsciemment.

Ces manipulations des boucles de rétroaction sont appelées par mon amie Florence Meichel : « Noloop7)Meichel F. Noloops ». Elle trouve des noloops dans tous les recoins de l’activité humaine (dans l’industrie, les médias, la finance, la politique, les religions, les sciences, et surtout dans les «réseaux sociaux»). Cela n’est pas étonnant. En effet, dans un contexte où les «couplages structurels de troisième ordre » entre les systèmes (Maturana et Varela, 1992) sont partout, les noloops sont la norme. La pratique des «réseaux sociaux» (qui sont en fait des «silos sociaux» interconnectés) en donne une très bonne illustration. Certains phénomènes de noloop sont bien connus et tolérés en quelque sorte. D’autres sont cachés et sont très problématiques d’un point de vue éthique (songeons aux algorithmes menteurs de Volkswagen, etc.).

Sur cette base, je vais essayer de définir plus précisément la notion de légitimité des Perspectives Anoptiques, non pas en termes philosophiques, moraux, politiques ou juridiques, mais en termes cognitifs.

Trois critères de légitimité (A, AB, ABC)

Les noloops appellent une réflexion sur la « tricherie » et sur l’« autonomie ». Ces notions peuvent être considérées dans le cadre du modèle de langage humain élaboré par Dessalles que je prends le risque de résumer ici de manière lapidaire en une seule phrase : « la signalisation des événements inattendus permet aux individus de renforcer leur réseau social afin de réduire leurs chances d’être tués par surprise ».

Certains pairs choisissent une stratégie de « signalisation honnête ». Leur principale qualité est de « détecter les incohérences ou de restaurer la cohérence ». Les pairs qui montrent cette capacité, entre autres qualités, sont acceptés en priorité comme membres du groupe et, au fur et à mesure, ils en forment l’« élite ».

A l’inverse, certains individus choisissent de tricher afin d’obtenir une position dominante à moindre coût. Les tricheurs de base sont ceux qui signalent à tort et à travers des événements non pertinents pour tenter d’obtenir un peu d’attention ou certains avantages de la part d’autres individus. Les tricheurs de ce type sont facilement neutralisés par les élites qui ont la capacité de « rétablir la cohérence ». Ils n’ont aucun mal à détruire la réputation des premiers.

Il existe bien sûr d’innombrables autres stratégies de triche qui sont beaucoup plus difficiles à détecter. Les contre-mesures sont également nombreuses. Cependant, une chose n’est pas considérée à ce jour dans le cadre théorique proposé par Dessalles, à savoir : les stratégies de triche peuvent impliquer les vecteurs de l’activité de signalisation ; c’est-à-dire aujourd’hui : les réseaux et la technologie en général. Nous pouvons essayer de classer ces stratégies de « triche vectorielle » à la lumière des Perspectives Anoptiques. Ainsi, la triche peut intervenir aux trois niveaux principaux de ces perspectives :

1) au niveau des pairs,
2) au niveau du réseau,
3) au niveau du point/code de fuite.

En voici quelques exemples pris parmi les pratiques contemporaines :

Niveau des pairs : Signalisation exagérée, faux signal, injection de bruit, transaction haute fréquence, identités multiples, vol d’identité, virus, comportement moutonnier, harcèlement, etc.

Niveau du réseau : Espionnage, filtrage en temps réel, portes dérobées, Deep Packet Inspection, manipulation de compteurs et graphes sociaux, coupure de réseau intentionnelle, etc.

Niveau du point/code de fuite : Biais Institutionnel, hégémonie culturelle, incitation et fiction manipulatoires, système de Ponzi, algorithmes menteurs, injection de modèles non pertinents, corporatisme, vedettariat, monopole, prise de pouvoir, coup d’état, aveuglement paradigmatique, etc.

Toutes ces stratégies de tricherie appliquées aux vecteurs de notre activité de signalisation ont tendance à nous empêcher d’évaluer les situations et à nous induire en erreur. Dans la situation d’aliénation où nous sommes, même si notre capacité à « rétablir la cohérence » est grande, nous ne pouvons pas être reconnus comme tels par le groupe (et éventuellement accéder à une position d’élite). Dans les niches écologiques définies par ces tricheries, les positions dominantes sont donc accaparées par les tricheurs (qu’ils trichent consciemment ou non).

La généralisation des stratégies de “triche vectorielle” donne une explication cognitive à la nouvelle crise politique traversée par notre espèce en phase aiguë de technogénèse : ces stratégies permettent aux dominants, non seulement d’établir une prédation systémique sur les dominés, mais aussi de neutraliser définitivement les élites qui pourraient/devraient rétablir la cohérence. Cela conduit à une rupture globale de cohérence ; une inadéquation complète entre le comportement de nos organisations et leur environnement.

Dans ces conditions dramatiques, les pairs doivent trouver d’urgence des contre-mesures pour désamorcer la “triche vectorielle” et recouvrer leur autonomie et leur capacité de jugement. Trois critères pourraient aider les agents/pairs/utilisateurs à évaluer la légitimité de tout réseau (de type centré [PT] ou distribué [PN]) auquel il/elle appartient :

A) Tout agent A a-t-il le droit réel d’accéder au réseau s’il en fait la demande? A peut-il quitter le réseau librement ?
AB) Tout agent B (présent ou futur, y compris les agents qui conçoivent, gèrent et développent le réseau) est-il traité comme A ?
ABC) Si trois agents A, B et C (trois étant le début d’une multitude) appartiennent à un réseau qui répond aux deux premiers critères, constituent ils des pairs? Autrement dit, sont-ils en mesure de se reconnaître, de se faire confiance, de se respecter les uns les autres, de construire des représentations communes et du sens commun ?

Exprimé autrement :

Le critère A vise à éviter toute forme de prise d’otages : les individus restent libres d’entrer et de sortir. Les réseaux qu’ils pratiquent sont appréciés en vertu de ce critère pour leur “valeur d’échange” et leur “valeur d’usage”. Au contraire, les réseaux qui pour des raisons techniques sont irréversibles, ou ceux construits pour maximiser leur “valeur d’otage” à des fins spéculatives et prédatrices sont écartés.

Le critère AB propose d’évaluer la symétrie du réseau en termes de réciprocité. Les réseaux dont le design produit mécaniquement des concentrations de pouvoir sont abandonnés.

Le critère ABC est le plus complexe. Il propose de s’interroger sur la notion de “pair” sans apporter de réponse définitive. Suffit-il qu’un pair fasse partie de mon réseau pour que je le considère comme tel ? Inversement, un pair qui ne ferait pas partie de mon réseau ne peut-il pas néanmoins être considéré comme tel ? Un pair est-il nécessairement humain ? Peut-il être non-humain ? Si oui, dans quelle proportion ?

A ces questions, personne n’échappera à l’heure de l’atechnogénèse et il est probable que les réponses seront contingentes et évolutives. Néanmoins un début de réponse générique est donné dans le cadre des Perspectives Anoptiques. En effet, en dernier ressort, ce critère ABC propose de s’interroger sur les projections imaginaires que nous opérons sur les réseaux et autres artefacts technologiques. On sait que dans une certaine mesure, ceux-ci jouent le rôle d’ “objets transitionnels” (Winnicott), d’ “objets pulsionnels” (Freud) ou d’ “objets a” (Lacan). Dit en termes de Perspectives Anoptiques, nous ne pouvons pas ne pas projeter sur leur points/codes de fuite, notre désir, notre manque, notre besoin de symbolique, en bref, ce qui nous relie à l’Autre et nous en différencie. Or, on l’a vu, ces points/codes de fuite anoptiques sont parfaitement inconnaissables. En conséquence, c’est le deuil partagé de leur maîtrise et de leur connaissance qui constitue paradoxalement le socle commun de nos liens sociaux.

Concrètement : de la même manière qu’à l’époque Baroque, on a occulté le point de fuite des tableaux peints “en perspective” avec le Christ, la Sainte-Vierge, ou la colombe du Saint-Esprit, aujourd’hui, nous superposons aux points/codes de fuite des réseaux des notions abstraites et des mots d’ordre politiques; selon les cas : “le marché”, “la performance”, “la compétitivité”, “la communication”, etc. Demain peut-être, on plaquera des notions telles que : “l’allongement de la vie”, voire “la vie éternelle”. De fait, ces mots d’ordre excluent les pairs qui ne situent pas dans “le marché, qui ne sont ni “performants” ni “compétitifs”, ceux savent vivre sans l’illusion de la “communication” ou de la “vie éternelle”. De fait donc, le réseau effectue une sélection des pairs. Or, comme on va le voir, la stricte légitimité des Perspectives Anoptiques voudrait que ce soit l’inverse : que les pairs sélectionnent les réseaux.

Pour conclure ce paragraphe, notons que les critères de légitimité exprimés ci-dessus (A, AB, ABC) s’inscrivent dans la lignée de nombreuses tentatives au travers desquelles les hommes ont cherché à rétablir une certaine cohérence. Notamment, ces critères proposent une reformulation appropriée aux réseaux, d’anciens principes quelque peu oubliés comme ceux de la République Française : LIBERTÉ – ÉGALITÉ – FRATERNITÉ. On peut aussi considérer que ces critères de légitimité tentent de généraliser les principes du logiciel libre (Richard Stallman, 1983) à l’ensemble des systèmes informationnels.

Quatre scénarios d’évolution

La culture de la Perspective Optique a pris environ deux siècles pour se répandre dans le monde après l’expérience de Brunelleschi dans les années 1400. Cela a eu un énorme impact. La Perspective Optique est rapidement devenue le principal outil que nous ayons eu pour nous projeter dans le temps et l’espace, c’est à dire pour évaluer les distances, le temps et l’énergie nécessaires pour les traverser, ainsi que des ressources qui pourraient être recueillies. Cette culture était certainement l’outil intellectuel pertinent au temps des conquérants, des explorateurs et des constructeurs.

Ce n’est plus le cas à présent. Comme l’a annoncé la déconstruction de l’espace opérée par certains artistes du XXe siècle, les Perspectives Anoptiques qui président au développement des réseaux ont pris le pas désormais sur la Perspective Optique qui organise notre perception de l’espace.

Malgré les avertissements de ces artistes, la Perspective Optique reste malheureusement le mode de représentation et l’imaginaire dominants de notre société. En particulier, cet imaginaire incohérent avec la nature du milieu dans lequel nous vivons désormais, affecte directement le système monétaire actuel. Tout se passe en effet comme si nos relations sociales ainsi que nos esprits étaient considérés comme des territoires qui peuvent être conquis, occupés et exploités. À cet égard, le capitalisme émotionnel (Pierre & Alloing 2015), – c’est-à-dire l’industrialisation totale de nos émotions -, semble constituer une description pertinente de cette dérive éthique.

La culture de la Perspective Anoptique pourrait proposer une contre-mesure à cette dérive. Pour comprendre les phénomènes qu’elle peut déclencher, plaçons-nous encore une fois dans le cadre théorique de Dessalles8)Théorie de la Simplicité :

A partir de ses hypothèses sur l’origine et la fonction du langage humain, Dessalles déduit un modèle mathématique de notre activité de signalisation validé par des données réelles. En résumé : le niveau de notre activité de signalisation et notre attractivité personnelle sont liés d’une manière surprenante. On peut observer trois groupes de personnes sur ce diagramme :

L’axe des ordonnées mesure le niveau de signalisation individuel. L’axe des abscisses mesure la dimension socialement recherchée appelée “Qualité”, à savoir l’attractivité potentielle de l’individu qui conditionne la taille de son réseau social personnel. A partir de Dessalles, J-L. (2014). Optimal Investment in Social Signals. Evolution, 68 (6), 1640-1650. P.9.

L’axe des ordonnées mesure le niveau de signalisation individuel. L’axe des abscisses mesure la dimension socialement recherchée appelée “Qualité”, à savoir l’attractivité potentielle de l’individu qui conditionne la taille de son réseau social personnel. A partir de Dessalles, J-L. (2014). Optimal Investment in Social Signals. Evolution, 68 (6), 1640-1650. P.9.

La partie gauche de la courbe comprend les individus qui affichent une faible attractivité et ne bénéficient que d’un réseau social personnel limité. Ces individus déploient une faible activité de signalisation.

La partie centrale comprend des individus en compétition les uns avec les autres quant à leur activité de signalisation afin d’accroître leur attractivité personnelle et donc la taille de leurs réseaux sociaux respectifs.

Dans la partie droite de la courbe, l’attractivité personnelle importante des individus n’impacte pratiquement plus leur activité de signalisation qui reste limitée relativement à leur statut social. Les individus de ce groupe ne sont que très faiblement en compétition les uns avec les autres.

Ainsi, cette modélisation directement déduite des caractéristiques de notre langage, montre combien la forme de notre hiérarchie sociale est elle-même un aspect de notre Stratégie Evolutivement Stable (ESS). Dès lors, la question est de savoir si l’industrialisation généralisée (vectorisation) de notre activité de signalisation sociale mise en oeuvre par des réseaux centralisés ou distribués, aura une incidence sur notre ESS, et si une certaine prise de conscience des Perspectives Anoptiques à l’oeuvre sur ces réseaux pourra produire un certain changement ?

Au seuil de la quatrième Singularité, quatre scénarios d’évolution de notre actuelle ESS sont proposés ci-dessous à la discussion :

Quatre scénarios d’évolution de notre ESS actuelle (courbe S noire ), au seuil de la quatrième Singularité. S’ (rouge) : concentration opérée par les réseaux centralisés S’’ (pointillés rouges) : centralisation autour d’une Intelligence Artificielle Générale (AGI) Z (vert) : Acculturation aux Perspectives Anoptiques et développement d’un Système Immunitaire Global. Z’’ (pointillés verts) : Mindplexes, Cerveau Global (Global Brain)

Quatre scénarios d’évolution de notre ESS actuelle (courbe S noire ), au seuil de la quatrième Singularité. S’ (rouge) : concentration opérée par les réseaux centralisés S’’ (pointillés rouges) : centralisation autour d’une Intelligence Artificielle Générale (AGI) Z (vert) : Acculturation aux Perspectives Anoptiques et développement d’un Système Immunitaire Global. Z’’ (pointillés verts) : Mindplexes, Cerveau Global (Global Brain)

Scénario n° 1. La concentration de l’économie entre les mains de quelques-uns a tendance à transformer la courbe initiale S noire en la courbe rouge S ‘. Cela signifierait :

  • Section S’1 : une plus grande proportion d’individus peu attractifs avec un réseau social pauvre et un faible niveau de signalisation.
  • Section S’2 : plus de concurrence encore entre les individus de la classe compétitive, celle-ci étant proportionnellement plus limitée en nombre.
  • Section S’3 : proportionnellement moins d’individus dans la classe non compétitive dont les membres sont d’autant plus attractifs qu’ils sont moins nombreux.

Cette transformation S-> S ‘ne modifie pas la forme de la courbe S. En conséquence, il n’y a pas dans ce scénario de transformation fondamentale de notre ESS, malgré toutes les prétendues “disruptions” promises par la technologie. De même si l’on extrapole S’ en S’’ :

Scénario n° 2. S’’ suggère qu’une ou plusieurs Intelligences Artificielles Générales (AGI) – éventuellement contrôlées par quelques rares dominants érigés en demi-dieux – ont pris le contrôle de toute l’espèce humaine et ont transformés tous les individus en zombies asociaux. Beaucoup s’accorderont pour dire que cela n’est pas vraiment un scénario souhaitable. Cependant, certaines personnes imaginent que la délégation de tous les aspects de la vie aux machines soit la seule et unique solution pour résoudre les problèmes humains.

Scénario n° 3. Ce scénario oblige à faire une hypothèse audacieuse : imaginons par exemple qu’un scandale fasse éclater au grand jour les conséquences éthiques désastreuses des réseaux centralisés et de leur perspective temporelle illégitime (l’exploitation par quelques-uns des émotions des masses). Imaginons que par la suite, la culture des Perspectives Anoptiques commence à se propager dans le monde, propulsée par la nécessité vitale des peuples à recouvrer une certaine autonomie. Imaginez que ces événements conduisent à un point de basculement où le deuxième type de Perspective Anoptique (la Perspective Numérique) devienne dominante. Ainsi, S pourrait évoluer vers sa forme inverse, à savoir la courbe Z verte. Cela signifierait :

  • Section Z1: une socialisation rapide des individus situés en bas de l’échelle.
  • Section Z2: moins de compétition dans une classe moyenne plus nombreuse. Ô joie !
  • Section Z3: Une élite compétitive remplaçant les dominants non compétitifs.

L’inversion de forme S-> Z suggère donc que nous aurions changé de stratégie afin de rétablir la cohérence et l’autonomie de notre société. Notre langage se serait adapté pour prendre à nouveau le pas sur la force brute et l’utilisation abusive de notre armement, notamment la monnaie.

Scénario n° 4. On peut aussi extrapoler Z en Z’. La courbe Z’ (pointillés verts) suggère la formation de sortes de Mindplexes, c’est-à-dire des combinaisons entre intelligences artificielles et esprits humains. Les Mindplexes ouvriraient la voie vers un Cerveau Global9)Global Brain Institute où un langage radicalement nouveau, comme par exemple celui développé par Pierre Lévy10)IEML (Information Economy Meta-Language) est un langage de ce type proposé par Pierre Lévy., serait pratiqué entre les êtres humains et entre les humains et les machines. Selon Francis Heylighen, le Cerveau Global serait une sorte de retour à l’Eden (Heylighen 2014).

Cette hypothèse de transformation Z->Z’ mettrait définitivement le monde sous le règne de la Perspective Numérique régissant les réseaux distribués. Son code de fuite serait un modèle de monnaie alternative (ACM) ou plus généralement un protocole d’échange pouvant être considéré comme une nouvelle arme imposant le nouvel ordre social. Dans ce cas cependant, il n’est pas difficile d’imaginer à quel point les questions de légitimité resteraient épineuses en raison de la complexité indescriptible des réseaux distribués. Seule la conscience aiguë et permanente de tous les agents pourrait prévenir les possibles prises de pouvoir par certains systèmes illégitimes ou par des espèces artificielles prédatrices. En d’autres termes, si un jour, le Cerveau Global devient une réalité, il aura besoin d’un Système Immunitaire Global pour assurer sa viabilité.

Vers l’aéthogénèse

L’hypothèse évolutionnaire explorée ici déroge au cadre admis de la théorie Darwinienne dont la notion d’avantage collectif ne fait pas partie. En effet, pour Darwin et ses successeurs, la pression sélective pèse exclusivement sur les individus. Néanmoins, Darwin lui-même, a noté que la pression sélective sur les individus peut conduire paradoxalement à la sélection de comportements anti-sélectifs. Cet “effet réversif” (Tort 1983) induit donc une forme de sélection des organisations sociales vues comme des espèces quasi vivantes.

Il est fait ici l’hypothèse que les êtres humains sont dotés de ressources cognitives spécifiques leur permettant de d’envisager les perspectives créées par leur propre technologie : après la Perspective Optique que nous avons su mettre à profit pour le développement de notre espèce, ce serait le tour des Perspectives Anoptiques. En tant qu’agents des réseaux structurés par les Perspectives Anoptiques , nous sommes restés jusqu’à présent (sur la courbe S), le plus souvent dans la position de “sélectionnés”, laissant le soin à ces perspectives de façonner notre imagination et nos jugements. Mais en prenant conscience des dîtes perspectives et en questionnant leur légitimité, nous pourrions choisir d’évoluer (vers les courbes Z et Z’) en nous plaçant en position de “sélectionneurs” des espèces collectives quasi-vivantes dont nous faisons partie.

Le Système Immunitaire Global auquel nous participerions ainsi, sélectionnerait ces espèces artificielles selon leur Légitimité jouant le rôle d’avantage évolutionnaire. Ce Système Immunitaire serait une mise à jour pertinente et proportionnée de notre stratégie Evolutivement Stable qui pourrait conduire vers une nouvelle ère que je propose d’appeler “Aethogénèse”, c’est à dire le passage d’un monde sans éthique à un monde avec éthique. L’ Aethogénèse, en tant que quatrième Singularité, déclencherait une nouvelle explosion de codes respectant les êtres de toutes les espèces, à commencer par la nôtre.

Olivier Auber

Image d’en-tête : Abraham Bosse: Les perspecteurs. Paris, Pierre des Hayes, 1647-48. BNF.

BIBLIOGRAPHIE

Auber O. (2001). Du Générateur poïétique à la Perspective Numérique. Revue d’Esthétique n°39 dirigée par Anne Cauquelin. Éditions Jean-Michel Place.

Dessalles J.L. (2014). Why talk?. In D. Dor, C. Knight & J. Lewis (Eds.), The social origins of language, 284–296. Oxford University Press.

Dessalles, J-L. (2014). Optimal Investment in Social Signals. Evolution, 68 (6), 1640-1650.

Goertzel B. (2003). Mindplexes. The Potential Emergence of Multiple Levels of Focused Consciousness in Communities of AI’s and Humans. Dynapsyc.

Graeber D. (2013). Dette : 5,000 d’histoire, Les Liens qui libèrent Ed.

Heylighen, F. (2016). Towards an Intelligent Network for Matching Offer and Demand: from the sharing economy to the Global Brain. Technological Forecasting & Social Change, in press. Retrieved from globalbraininstitute.github.io

Heylighen, F. (2014). Return to Eden? Promises and Perils on the Road to a Global Superintelligence. In B. Goertzel & T. Goertzel (Eds.), The End of the Beginning: Life, Society and Economy on the Brink of the Singularity. Humanity+ Press.

Laborde S. (2010). Théorie Relative de la Monnaie. trm.creationmonetaire.info

Last, C. (2015). Big Historical Foundations for Deep Future Speculations: Cosmic Evolution, Atechnogenesis, and Technocultural Civilization. Foundations of Science.

Maturana U, Varela F. (1992). Tree of Knowledge, The biological roots of human undestanding. Revised Edition.

Pierre J., Alloing C. (2015). Questionner le digital labor par le prisme des émotions : le capitalisme affectif comme métadispositif ? HAL

Stallman R. (1983). GNU General Public License.

Tort P (1983), La pensée hiérarchique et l’évolution, Paris, Aubier, p. 165 et 166-197 (« L’effet réversif et sa logique”).

Wark, McKenzie (2004). A Hacker Manifesto. Harvard University Press.

Références   [ + ]

1. Artificial General Intelligence – AGI
2. Mindplex(es), selon l’expression de Ben Goertzel (Yudkowsky & Goertzel 2003)
3. Stratégie évolutivement stable – SES
4. Alternative Currency Model – ACM : Bitcoin, Ethereum, MaidSafe, Bitnation, OpenUDC, Ucoin, Bitproof, les hypothétiques monnaies de Facebook ou de Google, etc.
5. Distributed Autonomous Organization – DAO
6. Poietic Generator
7. Meichel F. Noloops
8. Théorie de la Simplicité
9. Global Brain Institute
10. IEML (Information Economy Meta-Language) est un langage de ce type proposé par Pierre Lévy.

Essai d’approche systémique des communs et de l’ESS

Si des proximités entre communs et économie sociale et solidaire (ESS) sont souvent repérées, ne serait-ce que par les valeurs auxquelles ces deux concepts se réfèrent, leur façonnage pour leur donner un véritable sens commun paraît encore problématique. Aussi je propose de les articuler avec une approche systémique, l’hypothèse étant qu’un tel système, à la fois économique, social et environnemental, serait à terme en capacité de réellement mettre en difficulté le système néolibéral.

Nous sommes dans une situation on ne peut plus paradoxale :

D’un côté le système néolibéral  d’une logique implacable avec un regroupement d’intérêts particuliers considérés comme universels en favorisant la finance mondialisée et l’enclosure des ressources naturelles, y compris l’eau, tel que le suggère Peter Brabeck, PDG de Nestlé : « Les ONG ont un avis extrême quant au problème de l’accès à l’eau. Elles souhaitent que l’accès à l’eau soit nationalisé, c’est-à-dire que tout le monde puisse avoir accès à l’eau. Mon point de vue n’est pas celui-ci. Il faut que l’eau soit considérée comme une denrée, et comme toute denrée alimentaire, qu’elle ait une valeur, un coût.1)Dans “We Feed the World” (‘’Le marché de la faim’’). 2005, documentaire d’Erwin Wagenhofer et Jean Ziegler » Cette logique conduit, en fait, au maintien de grandes inégalités mondiales et locales. On se retrouve là, face à un mur impressionnant par sa solidité et sur lequel se heurte toute opposition politique et sociale depuis deux siècles.

D’un autre côté, issue de la société civile, une logique d’expérimentations, de solidarités, de mises en communs, révèle d’autres modes de vie, d’autres manières de faire, laissant apparaître un possible imaginaire social qui pourrait générer un flux créatif nous éloignant de « Ce cauchemar qui n’en finit pas » 2)Pierre Dardot, Christian Laval. Ce cauchemar qui n’en finit pas. Comment le néolibéralisme défait la démocratie. Paris : 2016, La Découverte. Est-ce pour autant, même à l’état embryonnaire, l’amorce d’un autre système en mesure de s’opposer en pratique, et non seulement dans le dire, à l’actuel système dominant dont l’un des porte-parole, Warren Buffet, déclare : « Il y a une lutte des classes, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner3)Interview sur CNN le 25/05/2005 et dans le New York Times le 26/11/2006 . » Ce à quoi Monique et Michel Pinçon répondent4)Le Président des riches. Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy. Paris : 2010, La Découverte : « Que faire des riches ? Nous répondons, contre toute attente probablement : suivre leur exemple ! Voilà des gens qui ont une imminente conscience de leur classe, qui est solidaire quand la mode est à l’individualisme, qui sont organisés et mobilisés, qui défendent énergiquement leurs intérêts. Faisons comme eux, battons-nous ! » Ce que font déjà, et depuis bien longtemps, bon nombre de gens, mais sans vraiment parvenir à bouleverser un ordre solidement établi.

Les conditions d’un affrontement apparaissent en effet tellement disproportionnées, qu’il y a de quoi se décourager et douter d’une possible inversion systémique… « La population s’enfonce dans la privatisation, abandonnant le domaine public aux oligarchies bureaucratiques, managériales et financières. […] Les gens croient fermement (et ne peuvent que croire) que la loi, les institutions de leur société, leur ont été données une fois pour toutes par quelqu’un d’autre : les esprits, les ancêtres, les dieux ou n’importe quoi d’autre, et qu’elles ne sont pas (et ne pouvaient pas) être leur propre œuvre. » 5)Cornélius Castoriadis. Domaines de l’homme. Les carrefours du labyrinthe II. Paris : 1986, Seuil

Si, comme le suggère C. Castoriadis6)Fait et à faire. Les carrefours du labyrinthe V. Paris : 1997, Seuil, la première chose à faire est bien de « s’interroger sur les fondements des lois et des institutions », on ne peut cependant pas, poursuit-il, « rester fascinés par ces interrogations, mais faire et instituer » ; autrement dit, se réapproprier du pouvoir pour libérer de la créativité sociale dans « des espaces d’autonomie, d’auto-organisation et de coopération volontaire » 7)André Gorz. Adieux au prolétariat : au-delà du socialisme. Paris : 1980, éd. Galilée, là où apparaissent des communs. Une mise en parallèles de quelques caractéristiques des deux systèmes permet de repérer ce qui les différencie nettement :

tableau-communs-ess

Proposition de définition d’un commun :

En dissociant commun et bien, c’est déjà écarter l’idée qu’un bien commun serait une chose considérée comme naturelle, par exemple affirmer que l’eau est un bien commun universel ; on peut certes le revendiquer mais sans pour autant admettre que cela va de soi, l’histoire et l’actualité sociale et politique se chargeant de le démontrer ; c’est ensuite en faire un nom, puis un concept ainsi défini :

Un COMMUN est une construction sociale générée par un processus reliant :

  • un collectif agissant (avec pour règle de base le volontariat)
  • une ressource (matérielle ou immatérielle), bien public ou bien privé
  • un ensemble de droits d’accès, de bon usage de cette ressource à protéger (règlements définis en interne et (ou) par des instances externes).

Il peut être éphémère (actions d’alerte, de témoignage…), ces membres ne cherchant pas à l’instituer (ou très peu) dans un cadre administratif contraignant, tout en pouvant être instituant par les idées développées. “Nuit debout” et les zones à défendre (ZAD) sont, me semble-t-il, des exemples-type de ces communs investissant un espace public ou privé (squat…) pour mettre en œuvre des pratiques alternatives qui, pour le moins, provoquent les institutions gouvernantes et sensibilisent l’opinion sur des problématiques sociétales importantes8)Cf. Pierre Thomé, « Quand le Gouvernement et le Parti socialiste s’embourbent à Notre-Dame-des-Landes », blog, nov. 2012..

Il peut être institué en l’inscrivant dans un cadre économique, social, écologique avec un objectif de production de biens consommables ou de services. C’est cette deuxième approche qui est privilégiée dans le schéma qui suit.

communs-ess

La nature des éléments constitutifs du système est précisée par :

  1. le champ d’action (les ressources),
  2. La dimension statutaire (l’institué),
  3. les interactions entre ces éléments et avec les différents acteurs concernés répartis en trois sphères :
    • Les acteurs autonomes : citoyens qui s’interrogent et veulent interroger, non seulement par le dire mais aussi par le faire, les façons dont sont gouvernées, voire accaparées, les ressources. Autonomie en opposition à hétéronomie tel que le définit C. Castoriadis9)Op.cit. : « tension/contradiction entre d’un côté, la libération de la créativité sociale (cette libération étant une caractéristique centrale d’une démocratie véritable) et de l’autre, les dispositifs institutionnels et les dispositions anthropologiques “raisonnables” chargées de prévenir l’hubris, la démesure. » Le processus débute avec ces acteurs réunis en collectifs qui, conspirant10) Conspirer dans son sens étymologique : respirer avec ou aspirer à pour “consorter”11)Consorter : partager le même sort, appellation moyenâgeuse des communs, encore en usage dans le Valais suisse , envisagent d’emprunter le chemin du FAIRE ensemble. C’est ainsi que naît un COMMUN, auquel peuvent parfois s’associer des acteurs publics (généralement des collectivités territoriales) très concernés par la nature même de la ressource objet du commun (gestion de l’eau et de son assainissement, énergie renouvelable, agriculture périurbaine, forêts et pâturages communaux, espaces publics, etc.)
    • Les acteurs publics, en charge des fonctions régaliennes (dont la Justice, garante des libertés) et de la mise en œuvre de l’intérêt général (ou supposé tel) en réglementant (trop parfois ?) l’usage des ressources. L’approche quelque peu idéalisée d’un “bon gouvernement”12) « Des aspirations et des réflexions s’expriment aujourd’hui dans de nombreux secteurs de la société civile et dans le monde militant […] en distinguant les qualités requises des gouvernants et les règles organisatrices de la relation entre gouvernés et gouvernants. Réunies, celles-ci forment les principes d’une démocratie d’exercice comme bon gouvernement » Pierre Rosanvallon. Le Bon gouvernement. Paris : 2015, Seuil, permet de se représenter ce que pourraient être des politiques publiques favorisant le développement d’espaces d’autonomie, y compris pour la formation, permettant de multiplier les communs dans la gouvernance des ressources.
    • Les acteurs économiques privés : il semble nécessaire de distinguer ceux du grand Marché mondial recherchant surtout le développement de leur richesse en accaparant le maximum de ressources, et ceux de l’économie réelle, celle de bon nombre de PME (de 10 à 250 salariés) et TPE (moins de 10 salariés) sensibles au développement local et qui génèrent actuellement le plus d’emplois. Certaines de ces PME ou TPE peuvent se rapprocher de l’ESS si elles respectent les critères définis par la loi de juillet 201413)Loi sur l’Economie Sociale et Solidaire du 31 juillet 2014 : « la loi économie sociale et solidaire encourage un changement d’échelle de l’économie sociale et solidaire, fonde une stratégie de croissance plus robuste, donne aux salariés le pouvoir d’agir et soutient le développement durable local. » , et intégrer des communs. Enfin les entreprises d’origine de l’ESS (associations, coopératives, mutuelles…) font partie intégrante de ces acteurs économiques tout en étant positionnées légèrement en marge car pouvant avoir un rôle d’interpellation systémique dans cette sphère du privé.

Les ressources, avec en premier lieu celles dont la vie dépend : l’eau, la terre (arable, forêts…), l’air, le soleil, sont au centre du système. Si les humains n’ont aucune influence directe sur l’astre solaire, sinon d’en modifier quelque peu les effets par la pollution, en revanche leur rôle est prépondérant dans l’usage des ressources propres à la Planète Terre. Se pose alors la question de la gouvernance de ces ressources : qui en est détenteur, qui décide des règles de leur usage ?

Les ressources de la connaissance relèvent du même processus. On peut également l’élargir à des domaines, tels que le logement, la santé, l’éducation, la culture…, pouvant être à l’origine de nombreux communs : habitat coopératif, maison de santé, média, école alternative, etc.

Ces ressources sont en droit :

  • Soit des biens publics, tels des pâturages communaux, nombreux dans les Alpes, avec droit d’usage (bail, convention, charte) concédé à des éleveurs rassemblés dans un commun (groupement pastoral par exemple) à charge pour eux de ne pas surexploiter l’herbage, de l’entretenir et éventuellement de payer une redevance.
  • Soit des biens privés : par exemple les actuels 11 000 sociétaires de Terre de liens (constitutifs du commun) sont, de fait, copropriétaires du foncier agricole acquis par la Foncière Terre de liens, celui-ci étant loué (baux de carrière) en fermage à des agriculteurs produisant en bio ; toute spéculation foncière est exclue statutairement.

Ces communs, surtout si une production de biens marchands est prévue, s’inscrivent dans un cadre législatif adapté à leur objet, le cadre de l’ESS étant le plus souvent utilisé avec ses différentes possibilités : association, coopérative, dont la Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) qui favorise un multi sociétariat avec un fonctionnement collégial. Cette proximité institutionnelle avec l’ESS va bien au-delà de sa dimension statutaire, en effet les acteurs des communs en partagent volontiers les fondements essentiels : but poursuivi autre que la seule distribution de bénéfices ; gouvernance démocratique ; développement de l’activité et création d’emplois ; circuits courts rapprochant autant que faire se peut producteurs et consommateurs ; juste prix ; protection de l’environnement…

Enfin, le fruit commun est le résultat de la production et de sa vente ; sa répartition, outre les charges habituelles d’une entreprise, pose généralement la question de l’échelle des salaires et de l’utilisation des bénéfices hors réserve impartageable. Il est amené à entrer en concurrence avec d’autres producteurs, ainsi les neuf Scic Enercoop, fournisseurs d’énergie renouvelable, sont des concurrents directs d’EDF…


La jonction communs/ESS laisse entrevoir un ensemble qui pourrait faire système, c’est une ébauche car beaucoup de paramètres restent à approfondir et à vérifier, en particulier à propos des interactions entre les différents éléments constitutifs. Cependant, si l’on valide l’hypothèse que ce système existe à l’état embryonnaire, serait-il à terme en mesure de faire de l’ombre au système néolibéral à l’origine d’un “cauchemar qui n’en finit pas” et dont on ne sait plus trop comment y mettre fin, les antidépresseurs habituels n’ayant pas vraiment d’effet !

Plusieurs indicateurs invitent à une prudence relative. En effet, que représentent les actuels 2 500 hectares de terre arable propriétés de Terre de liens (sur 29 millions d’hectares de surface agricole utile en France) ? Les actuels 35 000 clients Enercoop (sur 28 millions d’abonnés EDF) ? Le chiffre d’affaires des magasins Biocoop ou du GRAP14)Groupement Régional Alimentaire de Proximité en région lyonnaise…, comparativement à celui de la grande distribution alimentaire avec ses rayons bio de plus en plus importants ? Pas grand-chose en statistiques, mais beaucoup par la démonstration empirique d’autres possibles.

Par ailleurs, l’existence de communs, tels que définis ici, dépend de l’initiative de collectifs de citoyens volontaires, parfois d’élus locaux. Malgré leur multiplication, le nombre de personnes impliquées constitue de très petites minorités dans le monde, peut-être 1 % ? avec un poids économique, politique et médiatique insignifiant par rapport à celui du 1 % des plus riches. Donc, et quelle que soit la métaphore retenue : “l’avant-garde révolutionnaire” ou le “je fais ma part” du colibri, il paraît difficile actuellement de projeter une importante mobilisation populaire capable de propulser et de généraliser un autre système que l’actuel dominant le monde.

Aussi dans l’immédiat, ne doit-on pas considérer l’alliance communs/ESS comme étant dans une phase expérimentale permettant de vérifier des hypothèses et modéliser un système dans sa triple dimension économique/sociale/écologique, avec, ici et dans le monde, des modes de gouvernance des ressources matérielles et immatérielles impliquant localement producteurs et consommateurs ? En espérant une extension par capillarité mais aussi une prise en compte réelle par les actuelles instances politiques, ce qui est encore loin d’être le cas… « On ne changera pas le monde avec des mots, mais on peut au moins choisir ceux qui diront et accompagneront les changements nécessaires » 15)Alain Rey. La Guerre des communs. Dans Libres savoirs. Les biens communs de la connaissance. Association Vecam, 2011, G&F éditions. Nous en sommes là, je crois bien…

Pierre Thomé, juin 2016
Article original republié avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Références   [ + ]

1. Dans “We Feed the World” (‘’Le marché de la faim’’). 2005, documentaire d’Erwin Wagenhofer et Jean Ziegler
2. Pierre Dardot, Christian Laval. Ce cauchemar qui n’en finit pas. Comment le néolibéralisme défait la démocratie. Paris : 2016, La Découverte
3. Interview sur CNN le 25/05/2005 et dans le New York Times le 26/11/2006
4. Le Président des riches. Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy. Paris : 2010, La Découverte
5. Cornélius Castoriadis. Domaines de l’homme. Les carrefours du labyrinthe II. Paris : 1986, Seuil
6. Fait et à faire. Les carrefours du labyrinthe V. Paris : 1997, Seuil
7. André Gorz. Adieux au prolétariat : au-delà du socialisme. Paris : 1980, éd. Galilée
8. Cf. Pierre Thomé, « Quand le Gouvernement et le Parti socialiste s’embourbent à Notre-Dame-des-Landes », blog, nov. 2012.
9. Op.cit.
10. Conspirer dans son sens étymologique : respirer avec ou aspirer à
11. Consorter : partager le même sort, appellation moyenâgeuse des communs, encore en usage dans le Valais suisse
12. « Des aspirations et des réflexions s’expriment aujourd’hui dans de nombreux secteurs de la société civile et dans le monde militant […] en distinguant les qualités requises des gouvernants et les règles organisatrices de la relation entre gouvernés et gouvernants. Réunies, celles-ci forment les principes d’une démocratie d’exercice comme bon gouvernement » Pierre Rosanvallon. Le Bon gouvernement. Paris : 2015, Seuil
13. Loi sur l’Economie Sociale et Solidaire du 31 juillet 2014 : « la loi économie sociale et solidaire encourage un changement d’échelle de l’économie sociale et solidaire, fonde une stratégie de croissance plus robuste, donne aux salariés le pouvoir d’agir et soutient le développement durable local. »
14. Groupement Régional Alimentaire de Proximité
15. Alain Rey. La Guerre des communs. Dans Libres savoirs. Les biens communs de la connaissance. Association Vecam, 2011, G&F éditions

Le code est la loi ?

Blockchain, libertarisme et régulation

Il y a un événement important qui vient d’avoir lieu et qui ne concerne pas seulement l’avenir de la blockchain mais le fantasme libertarien d’une monnaie sans Etat, comme le Bitcoin, préservée de toute intervention d’une quelconque démocratie, où seulement le code serait la loi.

La technologie de la blockchain inaugurée par le Bitcoin consiste dans une sorte de registre public enregistrant des transactions que tout le monde peut lire et que personne ne peut effacer, sans avoir besoin d’un tiers (notaire, banque) pour certifier ces opérations qui se font sur un mode complètement décentralisé et anonyme, en P2P (au prix d’une importante capacité de calcul et consommation d’énergie). Cette technologie est en plein boom actuellement (on parle d’explosion cambrienne des blockchains), intéressant de nombreux acteurs comme les assurances. Le plus grand avenir lui est promis bien qu’on en soit encore aux expérimentations.

Or, la blockchain vient de rencontrer son premier véritable accroc, mettant en pièce son idéologie libertarienne pour corriger un bug et récupérer de l’argent volé, cela au nom de la grande majorité des utilisateurs. Tout-à-coup, on est revenu sur terre avec tous les problèmes qu’on connaît bien, de police comme de régulation des marchés. Que le libéralisme soit beaucoup plus productif que l’étatisme n’implique absolument pas que les marchés ni la monnaie pourraient marcher sans Etat et la prétention d’une loi immuable se heurte rapidement au réel. Comme disaient les anciens Grecs « les lois sont comme des toiles d’araignées qui n’attrapent que les petites mouches mais laissent passer les guêpes et les plus gros bourdons« . On ne peut faire barrage aux puissances réelles, ce dont la blockchain vient de faire l’expérience.

Tout vient d’une base logicielle popularisant la blockchain (ethereum) avec laquelle avait été monté un projet de Decentralized Autonomous Organization (DAO) destiné à servir de fonds d’investissement en P2P avec la monnaie « Ether » (équivalente du Bitcoin) et qui avait levé 150 millions de dollars afin de prouver l’invulnérabilité de cette technologie. L’opération était ouvertement idéologique : « C’est une forme d’organisation incorruptible qui appartient aux personnes qui ont aidé à la créer et à la financer, et dont les règles sont publiques ». Or, voilà que se trouvent contredites à la fois l’invulnérabilité et l’absence d’autorité centrale, tout cela parce qu’un petit malin avait trouvé un bug lui permettant de subtiliser 50 millions. Le bug ne remet pas en cause la blockchain elle-même, seulement une mauvaise programmation des contrats. Sauf que tout informaticien sait que les bugs sont inévitables et qu’il faut donc qu’il y ait quelqu’un pour les corriger. Il y a eu des résistances à cette hérésie mais les sommes en jeu ont eu raison des réticences et une modification logicielle a été proposée, vite adoptée par presque tous. Il y a malgré tout des irréductibles.

Il est intéressant de voir les arguments avancés par les fanatiques du code comme seule loi, notamment contre l’intervention politique et la dictature de la majorité contre les minorités (plutôt compréhensible lorsque c’est un Russe qui parle), mais il est plus intéressant encore de voir comme cette utopie ne résiste pas au réel et rencontre la nécessité de la régulation et de l’adaptation. Il y a sans doute une place marginale pour une monnaie anarchiste mais si la blockchain a un avenir de masse, cela ne peut être que de façon sécurisée par des Etats (ou des banques) même s’ils peuvent être aussi très perturbateurs à servir des intérêts spécifiques. On n’aura pas un nouveau monde sans Etat régit par des automates, il faudra toujours rester dans le provisoire en parant au plus pressé. C’est en tout cas l’occasion de voir, sur un objet neuf, à la fois comment les puissances matérielles s’imposent et la nécessité du politique, le rôle de la démocratie ou de l’opinion, avec tous les problèmes que cela pose effectivement et dont on ne se débarrassera pas avec des algorithmes…
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Article de Jean Zin initialement paru sur le blog jeanzin.fr 
Reproduit avec l’aimable autorisation de son auteur.
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Appel à communication – Tribune Fonda démocratie contributive

Faites-nous part de vos idées pour la préparation d’un numéro de la Tribune fonda dédié à la démocratie contributive.
Le numéro 232 de La tribune fonda*, revue trimestrielle qu’édite la Fonda, sera consacré à la démocratie contributive.

Fort de notre conviction selon laquelle la vitalité associative est le moteur d’une renaissance démocratique, il s’agira d’éclairer le rôle actif que peuvent jouer les citoyens et les collectifs (associations ou autres) dans notre démocratie et d’explorer les modèles favorisant une construction commune entre pouvoirs publics et société civile.
Ce numéro permettra également de dresser un panorama de toutes les initiatives qui entendent replacer le citoyen au centre de la vie politique, en le consultant, en développant son pouvoir d’agir, en l’incitant à participer à ou développer des actions collectives…

Ce nouveau numéro est prévu pour le mois de décembre. Nous vous invitons à prendre part à son élaboration, en nous présentant une (ou plusieurs) initiative(s) et/ou en nous soumettant une proposition d’article, à partir des liens ci-dessous.

Cet appel est ouvert jusqu’au 12 septembre 2016.

*Cette publication de la Fonda propose des éclairages croisés, en mobilisant des expertises plurielles sur des sujets de société qui interrogent l’avenir des associations. Elle est principalement lue par des responsables associatifs, et a précisément pour vocation de les outiller pour éclairer leurs choix.
Si vous souhaitez recevoir les articles de la Tribune Fonda dès leur parution, vous pouvez vous abonner ici.

Emission « Tout compte fait » : Le tout gratuit : est-ce possible ?

Emission diffusée le 13 février 2016 lors de laquelle France 2 a présenté différents « utopistes » qui ont ouvert des façon de vivre différentes, dont Jean-François Noubel (extrait présenté ici).

Le tout gratuit : est-ce possible ?

A rebours d’une société ancrée dans l’ultra consommation, ils ont choisi un mode de vie alternatif : celui du don. Il s’agit d’un mode de vie avec moins de déchets et une meilleure utilisation des ressources. « Gratuivores » ou « freeganistes », ils consomment différemment, échangent des objets et luttent contre le gaspillage alimentaire. En France, Jean-Francois Noubel est l’icône de ce mouvement. Depuis 4 ans, l’ancien co-fondateur d’AOL France ne travaille pas et vit intégralement du don : argent, loyer, repas, vêtements… Alors l’économie du don est-elle une utopie ou une réalité ? Comment vivre concrètement dans le partage ? Rencontre avec ces nouveaux hérauts de la gratuité.

Pour voir l’émission complète, aller sur http://www.france2.fr/emissions/tout-compte-fait/diffusions/13-02-2016_458930

Prendre soin de soi, de l’autre et de la Terre. Et si notre changement de regard amenait le Nouveau Monde ?

Conférence publique à Néris-les-Bains, le 22 juillet à 20 h 30.

Quelle sera la troisième ville de France à s’engager sur la voie de l’autonomie alimentaire après Albi et Rennes ?

À votre avis ? Vous avez une idée ?

Nous assistons à un changement de paradigme rendu possible grâce à l’agriculture urbaine de 3e génération, en mode open-source, conduisant à un changement de regard individuel et collectif, et par conséquent un changement de réalité socio-économique susceptible de générer un nouvel art de vivre sans précédent, comme on a pu s’en rendre compte dans le film documentaire « Demain » pour celles et ceux qui ont eu la chance de le voir.

Comment une ville peut-elle atteindre l’autonomie alimentaire en 4 ans ? Quelle méthode simple mettre en oeuvre pour créer des cercles vertueux générant abondance, harmonie, santé et joie de vivre ?

Ce sont autant de questions auxquelles François Rouillay aura le plaisir de répondre à l’aide d’images et d’exemples concrets de réalisations au cours de la conférence-débat sur les villes de Demain, en présence de Sabine Becker, ingénieure urbaniste et permathérapeute, au théâtre municipal de la magnifique station thermale de Néris-les-Bains.

Le support didactique de conférence sera offert aux participants qui en feront la demande.


https://www.facebook.com/NerislesBains/

prendre-soin-de-soi

La « disruption », ou quand la technologie va beaucoup trop vite pour les humains

Extrait d’un entretien avec le philosophe Bernard Stiegler.

Ce que vous êtes en train de monter à Plaine Commune, la communauté d’agglomérations qui regroupe une petite dizaine de villes de Seine-Saint-Denis, relève de cet autre usage de la technologie ?

Exactement. L’idée, c’est de faire de ce territoire – aujourd’hui considéré comme très en retard – un laboratoire d’avant-garde, un réseau de villes vraiment intelligentes. Il s’agit d’utiliser la technologie pour réfléchir, comme l’a fait Jean-François Caron, le maire de Loos-en-Gohelle, dans le Nord-Pas-de-Calais. Je m’inspire aussi du travail de Michel Bauwens qui, avec la Fondation P2P, aide les gens qui veulent s’organiser en réseaux pour prendre en commun les décisions affectant la gestion de leurs villes.

Nous allons créer un revenu contributif, versé à de très jeunes habitants de Plaine Commune pour les encourager à s’emparer de ce que l’on offre en terme de formation. Ce revenu n’est pas un revenu de base, mais un revenu conditionnel. Ces jeunes devront contribuer régulièrement à la vie locale – et sous la forme qu’ils choisiront chacun -, comme les intermittents qui doivent travailler un certain nombre d’heures pour toucher l’intermittence.

Nous allons créer une caisse de crédit contributif pour permettre aux habitants d’emprunter en échange de leur propre contribution. Comme c’est expérimental, tout ça sera accompagné par des thésards de toutes disciplines – mathématiciens, juristes, physiciens, philosophes… – qui auront pour mission de travailler en lien avec le territoire et avec ses habitants. Un appel d’offres vient d’être lancé.

En parallèle, sur le modèle du Cern qui a inventé le premier web dans ses laboratoires genevois au début des années 1990, nous allons, avec Orange et Dassault systèmes, fabriquer un nouveau web, un web qui crée du savoir, un web qui remplisse les promesses politiques et intellectuelles de ce qu’il était au départ. »

Lire l’entretien complet sur le site bibliobs.nouvelobs.com

« Le prochain Bouddha sera un collectif ! »

Avec cette métaphore, Michel Bauwens, économiste, illustre la spiritualité liée au concept prometteur du « P2P » Peer to Peer- Pair à pair. Le « détenteur de la vérité » ne sera plus un gourou mais reposera sur une dynamique de groupe, collective. Dans son livre « Sauver le monde », LLL- 2015, cet auteur belge, fondateur de la P2P International Foundation y développe les fondements d’une nouvelle économie avec et grâce à chacun.

Figurant sur la liste des 100 personnes les plus enrichissantes dans le monde (par opposition avec les 100 personnes les plus riches du monde) il était l’un des intervenants à la journée r-évolutionnaire « Let’s Coop » organisée par SMart Belgique. C’était à Bruxelles le 28 juin.

En effet, mercredi dernier, SMart Belgique invitait à Bruxelles ses membres et sympathisants à une journée festive et de réflexion sur la mutation actuelle de l’emploi, de l’économie et du partage. Se voulant partie prenante à ces changements, après une année de travail participatif de redéfinition de leur projet, l’organisation décidait, en assemblée générale, de choisir la forme d’une « coopérative à finalité sociale ». Chacun peut devenir coopérateur moyennant une participation financière minime ; les bénéfices ne sont pas redistribués aux coopérateurs mais réinvestis dans une finalité sociale….

Lire la suite de l’article sur le site Pressenza.com

Un article de 

L’économie du partage selon Michel Bauwens

Intervention de Philippe Van Muylder au Colloque du groupe CDH au Parlement bruxellois.

Depuis Michel FOUCAULT, nous savons ce que valent les classifications.

Partons cependant, si vous le voulez bien, de celle que propose Michel BAUWENS dans son récent ouvrage : Sauver le monde. Vers une économie post-capitaliste avec le peer-to-peer (Ed. LLL, 2015).

economie-collaborative-4-cadrants

Bauwens, on le voit, structure l’économie collaborative en quatre quadrants, construits sur deux axes.

Le premier axe, vertical, vise le contrôle centralisé (ou son absence). Exemple-type de centralisation : Facebook (nous ne savons ni où se trouvent les ordinateurs de FB, ni ce que deviennent les données personnelles que nous lui confions).

Le second axe, horizontal, oppose orientation-profit et orientation-utilité sociale.

C’est sur cette base que Bauwens distingue quatre types de démarches économiques participatives.

Par capitalisme ‘netarchique’, il vise des plates-formes participatives dirigées par un ‘maître de réseau’ (comme Facebook ou Google). Ces entreprises sont évidemment complexes, ce sont des médailles à 2 faces : ainsi, FB est à la fois une grosse entreprise, accumulant des profits sur le dos de ses utilisateurs (qui créent toute la valeur) & une structure autorisant des relations entre pairs à un degré élevé, permettant aux gens de communiquer entre eux et de collaborer. À noter : on se trouve ici, bel et bien, face à une démarche de rentiers (toutes ces entreprises font du profit sur des valeurs créées par d’autres).

Par capitalisme distributif, Bauwens vise ce qu’il appelle des ‘places de marché’ peer to peer, comme Uber (on parle aujourd’hui  de mille chauffeurs à Bruxelles), Airbnb (qui louerait actuellement quatre mille chambres dans notre Région), e Bay mais aussi ce qu’il est convenu d’appeler le social lending (soit des opérations de prêt entre particuliers, qui décident de ‘by-passer’ le secteur bancaire).

Dans ces deux premiers quadrants, la logique qui prévaut est bien sûr une logique de profit, avec ses ingrédients traditionnels : concurrence déloyale, évitement de l’impôt, évitement des cotisations sociales.

Le troisième quadrant est dénommé résilience locale par Michel Bauwens.

On entre, ici, de plain-pied dans le social profit. Exemple-type : le covoiturage entre collègues de travail, au sein d’une entreprise ou d’un quartier d’entreprises.

Reste, enfin, un quatrième et dernier quadrant : les communs au niveau mondial. Exemple-type : Wikipédia.

Essayons maintenant de bien sérier les problèmes, à partir de cette taxonomie.

Au regard de la question « l’économie collaborative induit-elle une évolution positive ou une régression sur le plan du travail ? », l’économie de partage au sens restreint (le covoiturage entre collègues, le partage d’une buanderie dans un immeuble, l’échange momentané d’une tondeuse contre un grille-pain, un petit travail de peinture contre une heure de soutien scolaire), n’appelle évidemment pas les mêmes réponses que Uber, Airbnb, Facebook, Google ou même Wikipédia.

Toutefois, quel que soit le quadrant visé, un premier problème, transversal, apparaît :

l’économie collaborative dessine une société aux carrières professionnelles extrêmement flexibles, où se succèderont dans le temps des périodes de travail salarié, des périodes de chômage (durant lesquelles pourront plus facilement être menés des projets collaboratifs), ou encore des périodes d’ entrepreneuriat social. On voit mal comment cette énorme flexibilité pourrait se passer de la mise en place d’un revenu de base garanti (en d’autres termes, d’une allocation universelle).  Chacun en connaît le principe : en lieu et place des prestations sociales (ou de certaines d’entre elles), l’Etat verse un revenu fixe et inconditionnel à chaque citoyen.  Je dis « premier problème » parce que, comme Mateo ALALUF, je suis d’avis que l’allocation universelle est une véritable machine de guerre contre l’Etat social, une vraie fabrique de précarité…

Par ailleurs, nous savons tous que la plupart des pratiques d’économie collaborative ont recours aux nouvelles potentialités du numérique. Cela fait clairement partie de leur ADN.

Or, ce qu’on appelle Révolution numérique a des conséquences multiples sur nos sociétés. Ces conséquences sont (notamment) de deux ordres :

  • elles concernent nos libertés fondamentales, notamment notre droit à la vie privée :

nous savons que sommes désormais tous ‘pistés’, ‘géo-localisés’ en permanence, en manière telle que, dans moins de 10 ans, chaque téléspectateur captera non plus des programmes de télévision ‘standard’, mais des chaînes personnalisées, intégrant ses goûts et ses habitudes de consommation, ce qui ne va pas sans poser de questions éthiques…

  • mais la révolution numérique pose aussi de nombreuses questions sociales, car elle affecte également le travail[1]:

-elle crée une société de la performance (alors que le contrat de travail ‘classique’ ne crée pas, dans le chef du travailleur, une obligation de résultat mais une simple obligation de moyen). Relevons simplement, à cet égard, l’étude récente de chercheurs britanniques qui ont calculé qu’avec le smartphone, le travailleur moyen preste chaque année quelque 460 heures supplémentaires non rémunérées ! ;

  • elle nous oblige à repenser les modes de financement de la sécurité sociale ;
  • elle rend illusoires les espoirs d’une résorption du chômage fondée exclusivement sur une reprise de la croissance ;
  • et, surtout, elle raréfie le travail.

Après Bill GATES (« Au cours des 20 années à venir, le software reprendra à son compte la moitié des emplois »), le World Economic Forum (WEF), organisateur du forum de Davos, indique que la quatrième  révolution industrielle entraînera la perte de cinq millions

d’emplois en cinq ans : dans tous les pays occidentaux, qu’on le veuille ou non, on produit désormais  plus avec (beaucoup) moins de travail. Ainsi, entre 1820 et1960, la productivité a été multipliée par deux ; entre 1960 et…2012, elle a été multipliée par cinq ! En comparaison, la révolution industrielle du 19ème siècle ou l’invention du travail à la chaîne du début du 20ème siècle ont généré des gains de productivité presque ridicules…

C’est, bien sûr, ce qui valide les discours sur la nécessité de penser à nouveau une réduction collective du temps de travail ![2] Vous savez qu’en cette matière mon organisation et votre parti divergent…

Dans les pays occidentaux, l’Etat social avait en quelque sorte « coupé nos vies en deux », séparant nos vies professionnelles et nos vies privées. En améliorant les conditions matérielles de la vie professionnelle (en termes de salaires, de protection sociale, de diminution du temps de travail, …), il nous avait permis de retrouver une forme de « sérénité » dans notre vie privée.

Aujourd’hui, bien des experts le signalent, la révolution numérique est en passe de cicatriser cette coupure : nous sommes désormais joignables et pistés vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et ce sont des algorithmes qui nous envoient nos injonctions majeures !…

Voilà pour l’analyse. Mais, quoi qu’il en soit, l’économie collaborative est en marche.

Et ce train-là ne sera pas arrêtable. Elle présente une série de différences essentielles avec l’économie marchande traditionnelle, notamment le fait que la production entre pairs vise la production de valeur d’usage ; en outre, elle ne se donne pas pour objectif de créer des besoins fictifs, dans le simple but d’écouler une production (tout le contraire de ce qui se passe, par exemple,  dans le secteur pharmaceutique, dont chacun sait qu’il « invente », en quelque sorte, régulièrement une série de nouvelles ‘maladies mentales’[3] à traiter…chimiquement, bien entendu). On est bien loin, aussi, dans l’économie collaborative, d’autres travers de l’économie marchande, dont le scandale de l’obsolescence programmée, à propos duquel tous nos Etats adoptent un silence consternant et complice… Bref, de manière générale, ce qu’indique l’économie du partage, c’est qu’« entre l’Etat et le marché, ce n’est pas le vide ! ».

En revanche, convenons que le marché ‘classique’, que concurrence l’économie collaborative, est bien davantage régulé que celle-ci ! La question du jour devient donc, selon moi : ‘à quelles conditions l’économie collaborative, certes alternative, mais si fortement liée à la révolution numérique, pourra-t-elle être porteuse de progrès social pour les travailleurs (et pour l’ensemble de la société), au lieu de se traduire par davantage de précarité, de flexibilité et par une moindre protection sociale ?’ ‘Comment réguler une économie sans frontières ?’ C’est, pour demain, un des défis majeurs des responsables publics mais aussi des organisations syndicales, nationales et européenne…

Philippe Van Muylder, secrétaire général de la FGBT (Fédération Générale du Travail de Belgique)

Notes

[1] La production de biens mais aussi la production de services.

[2] Antoine RIBOUD, grand patron français, fondateur de DANONE : « Il faut passer à quatre jours, 32 heures, sans étape intermédiaire. C’est le seul moyen d’obliger les entreprises à créer des emplois » (septembre 1993).

Michel ROCARD :
« On ne sortira du chômage massif que par la réduction, elle aussi massive, de la durée du travail » (1996), ajoutant :
« Nous avons oublié d’être radicaux dans nos manières de penser ».

[3] Timidité, peur de rougir, deuil anormal, énervement au volant (trouble explosif intermittent), infidélité conjugale,… !

Moments d’invention 2016

Journées autour de « l’humanisme numérique » dans la métropole du Grand Nancy.

moments-dinventionLe Grand Nancy organise les 29 et 30 septembre prochains deux journées de réflexion et de propositions sur le thème de « l’humanisme numérique ». Il poursuit ainsi la démarche collaborative entamée avec les « Moments d’Invention 2013 », et souhaite, à cette occasion, créer les conditions d’une contribution originale, ouverte et innovante au développement de la métropole.

Car la « révolution numérique » engagée depuis plus de trente ans connaît ces dernières années une accélération fulgurante qui modifie en profondeur nos usages quotidiens. Cette « révolution numérique » s’impose comme une nouvelle culture planétaire : le « numérique » n’est pas seulement l’outil efficace d’une audience élargie ; il change en profondeur notre rapport aux autres, notre conception même du savoir, du travail et de la production des richesses, notre rapport à la santé, notre mémoire, notre « traçabilité », nos libertés.

Les politiques publiques ont toute légitimité à accompagner cette transition sociétale et numérique en veillant et en favorisant un égal accès aux services connectés pour tous, en garantissant un partage équitable des ressources et des communs, en soutenant les initiatives collaboratives et novatrices, en densifiant les liens et les échanges entre communautés d’acteurs publics et privés, en soutenant une politique fondée sur l’intelligence collective.

À l’heure où le Grand Nancy s’apprête à devenir métropole, son projet consiste, davantage encore : à stimuler la réflexion collective sur les transformations technologiques et culturelles en cours et leurs conséquences sur les usages urbains et humains en mettant en oeuvre des « ateliers des possibles » ouverts aux acteurs de la cité, à encourager la conception et l’expérimentation de scénarios pour de nouveaux usages urbains collectifs en lien avec les citoyens, les structures ou institutions du territoire.

S’appuyant sur la longue histoire des coopérations dans l’agglomération, de l’École de Nancy à Artem, le Grand Nancy cherche à encourager une politique fondée sur la mise en complémentarité des compétences, des savoir-faire et des expériences au-delà des périmètres administratifs et des modèles verticaux. Il souhaite ainsi mobiliser, au regard des multiples défis actuels, les forces conjuguées de la réflexion critique, du rêve, de l’invention, sinon de l’utopie, pour interroger et imaginer, non seulement les rapports de l’homme à cette société hyperconnectée en voie d’automatisation massive mais penser aussi une nouvelle manière de contribuer, soutenir une nouvelle politique du partage et de l’audace qui interpelle l’individu et le collectif, le public et le privé, du local au global.

En sollicitant largement différentes communautés d’acteurs et d’innovateurs locaux et régionaux, le Grand Nancy cherche à faire de ces journées un temps ouvert à la constitution d’un récit collectif et
prospectif qui mette cette intelligence collective des territoires au service du développement métropolitain.

Pour construire ces journées, deux questions s’imposent :

« l’humanisme numérique », constitue-t-il un facteur de progrès pour l’homme ou un appauvrissement de son humanité ?

Peut-on, au regard de la révolution numérique en cours et à l’échelle métropolitaine, (ré)inventer une nouvelle politique du partage et de l’audace ?

Voir le PDF (page 1) – Voir le PDF (page 2)

La blockchain décryptée

Les clefs d’une révolution

Le premier livre en français entièrement dédié à la blockchain

Editeur : Observatoire Netexplo (15 juin 2016)

  • Le 10 juin : annonce du lancement du livre par Netexplo.
  • Le 15 juin : livre disponible sur Amazon (le prix est coutant : 9,5€ pour 145 pages).
  • En Septembre : mise à disposition sous licence Creative Commons du EBook.


blockchain-decrypteePourquoi ce livre ?

Dans le monde numérique, et au-delà, la blockchain s’est imposée comme le grand sujet de l’année 2016. “Technologie révolutionnaire”, “machine à créer de la confiance”, “innovation de rupture d’une ampleur inédite”… : les superlatifs s’accumulent peu à peu dans les médias au fil des semaines.

Pourtant, tout comme le phénomène d’uberisation avait cannibalisé l’année 2015 en étant employé parfois de façon excessive, la blockchain court aujourd’hui le danger de devenir un simple buzzword, brandi comme symbole d’une “disruption ultime”, sans être pourtant véritablement compris par ceux qui en parlent.

Pour dépasser les effets d’annonce, il nous a donc semblé important de mettre pause sur cette machine médiatique, afin de prendre le recul nécessaire pour analyser les ressorts du phénomène blockchain. Prendre le temps de l’apprentissage, de la réflexion, et inscrire cette technologie dans le temps long de la diffusion et du débat public : tel est l’objet de ce livre.

Ces derniers mois, nous avons rencontré les acteurs et les penseurs des blockchains. Nous avons ainsi retenu 20 voix pour vous raconter cette technologie dans sa richesse et sa complexité. Cette combinaison de la parole directe des acteurs de la blockchain et d’un volet de découverte didactique, c’est le panorama d’une révolution. Ce livre est destiné à tous ceux qui veulent découvrir la blockchain, la comprendre en profondeur et élargir leurs horizons.

Sommaire

Préface par Joël de Rosnay

Première partie – Comprendre la blockchain en 12 questions
Les réponses aux questions les plus posées sur la blockchain

Deuxième partie – Les applications de la blockchain
Energie, Santé, Assurances, Banques, Luxe, Cloud…

Troisième partie – Penser la blockchain : enjeux sociaux, éthiques, juridiques, politiques
Avec les contributions de Gilles Babinet, Primavera de Filippi, Michel Bauwens…

Quatrième partie – La blockchain vue de l’intérieur : la parole aux acteurs
Avec les interviews de Stephan Tual, Gavin Wood, Philippe Dewost…

La blockchain décryptée – les clefs d’une révolution

 

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Source : blockchainfrance.net

Sandrino Graceffa (SMart) : « Il ne faut pas détricoter le droit social

Sandrino Graceffa, directeur général de SMart, une des entreprises les plus importantes du secteur de l’économie sociale en Belgique, dans un entretien avec Amandine Cloot, journaliste économique du quotidien belge Le Soir.

Que pensez-vous de la Loi Peeters ?

Il y a beaucoup de choses intéressantes dans ce projet de loi.

D’une part, l’idée de créer un statut de collaborateur autonome nous paraît une chose intéressante puisque il permet de faire rentrer dans le cadre de la protection sociale du salariat des travailleurs qui auraient pu être assez précarisés en étant considérés comme des travailleurs indépendants. Donc le fait de leur permettre à la fois de reconnaître qu’ils ne sont pas subordonnés comme un travailleur classique, mais en même temps de leur permettre d’accéder au socle de la protection sociale du salariat, ça nous paraît être une bonne chose.

Il y a aussi un certain nombre de choses que nous trouvons intéressantes autour de la flexibilité du temps de travail et son annualisation.

Le problème de cette loi c’est que d’une certaine manière elle accompagne l’évolution du travail qui nous semble nécessaire mais elle ne renforce pas suffisamment les droits acquis des travailleurs déjà existants. On doit être très attentifs à considérer que ce n’est pas parce qu’il y a une partie de la population de travaillerus qui a besoin de plus de flexibilité pour travailler que ça doit s’appliquer à tous les travailleurs.

Ce qui est important aujourd’hui c’est de bien délimiter ce que ces formes d’expérimentations sur une catégorie de personnes soient bien balisées. Il est évident que par exemple le principe de l’annualisation du temps de travail est quelque chose qui peut correspondre à une forme de progrès social pour un certain nombre de travailleurs très très autonomes mais peut être aussi une régression pour d’autres.

Ce qui est important donc c’est de bien cadrer, ce qui n’est pas suffisamment le cas pour le moment.